QUATRE CONDITIONS POUR UNE DÉMOCRATIE POPULAIRE
LA DÉMOCRATIE POPULAIRE, C’EST LE SOCIALISME !
Qu’entend-on par démocratie populaire? Ce n’est pas que le «pouvoir de la rue », les manifs, les assemblées générales étudiantes, comme on l’entend souvent. C’est beaucoup plus que cela. C’est la participation active des masses opprimées et exploitées dans l’exercice réel du pouvoir . C’est le contrôle collectif des décisions économiques, politiques et d’organisation de la vie quotidienne qui se prennent dans l’objectif de satisfaire les besoins élémentaires et de tous et toutes; elle exige des formes à la fois locales, régionales et nationales d’instances collectives.
Mais la démocratie populaire, ce n’est pas juste une «mécanique » ou une structure. C’est une forme de pouvoir qui appartient aux masses exploitées par le capitalisme. Elle a nécessairement un contenu politique, un point de vue de classe . La CLASSE, par le biais de son manifeste 1, a le mérite de vouloir donner un contenu politique plus général à sa lutte. Mais elle le fait de manière vague, sans vouloir nommer ce projet ni élaborer comment on peut y arriver. Et c’est normal !
Le projet politique général associé à la démocratie populaire est en effet un projet qui inclut l’ensemble de la classe exploitée et ses alliée s, c’est-à-dire le prolétariat canadien de tout âge, les nations autochtones et accessoirement, certaines couches de la petite-bourgeoisie parmi les intellectuelle s, les étudiante s, les artistes, etc. Mais il exclut nécessairement la bourgeoisie et les capitalistes… jusqu’à ce qu’une nouvelle société ait fait disparaître le mode de production qui reproduit les classes sociales.
Pour y arriver, le prolétariat et ses alliée s doivent se donner une organisation politique qui fera la somme de toutes les luttes et de tous les mouvements de combat des masses sur différents fronts.
Pour y arriver, ce parti doit préparer la transformation de la société, notamment en s’alliant et en développant des organisations de masse qui appliquent dès aujourd’hui toutes les formes de démocratie populaire afin de préparer la nouvelle société. En exposant de nouvelles formes de pouvoir collectives et en faisant appel à l’intelligence et à la volonté de lutter des masses, et en les opposant aux formes vieillissantes et corrompues du pouvoir bourgeois, ces organisations vont devoir affronter de plus en plus la bourgeoisie et son vieux monde.
Pour nous communistes révolutionnaires, le projet politique pour lequel nous combattons, c’est la fin de la société de classes, la fin de l’exploitation capitaliste et de toutes formes d’oppression, c’est l’égalité et la satisfaction des besoins de tous et toutes. Pour nous, la démocratie populaire, c’est l’établissement de conseils révolutionnaires à l’échelle locale, régionale et nationale pour assurer l’application des décisions collectives. C’est cela le communisme en action, et le socialisme comme période de transition pour y arriver.
La démocratie populaire exige que les forces qui la défendent et qui veulent combattre pour son avènement, luttent pour défaire le prolétariat de ses entraves, idéologiques et politiques, et mettent en place les conditions qui permettront d’y arriver. Ces conditions se regroupent pour nous derrière quatre mots d’ordre à répandre parmi les mouvements de lutte et les camarades anticapitalistes :
Rompre avec la légalité bourgeoise (incluant le boycott des élections) ;
Mettre en pratique les formes de lutte et d’actions qui affaiblissent la bourgeoisie en mettant la politique prolétarienne au poste de commande ;
Développer la nouvelle société tout en combattant l’ancienne ;
Développer la voie de la révolution au Canada, soit la stratégie pour arriver au pouvoir !
Rompre avec la légalité bourgeoise… et boycotter ses élections
La soumission à la légalité bourgeoise – et au premier chef, la soumission au verdict des élections! – c’est nécessairement l’affaiblissement de la capacité de lutter et de se mobiliser massivement contre les politiques des compagnies, des capitalistes et de la bourgeoisie. Il faut rompre avec cette soumission et la transformer en politique active au service des masses.
Avec les formes de gouvernance actuelles, plus sophistiquées et plus complexes, la classe bourgeoise et capitaliste a développé tout un arsenal de mesures visant à masquer sa domination sous des dehors «démocratiques », mais qui en réalité sont là pour digérer, intégrer et récupérer une grande partie de l’opposition venant du prolétariat. Cet arsenal définit la démocratie bourgeoise et par le fait même la légalité bourgeoise: les élections et le parlementarisme en sont le fer de lance.
