8 et 9 mai 2015, 70e anniversaire de la victoire des peuples sur l’Allemagne nazie ! Appel à la Résistance !

reichstag-300x170

 

À l’occasion des 8 et 9 mai 2015, 70ème anniversaire de la victoire des peuples sur l’Allemagne nazie, des personnalités issues de la Résistance appellent à une nouvelle résistance antifasciste, patriotique et populaire pour briser la dictature euro-atlantique.

Il y a juste 70 ans, l’Allemagne nazie capitulait après avoir semé l’extermination à une échelle inédite. Un immense espoir soulevait les peuples libérés de la Bête immonde et de ses collabos.

En France, les ministres communistes issus de la Résistance mettaient en œuvre dès 1945 le programme Les Jours heureux porté par le CNR ; ils œuvraient pour rétablir l’indépendance nationale, éradiquer le fascisme et le racisme, mettre en place la Sécurité sociale, les retraites par répartition, le Code du travail, les grands services publics, les nationalisations industrielles, restaurer le CNRS et l’Education nationale, créer le CEA, les statuts publics, les conventions collectives, les comités d’entreprise, etc.

Appel résistance contre l'Union Européenne 2015Dans cette victoire historique, n’en déplaise au négationnisme antisoviétique qui domine l’historiographie officielle, l’URSS et l’Armée rouge avaient joué un rôle central comme le reconnaissait alors publiquement le Général De Gaulle. En France même, l’essentiel de la lutte armée avait été porté, du premier déraillement de 1940 à l’insurrection parisienne de 1944 en passant par les Maquis de Corrèze et par les combattants FTP et FTP-MOI, par les militants communistes pourtant frappés d’interdiction depuis 1939.

Aujourd’hui, toutes les conquêtes de la Résistance sont menacées et démantelées :

  • Notre pays n’est plus souverain : c’est l’UE et la BCE liées à l’oligarchie capitaliste qui dictent notre budget national. C’est le ministre allemand Schäuble qui ose déclarer qu’il faut « réformer la France de force », sans que Hollande le somme de s’excuser.
  • Par la voix de Denis Kessler, le MEDEF mandate les gouvernements successifs pour « démanteler le programme du CNR », liquider le secteur et les services publics, le Code du travail, la République une et indivisible pour « reconfigurer les territoires » (métropoles, euro-régions, fin des communes et des départements), dissoudre la France dans les Etats-Unis d’Europe et l’Union transatlantique sous l’égide de l’OTAN ;
  • Servilement obéie par le gouvernement Valls, la Commission européenne orchestre la casse des acquis sociaux, en France et dans toute l’Europe : retraites, remboursements des soins médicaux, indemnités chômage ; partout, les salaires sont comprimés pendant que les profits et les plus-values boursières s’envolent et que les capitalistes « français » parachèvent la casse du « produire en France »direct-pour-hollande-kiev-doit-organiser-le-referendum-sur-la-crimee
  • Totalement aligné sur la politique belliciste des USA, Hollande flirte odieusement avec les néonazis au
    pouvoir à Kiev
    , au risque de provoquer une conflagration avec la Russie, qui a perdu plus de 25 millions des siens dans la lutte contre le Reich hitlérien (plus de la moitié des pertes totales de la Seconde guerre mondiale) ;
  • Faussement internationalistes, la « construction » européenne et la politique maastrichtienne d’austérité favorisent partout la montée des pires extrémistes nostalgiques du Reich, elles accompagnent toutes les guerres impérialistes au Proche-Orient et en Afrique et elles pratiquent une politique de mort à l’égard des populations africaines contraintes à l’émigration par la déstabilisation de leurs pays respectifs.

Dans ces conditions, il ne suffit pas, comme nous le faisons au quotidien, de défendre la mémoire de la Résistance et de combattre la criminalisation du communisme historique, laquelle ne vise qu’à banaliser le fascisme tout en diabolisant les idées révolutionnaires. C’est au présent qu’il faut combattre les politiques actuelles qui visent à annuler 1945 en restaurant la toute-puissance de l’impérialisme allemand, plus arrogant que jamais, et de ses collaborateurs du grand capital « français ». Au cœur de ces politiques réactionnaires se trouve la prétendue « construction » euro-atlantique, conçue de A à Z pour détruire la souveraineté des peuples, substituer le contre-modèle anglo-saxon aux acquis du CNR, remplacer les langues nationales par le tout-anglais « transatlantique », écraser le prétendu « coût du travail », diviser les peuples et les travailleurs afin de détruire les garanties syndicales et de BRISONS LES CHAINES DE L UNION EUROPEENNEdominer les pays de l’Est et du Sud.