En février dernier, avant le début du conflit étudiant, le déclenchement des élections par le gouvernement Charest en plein mois d’août n’était pas au programme. Le scandale de la corruption et la mise sur pied, après des mois de refus, d’une commission d’enquête publique sur le sujet, la dénonciation par le vérificateur général du favoritisme dans l’octroi des permis de garderies aux amis du Parti libéral… autant de facteurs qui, dans la plus pure tradition de la «petite politique » bourgeoise, avaient convaincu Charest d’attendre le plus tard possible – jusqu’à l’hiver 2013 – pour lancer l’appel aux urnes et espérer qu’on aurait tout oublié.
Quand il est devenu clair, fin mai, que le gouvernement n’arrivait pas à contenir la contestation étudiante par les méthodes habituelles, soit la division du mouvement, l’intimidation et la répression policières, les négociations bidon et finalement une loi spéciale sans précédent; quand il est devenu clair que la crise s’approfondissait et mettait le gouvernement de plus en plus sur la défensive face à de plus en plus de monde, alors les éditorialistes des médias bourgeois, et une grande partie des ministres et députés de toutes allégeances en ont appelé à des moyens beaucoup plus imposants pour étouffer le mouvement et le faire taire: des élections.
Il y a les élections, mais il y a aussi tout le reste: les règlements, législations, sommets de toutes sortes, commissions parlementaires, réformes, etc. Si à l’origine par exemple, le code du travail a fait en sorte d’interdire les pires manifestations d’injustices passées dans la relation entre les compagnies et les salariée s, il a aussi eu pour effet de «limiter » à l’intérieur du légalisme bourgeois la capacité de ces derniers à véritablement lutter jusqu’au bout pour empêcher leur propre exploitation. Aujourd’hui, le code du travail est un frein au développement de la lutte des travailleurs et travailleuses – on l’a vu lors des récents lock-outs et l’utilisation ouverte de scabs par les compagnies, notamment à l’Alcan et au Journal de Montréal.
Les syndicats institutionnalisés et largement inféodés à l’appareil d’État bourgeois sont eux aussi des freins. Leur participation à différents fonds de placement, aux innombrables mécanismes de concertation et surtout, leur refus d’agir en dehors du cadre imposé par la légalité bourgeoise – ils dénoncent mais refusent de défier la nouvelle loi 12, ancien projet de loi 78 – les rend inopérants et incapables de mener une véritable opposition, même pour des luttes immédiates.
Cette soumission à la légalité bourgeoise dans les syndicats se répercute dans les différentes couches du prolétariat, parmi les chômeurs et chômeuses, les sans emplois, les travailleurs et travailleuses immigrante s, etc. Le mouvement populaire dans sa grande majorité oriente sa stratégie depuis des années dans la lignée syndicale: fini le rejet des réformes dans leur globalité, exigeons de petits changements à l’intérieur; allons en commission parlementaire, allons dans les bureaux de députés leur faire signer nos pétitions, allons au sommet économique pour l’emploi, votons le déficit zéro: l’important, c’est de se placer sur le terrain de la bourgeoisie, de partir de ses besoins et de faire ce qu’on peut avec !
Lorsqu’on dit que la lutte étudiante est à bien des égards exemplaires, c’est qu’elle nous a donné plusieurs exemples de ce que peut représenter cette rupture d’avec le légalisme bourgeois. Les franges les plus radicales du mouvement regroupées au sein de la CLASSE en on fait la démonstration:
en bloquant de manière prolongée le fonctionnement d’une part importante de l’appareil d’État dans les collèges et universités, un rouage nécessaire à la reproduction des rapports sociaux capitalistes;
en défiant ouvertement le projet de loi 78 (maintenant la loi 12) et les injonctions qui interdisaient le blocage de certaines institutions scolaires ;
en sapant ainsi l’autorité du parlement et des tribunaux, dont les décisions se sont avérées inopérantes ;
en affrontant ouvertement l’autorité policière lors de plusieurs actions et manifestations ;
en refusant de condamner la défense active et violente contre la répression.
Cette rupture doit se poursuivre au cours de la campagne électorale. En appelant à aller voter, les associations étudiantes risquent de perdre un des acquis forts de la lutte, qui fut de maintenir l’initiative dans la lutte par une politique indépendante de la démocratie bourgeoise.
Le débat sur cette question est d’ailleurs un facteur de division dans le mouvement étudiant, et il fallait s’y attendre. Le mouvement étudiant dans son ensemble n’est pas un mouvement issu du prolétariat. Il regroupe toutes les classes sociales. Il ne peut donc mettre de l’avant une politique prolétarienne conséquente, de défense des intérêts de plus exploitée s. La CLASSE réussit jusqu’à présent à préserver une certaine unité en son sein, tout en maintenant la défense de la gratuité scolaire. Il faut espérer qu’elle restera conséquente et résistera aux appels de Québec solidaire, qui voudrait bien que le mouvement mette ses œufs dans le panier électoral.
Le mot d’ordre d’appeler au vote pour battre Charest peut apparaître dans le strict intérêt des étudiante s à court terme. Mais il ne profitera qu’au PQ… et à la bourgeoisie qui pourra ainsi mettre fin au «chaos social » avant que les travailleurs et travailleuses qui veulent combattent les attaques liées à la crise ne prennent exemples sur la lutte étudiante.
Pour travailler à développer une démocratie populaire parmi les masses, il faut donc commencer en les appelant à rompre avec la légalité bourgeoise et à refuser de participer à la farce électorale. Bien des travailleurs et travailleuses l’ont déjà compris et le font déjà d’instinct (le taux de participation, en baisse constante, le démontre bien). Mais ce boycott passif doit se transformer en politique active, au service d’un projet différent, d’une démocratie différente.
Renforcer les formes de lutte et d’actions qui affaiblissent la bourgeoisie en mettant la politique prolétarienne au poste de commande !
La lutte étudiante et la multiplication d’actions ont favorisé l’apparition d’une véritable crise sociale qui a généré à son tour d’autres formes de luttes et l’envie d’exprimer dans la rue notre colère. Pour développer la démocratie populaire, il faut encourager et multiplier ces formes de luttes et en créer d’autres, tout en mettant la politique prolétarienne – c’est-à-dire favorisant notre classe contre la bourgeoisie – au poste de commande. Quelles sont ces formes de luttes ?
Un des aspects importants de la lutte étudiante est le fait qu’elle a mis sous pression la capacité de la bourgeoisie à gouverner. Elle l’a fait:
en refusant les compromis, contrairement à ce à quoi nous ont habitués les directions syndicales ;
en répondant à l’intransigeance gouvernementale par une combativité supérieure ;
en créant une situation de mobilisation permanente dans les rues de la métropole ;
en cherchant à perturber des événements «bourgeois » importants ;
en entraînant des couches de plus en plus larges de la population à se joindre activement à la lutte ;
en appliquant des formes de démocratie directe dans les assemblées générales – surtout à la CLASSE – permettant ainsi à la base militante de maintenir la combativité des directions étudiantes.
Elle a révélé des formes de luttes et d’actions différentes de ce qu’on a pu voir depuis 20 ans au Québec. Blocage de ponts, manifestations quotidiennes, piquetage dur devant les institutions scolaires mais aussi devant certains sièges sociaux, actions directes au Salon du Plan Nord, vitres fracassées de plusieurs banques, visites et saccage de bureaux de députés et jusqu’à des fumigènes dans le métro. Tout n’est pas parfait dans ces actions, et il faudra en faire le bilan juste.
Les formes d’actions auxquelles nous recourons isolent-elles la bourgeoisie? Agissent-elles comme des révélateurs de l’exploitation bourgeoise? Expriment-elles la colère juste des masses contre ceux et celles qui les oppriment? Ce sont ces aspects qui doivent nous préoccuper, bien plus que l’usage de moyens violents qui, s’ils sont tournés contre l’ennemi de classe – les compagnies, la bourgeoisie, l’État – et ses symboles, sont tout à fait justes.
Il faut donc développer des formes de luttes qui, au-delà de leur combativité, incarnent une politique prolétarienne et mette de l’avant ses revendications, sans compromis.
Cette politique prolétarienne, qui est ni plus ni moins que la défense des intérêts des plus exploitée s, doit être à l’œuvre dans toutes les organisations de masse dans leurs luttes immédiates : les syndicats mais aussi les groupes populaires, les groupes de défense des personnes migrantes, les groupes de femmes, etc. Et elle doit tout autant diriger les organisations politiques se réclamant de la révolution et du communisme, dans leur lutte pour transformer la société capitaliste.
Pourquoi ne pourrait-on pas exprimer les besoins du prolétariat, des masses exploitées? Pourquoi ne pas mettre de l’avant dans tous les mouvements de masse qui défendent les exploitée s, des revendications qui répondent véritablement aux besoins des plus pauvres d’entre eux et elles, indépendamment de la bourgeoise et de ses crises économiques? Indépendamment de la compétitivité de «nos » entreprises ? Identifier et défendre une politique prolétarienne indépendante et lui donner des formes de lutte qui lui appartiennent, c’est aussi une manière de mettre en pratique la démocratie populaire.