C’est pourquoi, rejetant le slogan mensonger de l’ « Europe sociale, pacifique et démocratique », nous appelons à résister au présent non pas en prétendant « démocratiser » la dictature euro-atlantique du grand capital, mais en appelant la France à SORTIR du cadre euro-atlantique pour retrouver la voie du progrès social, de l’indépendance nationale et de la coopération avec tous les pays et tous les continents.

C’est dans cet esprit que nous soutenons le rassemblement national que les Assises du communisme organisent à Paris le 30 mai pour inviter la France à sortir de la funeste monnaie unique, de l’UE supranationale et de l’OTAN sur des bases antifascistes, patriotiques et populaires, et dans la perspective d’une rupture avec la domination du grand capital.

  • LEON LANDINI, Officier FTP-MOI – Président de l’Amicale des Anciens FTP – MOI de la région Rhône-Alpes – Interné de la Résistance et Grand Mutilé de Guerre – Officier de la Légion d’Honneur – Médaille de la Résistance – Décoré par l’URSS.
  • PIERRE PRANCHERE, résistant FTPF-COPA  – Ancien député PCF de Tulle -Député honoraire au Parlement Européen.
  • HENRIETTE DUBOIS, Officier d’Etat-Major Zone Sud FTP, Croix de combattant volontaire de la Résistance, Officier de la Légion d’Honneur.
  • HERMINE PULVERMACHER, Ancienne résistante FTP- MOI – Chevalier de la Légion d’Honneur – Chevalier dans l’Ordre National du Mérite –  Secrétaire Générale du Groupe des députés Communistes à l’Assemblée Nationale pendant 37 ans.
  • LEON PULVERMACHER, fils de déportés – Interprète International.
  • Hemmen Jean-Pierre, fils de Résistant fusillé au Mont-Valérien
  • Gastaud Georges, fils de Résistant gaulliste
  • Lacroix-Riz Annie, petite-fille de déporté, professeur émérite d’histoire contemporaine Université Paris 7
  • Landini Gilda, professeur agrégée d’histoire, fille de Résistant FTP-MOI
  • Manessis Antoine, fils de Résistants, père EAM-ELAS (Pirée), mère FFI (Grenoble)
  • Mateu-Casado Annette, fille de communistes républicains espagnols
  • Sanfelieu Jany, fille de combattant républicain espagnol antifasciste
  • Tourné Claude-Emile, fils de André et Marie-France Tourné, résistants FTPF

Source: http://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/8-et-9-mai-2015-70e-anniversaire-de-la-victoire-des-peuples-sur-lallemagne-nazie/

Appel des Assises du Communisme à manifester le 30 mai pour la sortie de l’euro, de l’UE et de l’OTAN

Assises-du-communisme-manifestation-30-mai

10 ème anniversaire de la victoire du NON au Traité Constitutionnel Européen

APPEL À MANIFESTER LE 30 MAI 2015 À PARIS

à la suite de cet appel, lire le commentaire du PRCF et son APPEL A L’ACTION !

Déclaration commune des organisations composant les Assises du Communisme

LE CAPITALISME NE PEUT PAS RÉPONDRE AUX BESOINS DU PEUPLE
IL FAUT SORTIR DE L’EURO, DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE l’OTAN

Pour un front populaire, patriotique et antifasciste, pour la reconquête de la souveraineté nationale

La situation politique nationale et internationale est de jour en jour plus inquiétante.

Sur la planète, les guerres impérialistes menées par les impérialistes américains et européens qui soutiennent les forces ouvertement fascistes en Ukraine, les crimes colonialistes en Palestine et les terroristes en Syrie, en Irak, en Afrique et provoquent ainsi une logique daffrontement contre la Chine, la Russie, lAmérique Latine.