Développer le programme d’une nouvelle société, tout en combattant l’ancienne
La société nouvelle qu’évoque sommairement le manifeste de la CLASSE, c’est le socialisme qui la rendra possible. Atteindre la gratuité, «abolir les barrières économiques pour l’accès à ce qui nous est le plus précieux collectivement », «l’égalité dans les services publics qui porte le nom de gratuité » ou encore vouloir créer «une société où l’organisation de la vie en commun et la prise de décision se font collectivement » et «l’abolition des entraves à la pleine réalisation de notre humanité », toutes ces aspirations incluses dans le manifeste de la CLASSE font partie de l’héritage communiste, dans ce qu’il a de meilleur. Il faut dès aujourd’hui développer les bases de cette nouvelle société là où c’est possible, tout en combattant la vieille société capitaliste pourrissante.
Lorsque nous parlons du communisme, nous parlons d’une société sans exploitation, dans laquelle la division en classes aura fait place à la libre coopération entre tous les individus. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de différences entre eux ni que tout le monde aura les mêmes besoins (ceux-ci varieront nécessairement dépendant des individus, des lieux où ils se trouvent, des périodes), mais bien que ces différences ne seront plus sources d’inégalité, car la société dans son ensemble sera en mesure de les combler.
Cela suppose aussi que les classes auront été supprimées, et surtout que les bases sur lesquelles elles reposent (à -savoir, la propriété privée des moyens de production, les rapports sexistes et d’oppression, ainsi que la division du travail entre ceux et celles qui conçoivent et ceux et celles qui exécutent) auront été détruites. Avec la suppression des classes, on en arrivera aussi à la suppression de l’État, qui n’est jamais autre chose que l’instrument de la domination d’une classe sur une autre. La société sera alors administrée collectivement par tous ceux et celles qui en font partie.
Le prolétariat au pouvoir devra viser à généraliser et à étendre les expériences positives de transformations des rapports sociaux qui auront été entreprises, y compris celles qui l’auront été de façon embryonnaire avant même la prise du pouvoir. Il visera également à consolider et à généraliser les nouvelles formes de pouvoir qui auront été mises en place dans le cours de la lutte révolutionnaire et qui feront en sorte que de plus en plus, ce sont véritablement les masses prolétariennes à la base qui dirigeront la société : notamment les conseils révolutionnaires, ou Soviets, par lesquels le prolétariat et ses alliée s exerceront directement le pouvoir.
Il va associer de plus en plus les masses à l’exercice du pouvoir, en aménageant les conditions qui leur permettront de le faire : à savoir du temps (par la réduction du temps de travail), la prise en charge collective des tâches domestiques, l’attribution générale de moyens (salles de réunions, information…) qui permettront leur libre expression, etc.
Il doit aussi voir à détruire les privilèges historiquement associés aux fonctions de direction, notamment par l’élection et la révocabilité des dirigeantes et dirigeants, l’adoption d’un mode de rémunération qui ramène leurs conditions de vie à celles des masses prolétariennes.
À long terme, il s’agit de permettre à chacun et à chacune de développer sa capacité à diriger, et pas seulement au niveau d’une usine ou d’un quartier (même si nécessairement, cela passe aussi par là) ; mais surtout au niveau de la société tout entière, de la planification et la direction générale qu’elle prend.
En fin de compte, ce qu’il faut retenir, c’est que le socialisme, ce n’est pas seulement – ni même d’abord et avant tout – la transformation du système de propriété, c.-à-d. les nationalisations et l’appropriation des moyens de production par l’État. Le socialisme, c’est surtout la transformation des rapports de production et des rapports sociaux jusqu’au communisme. C’est en changeant ces bases matérielles qu’il sera possible de parvenir à la transformation et la révolutionnarisation véritables de toute la superstructure : les institutions politiques, l’éducation, la culture, l’idéologie. C’est une bataille constante pour réellement renverser la pyramide sociale, et faire en sorte qu’ultimement, «ceux d’en bas » (c.-à-d. le prolétariat et ses alliée s) deviennent les véritables maîtres de la société. C’est là tout le sens de la démocratie populaire.
Il faut tout faire pour développer dès maintenant des pratiques et formes d’organisation qui pourront exprimer les bénéfices d’une telle société, au service de la majorité. Il faut le faire, mais on ne peut y arriver sans combattre en même temps la vieille société, pour éventuellement la faire disparaître.
Développer la voie de la révolution au Canada, soit la stratégie pour arriver au pouvoir !
Nous avons vu qu’il est impossible d’arriver à une démocratie populaire, qu’elle se nomme démocratie directe, prolétarienne ou véritablement participative sans transformer jusqu’à la faire disparaître – par la révolte des masses opprimées et par la révolution socialiste – la société capitaliste et avec elle, les formes du pouvoir bourgeois. Nous venons d’évoquer la société qu’il faudrait pour la remplacer. Mais comment allons-nous y arriver?
S’il faut définir, préciser et développer la nouvelle société à laquelle nous aspirons, il est tout aussi important de trouver la stratégie pour y arriver, c’est-à-dire pour arracher le pouvoir à la bourgeoisie et instaurer un pouvoir populaire. Cette tâche, on ne peut l’exiger des mouvements qui combattent la bourgeoisie sur le terrain des luttes immédiates. Elle ne pourra être mise en œuvre que par l’organisation politique du prolétariat, c’est-à-dire une organisation qui aura pour tâche de mener la lutte générale pour le renversement de la bourgeoisie, la mobilisation de toute la classe ouvrière et de masses opprimées pour la transformation générale de toute la société.
Le Parti communiste révolutionnaire (PCR) s’est donné pour tâche de travailler à définir cette vision générale et totale de la lutte de classe à mener contre la bourgeoisie, et de proposer à tous les militantes et militantes, aux anticapitalistes, aux jeunes étudiantes et étudiants en lutte, et bien sûr à tous les travailleuses et travailleurs du pays, les moyens, la stratégie et les mots d’ordre pour y arriver. Au cours des prochains mois, le PCR soumettra ainsi aux débats, à la discussion et à la critique, une conception de la lutte générale à mener pour la révolution au Canada. L’objectif de cette démarche est de développer l’unité la plus large possible des forces révolutionnaires et d’assurer qu’elle se fasse autour des conceptions les plus claires possibles.
Cette unité, elle existe en partie et de façon ponctuelle dans une frange du mouvement anticapitaliste – particulièrement au Québec. Mais elle se limite à une unité dans l’action, ou dans le cadre de certaines luttes (1er Mai, G20, et aujourd’hui en soutien à la lutte étudiante). Si nous voulons développer l’opposition la plus forte possible et surtout, si nous voulons développer un mouvement qui pourra véritablement renverser le pouvoir bourgeois et le capitalisme, nous avons aujourd’hui la responsabilité de pousser cette unité à un niveau supérieur, celui de l’unité idéologique, politique et pratique. C’est le sens de la démarche qu’entreprendra le PCR en soumettant ces conceptions, qui s’inspirent des principes de la guerre populaire prolongée, appliquée aux conditions d’ici. Et leur rôle visera à tout, sauf à se présenter aux élections bourgeoises!
Carmen Sicard
C’EST LEUR DÉMOCRATIE, PAS LA NÔTRE !
Assemblée nationale, parlement, élections bourgeoises, commissions, sommets de toutes sortes…
«Les gouvernements sont des comités qui gèrent les affaires communes de la classe bourgeoise », disait Marx. Pourtant c’est comme si on oubliait cette réalité indéniable à chaque fois qu’on pense aux gouvernements qui nous régissent ici au Québec, au Canada et dans l’ensemble du monde.
Les affaires communes de la classe bourgeoise incluent bien sûr la volonté de préserver à tout prix la confiance de toutes les classes sociales envers ses institutions et mécanismes «démocratiques ». Ces institutions servent de vernis pour encadrer dans des limites bien précises, le fameux droit à l’expression démocratique. On a vu à quel point ce droit était élastique, avec le projet de loi 78 et les injonctions contre le piquetage étudiant, dès que la démocratie s’exprime en dehors de ce fameux cadre imposé.
Laissons André Dubuc, columnist au quotidien La Presse , nous expliquer où commencent (et surtout où finissent) les droits des étudiantes et étudiants de contester la hausse:
«La démocratie, ce n’est pas un système où ceux qui ont gain de cause sont ceux qui ont le temps, l’énergie et la passion pour aller dans la rue. Dans une démocratie, il y a des institutions qui décident, et des mécanismes qui permettent de faire des choix, parfois de déplaire, parfois de dire non. C’est le rôle d’un gouvernement élu. Et dans le cas qui nous occupe, parce que ce choix a été approuvé par l’Assemblée nationale, qu’il est appuyé par une grande majorité de la population, et qu’il ne suscite une vive opposition que dans une portion minoritaire du monde étudiant, le gouvernement a la légitimité nécessaire pour l’imposer. Au nom de la légitimité de l’État. […] Voilà le choix auquel font face tous les acteurs de la crise actuelle: la démocratie ou la violence de la rue. » (La Presse , 18 mai 2012)
Cela ne l’a pas empêché, quelques jours plus tard, de constater que «les Québécois, au fil de neuf années d’un règne tumultueux, ont perdu toute confiance en Jean Charest et son équipe. Usé, enveloppé d’odeurs nauséabondes, ce gouvernement a de plus en plus de mal à gouverner. C’est pourquoi, dans l’intérêt du Québec, on doit donner dès que possible aux citoyens la possibilité de se prononcer sur la suite des choses. » (c’est-à-dire de se prononcer lors des élections, NDLR) (La Presse , 31 mai 2012)
En même temps, ces idéologues prêts à tout pour arrêter le «désordre » sont obligés de constater le caractère de plus en plus discrédité des élections et du parlementarisme. Suite aux élections partielles de juin, c’était au tour de Jean-Jacques Samson du groupe Quebecor de le déplorer: «Le taux anémique de participation au scrutin dans les circonstances présentes révèle toutefois que la démocratie québécoise est gravement malade. Les citoyens ont tourné le dos aux politiciens de tout acabit. » (Le Journal de Montréal , 12 juin 2012)
Et pourtant, malgré ces constats, nous n’aurions selon eux d’autres choix, même devant un gouvernement «enveloppé d’odeurs nauséabondes », que d’attendre qu’il finisse son mandat (et ses dégâts)… comme nous en supplie André Pratte: «Les étudiants devraient reprendre leurs cours et transporter leur mobilisation de la rue aux bureaux de scrutin. »
Devant ce désintérêt et cette perte de confiance, la seule solution proposée par tous ces scénaristes médiatiques, consiste à nous rejouer la même chanson, à continuer la même fuite en avant: peu importe pour qui vous votez… mais votez ! … Il n’y a plus de public, mais il faut rejouer le scénario. C’est un peu maigre comme perspective. Mais la bourgeoisie n’a pas d’autre choix que de tenter désespérément de rallier encore une fois toute la population derrière son simulacre de démocratie.
Mais pourquoi parle-t-on d’une démocratie bourgeoise ? Pourquoi pas démocratie tout court ?
Dans l’univers des idées, c’est un concept, une idée générale «du pouvoir du peuple ». Mais dans la réalité sociale, la démocratie est une institution concrète, historique, qui correspond à la société dont elle est issue. On ne rencontre pas la démocratie en général. Elle existe toujours dans des formes particulières, avec des caractéristiques historiques qui en déterminent le contenu.
Ce qui caractérise les différentes démocraties de l’histoire, c’est qu’elles sont toutes issues de sociétés de classes. Or quelle que soit la forme de l’État, il demeure toujours celui de la classe dominante du moment. Cinq siècles avant Jésus-Christ, les Athéniens ont inventé une forme de démocratie. C’était une citoyenneté réservée aux hommes libres, qui excluait les femmes, les esclaves, les étrangers. Cette démocratie consacrait le pouvoir des hommes propriétaires d’esclaves. Pendant la période de la république, les Romains ont également constitué une forme de démocratie à géométrie variable, dans laquelle le peuple romain élisait des représentants, mais dont les mécanismes assuraient la domination des hommes de l’aristocratie.
Au XVIIIe siècle, la bourgeoisie a repris les idées démocratiques dans sa lutte pour ravir le pouvoir à l’aristocratie féodale et pour ouvrir la voie à son mode de production, le capitalisme. Elle les a reformulées selon ses intérêts dans la théorie du libéralisme politique. Elle a pris l’étendard de la démocratie pour mobiliser le peuple derrière elle, isoler et renverser l’aristocratie, petite classe minoritaire qui profitait de privilèges de naissance que protégeaient les monarchies absolues.
On a ainsi remplacé la monarchie absolue comme forme de gouvernement par des républiques ou des monarchies constitutionnelles parlementaires. La tâche de ces nouveaux États a été d’éliminer les obstacles et de construire les conditions nécessaires au développement du capitalisme comme mode de production (abolition des charges et de la propriété féodales, unification des marchés nationaux, constitution d’un marché de travailleurs libres, construction d’infrastructures, etc.).
Comme par le passé, ces nouveaux États de l’ère capitaliste ne sont pas de simples incarnations du concept général de démocratie, ce ne sont pas des régimes où le peuple en entier exerce son pouvoir sur la société. Ils sont nés du capitalisme comme les conditions politiques nécessaires à son émergence puis à sa reproduction. Ils consacrent encore la domination d’une classe sociale minoritaire, la bourgeoisie, sur la classe majoritaire, celle des prolétaires. C’est pourquoi nous les appelons des démocraties bourgeoises.
La démocratie libérale établit l’égalité formelle, abstraite, sur papier – l’égalité de droit – pour l’ensemble des citoyens et citoyennes. Sa théorie juridique ne connaît officiellement que des individus dotés des mêmes droits. En revanche, dans la réalité sociale, les individus nouent entre eux des rapports concrets qui les départagent en classes sociales. La société bourgeoise capitaliste produit ainsi, dans ses rapports de production caractérisés par l’exploitation du travail salarié, de profondes inégalités de fait, de richesse et de conditions – les plus grandes que l’histoire ait jamais connues.
Ce sont ces inégalités de fait qui se transposent dans l’exercice du pouvoir politique à travers l’État, et qui réduisent l’égalité formelle à une façade idéologique légitimant le pouvoir d’État. La démocratie bourgeoise reflète non pas l’égalité individuelle des citoyens et citoyennes, mais l’inégalité de fait des classes sociales. Plus précisément, elle exprime la situation de classe dominante de la bourgeoisie, mais au nom de l’égalité citoyenne.
Ça n’empêche pas que cette forme d’État prévoit une participation aux institutions de pouvoir par le biais des élections, pour une proportion du peuple qui est la plus grande dans l’histoire. Ni qu’ils permettent l’exercice assez large de certaines libertés civiles (liberté d’expression, d’association). D’ailleurs la démocratie libérale s’est progressivement élargie en intégrant les travailleurs sans propriété, les esclaves noirs affranchis, les femmes.
Par contre, cette participation du peuple et ces libertés – dans les conditions concrètes de leur exercice – ne sont pas en mesure de remettre en cause la domination de la bourgeoisie. Le maintien de la domination bourgeoise est la limite dans laquelle peuvent s’exercer cette participation et ces libertés démocratiques. La démocratie n’est pas une limite à la domination de la bourgeoisie, c’est plutôt la domination de la bourgeoisie qui est la limite de cette forme historique de démocratie.
L’État: garant de la domination bourgeoise
Comment fonctionne la démocratie bourgeoise ? Comment garantit-elle la domination de la bourgeoisie ? Comment les inégalités générées par les rapports de production s’imposent-elles aux institutions politiques, qui sont censées être régies par l’égalité de droit ?
La bourgeoisie est la classe dominante au plan économique. C’est elle qui, en tant que propriétaire des moyens de production, s’approprie les surplus de la richesse produite par la classe ouvrière. Cette domination économique est le fondement de sa domination politique. Grâce à sa richesse, la bourgeoisie contrôle la périphérie de l’État, qui lui assure ensuite un contrôle assez facile de l’État lui-même.
Cette périphérie de l’État est constituée du système des partis, des grands médias, de la haute fonction publique et du personnel politique; enfin des lobbys et associations professionnelles, corporations qui maintiennent une cohésion entre tous les lieux de pouvoir: politique, économique, juridique, académique, etc.
Commençons par le système des partis. Les grands partis bourgeois sont de vastes machines électorales. Ils comptent sur des budgets de millions de dollars obtenus grâce aux dons officiels ou occultes qui sont des investissements pour la bourgeoisie. Ces budgets servent à financer des spécialistes de la propagande, dont le rôle est de présenter les intérêts des capitalistes comme les intérêts de la nation tout entière et de les formuler en programme politique et en slogans. La scandale des commandites au fédéral, mais tout le réseau occulte mêlant politiciens, firmes d’ingénierie, contrats de construction et dons aux partis politiques en sont la démonstration répétée.
Les capitalistes contrôlent par ailleurs les grands médias, qui sont de puissantes machines de fabrication de l’opinion publique, qui sont l’espace même du débat politique. Ils sont l’intermédiaire par lequel la population prend connaissance du monde et de la société, au-delà de son milieu de vie immédiat. Ce sont eux qui déterminent ce qui est porté à la connaissance de la population et ce qu’il faut en comprendre et en penser. Même si le «biais » bourgeois des grands médias n’apparaît pas nécessairement dans chaque article, lorsque des conflits sociaux aiguisent les contradictions comme lors de la grève étudiante, on a clairement vu les lignes éditoriales se positionner dans un même camp.
La bourgeoisie est la classe sociale la plus scolarisée. Elle compte le plus de membres formés pour occuper de hautes fonctions dans l’appareil d’État, parmi les fonctionnaires et le personnel politique , bref des membres qui ont appris à gouverner. Elle compte aussi sur une large couche de la petite-bourgeoisie intellectuelle, qui se constitue volontiers en complice dans différentes fonctions liées au pouvoir, en échange d’une part de la plus-value.
Enfin la bourgeoisie, en tant que classe, entretient toutes sortes de réseaux d’influence par des liens familiaux, d’affaires, d’amitié. C’est un peu ce qu’on a pu voir dans cette fameuse vidéo mise en ligne par Anonymus, où on voyait Charest, la famille Desmarais et l’intelligentsia capitaliste, politique et artistique réunis au domaine de Sagard dans un faste digne de l’époque des monarchies.
Dans la réalité, l’ensemble du peuple est complètement écarté de l’exercice du pouvoir, confiné au rôle de spectateur, de commentateur. Les institutions de l’État sont construites pour assurer l’exercice du pouvoir à la classe dominante. Le pouvoir est en effet concentré en une toute petite poignée de personnes au parlement (125) et au conseil des ministres (26 personnes), qui nomment ensuite l’ensemble des responsables des appareils de l’État. L’accès au pouvoir passe par le système électoral qui réduit au plus strict minimum la participation de la population en la canalisant entièrement dans le vote électoral. Un vote aux quatre ans en faveur d’un individu qui en obtient les pleins pouvoirs et qui n’a pas de compte à rendre à ses électeurs pendant son mandat.
Quant au processus électoral, on l’a vu, il est contrôlé par les partis et les appareils médiatiques, les seuls vrais acteurs du processus. Autrement dit, dans une société bourgeoise, la démocratie est une arène où les règles sont les mêmes pour tout le monde, mais où les armes sont distribuées de manière démesurément disproportionnée. La démocratie bourgeoise repose sur une citoyenneté complètement passive pour la grande majorité de la population d’une part, et sur l’hyperactivité de politiciens de carrière et d’experts intéressés d’autre part. Le peuple n’exerce pas le pouvoir, il lui donne une légitimité. C’est pourquoi la bourgeoisie s’évertue à détourner les luttes des masses de la rue vers les élections, un champ de bataille qu’elle contrôle et maîtrise, où elle peut soit leur opposer sa légitimité renouvelée, soit les saper par des compromis mineurs qui préservent ses intérêts.
Un parti de gauche au pouvoir via les élections bourgeoises ?
Un parti véritable de gauche, voire un parti révolutionnaire ne peut le rester en accédant au pouvoir par les élections, et encore moins, mettre en œuvre une politique socialiste, de transition du capitalisme vers le communisme. Admettons qu’un tel parti mobilise les masses à un point tel qu’il contrecarre les avantages structuraux de la bourgeoisie dans le jeu parlementaire, qu’il accède au pouvoir par les élections. En décidant d’aller de l’avant avec un programme révolutionnaire, il se butera nécessairement à la résistance de l’appareil d’État lui-même qui, en dessous du gouvernement, est dirigé par des éléments de la bourgeoisie, qui est lié de mille façons aux intérêts de la bourgeoisie. Cet État peut entrer en rupture avec un gouvernement élu et l’évincer par la violence pour maintenir le statu quo, l’ordre établi.
Les capitalistes peuvent tout autant y arriver par le contrôle qu’ils exercent sur l’économie. Ils peuvent choisir de sacrifier leurs intérêts à court terme pour préserver leurs intérêts à long terme, c’est-à-dire pousser l’économie vers la crise, couper les vivres du gouvernement, alimenter une crise politique. Ce sont les moyens que les bourgeoisies américaine et chilienne ont pris pour se débarrasser du gouvernement Allende en 1973 au Chili.
Pour toutes les forces qui souhaitent en finir avec le système capitaliste et l’exploitation, il ne suffit donc pas de se saisir de l’État capitaliste par les voies de la démocratie bourgeoise. Cet État-là, il faut l’abattre. Construire les institutions d’un pouvoir populaire: des institutions basées sur la participation et la délibération des masses en milieu de travail dans les quartiers, dans les villes. Des organes d’abord capables d’exprimer une volonté de se mobiliser. Ensuite – quand le processus révolutionnaire est avancé – capables de prendre et d’appliquer des décisions, capables de déléguer, de mandater et de révoquer des représentantes et représentants, d’exercer un contrôle direct et permanent.
Pour que de telles institutions puissent s’affirmer, il faut construire une force capable de les défendre et capable de renverser les institutions du pouvoir bourgeois. Aucun pouvoir populaire ne pourra s’affirmer s’il est incapable de s’opposer jusqu’au bout au pouvoir bourgeois, s’il est seulement capable de s’opposer en paroles et en symboles.
Dans le contexte actuel au Québec, le seul mot d’ordre de mise est le boycott des élections: il faut saper les prétentions de la légitimité du gouvernement et du pouvoir d’État, plutôt que de l’aider à se redonner une crédibilité qu’il n’a plus. Mais ne nous en tenons pas à une campagne de propagande contre la démocratie bourgeoise: il nous faut travailler à construire les bases d’un pouvoir populaire, par l’action et la mobilisation des masses.
André Ayad