En France, offensive patronale stimulée par Valls et Hollande et les surenchères des Sarkozy, Juppé et Fillon contre ce qui reste des conquêtes sociales et des services publics, contre la souveraine nationale, les communes, légali des droits, la laïcité.

L«Europe social, les «guerres humanitaires», l«euro au service des peuple sont des mensonges qui désarment le mouvement ouvrier et populaire, les luttes des salariés et truisent les services publics.

Les salariés confrontés à la casse de leur emploi l’ont compris. Par leur lutte ils posent la question d’une autre société. Ainsi les marins de la SNCM s’opposent à la circulaire sur les travailleurs détachés, les ouvriers de Fralib disent haut et fort que l’entreprise leur appartient, les salariés du commerce, de la SNCF, d’Air France s’opposent à la dérèglementation et la libéralisation imposée par cette union du capitalisme européen.

Il y a urgence à sister à cette logique de guerre et de régression des salaires, pensions et allocations !

Si notre NON a été bafoué les luttes d’aujourd’hui montrent que la partie n’est pas gagnée pour les forces du OUI.

Il y a 10 ans, le peuple de France avait bousculé tous les pronostics avec la victoire du NON au traité constitutionnel européen. UMP, PS et UDI ont refu de respecter ce vote, et veulent nous enfermer dans une fausse alternative: soit le soutien aux politiques proeuropéennes, soit lextrême droite bleu marine et sa face cachée o-nazie des identitaires et autres amis de Dieudonet Soral.

UE NONNotre peuple a la force de refuser de nouveau, de construire pas à pas un Front Populaire Patriotique de résistance à l’austérité, aux guerres coloniales, au racisme, au fascisme, aux localisations, aux privatisations, au traité transatlantique.
Les participants des Assises du Communisme appellent le
peuple de France, les forces patriotiques, syndicales, politiques et associatives allant au bout de leur démarche de résistance à l’UE qui ont fait la victoire du NON à sortir de l’euro, de l’UE, de l’Alliance atlantique pour résister et ouvrir, en sortant du capitalisme, une nouvelle voie de développement.

En nous appuyant sur les luttes en cours et celles en devenir, nous proposons aux militants et aux organisations communistes, aux syndicats, aux progressistes et patriotes antiracistes et antifascistes, à tous ceux qui sopposent à cette guerre de classe européenne et qui ont mili pour la victoire du NON au TCE, de construire ensemble une grande manifestation unitaire le 30 mai 2015 à Paris.

Le 9 Mai, dite « journée de lEurope», est le 70ème anniversaire de la victoire contre le nazisme. Nous appelons à faire cette journée des rassemblements régionaux de mobilisation pour préparer le 30 Mai.

C’est la meilleure réponse à la crise de ce gouvernement «de gauche» dont le peuple ne veut plus, pour ne pas laisser la place à cette Marine Le Pen qui non seulement ne combat pas le capitalisme mais amène le pire. Ainsi nous rendrons visible la capaci populaire de résistance et clamerons qu’il faut briser ce carcan des peuples quest l’UE pour une perspective progressiste de souveraineté nationale et populaire, de coopération internationale, de progrès social et démancipation populaire, dans lesprit du programme du Conseil National de la Résistance «Les Jours heureux»,

clarations communes des organisations composant les Assises du Communisme

Action Communiste , Collectif POLEX, Coordination Communiste 59/62 , Cercle Communiste dAlsace, Gauche Communiste du PCF, Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), Réseau Faire Vivre et Renforcer le PCF , Rouges Vifs Bouches du Rne , Rouges Vifs Ile de France.

Adresse du PRCF à ses militants et sympathisants à propos de la manifestation du 30 mai :

LE POLE DE RENAISSANCE COMMUNISTE EN FRANCE est particulièrement heureux de communiquer aux visiteurs de son site www.initiative-communiste.fr l’appel ci-dessus émanant du Comité de Liaison des Assises du Communisme.

Pris en étau entre le Parti Maastrichtien Unique (PMU, composé du PS, de l’UDI et de l’UMP) et l’U.M.’ Pen ultra-réactionnaire en gestation, paralysé par les états-majors euro-formatés et hollando-complaisants de la gauche établie et des confédérations syndicales, le mouvement populaire français vit une situation très difficile. C’est pour desserrer, puis briser l’étau politique qui broie notre peuple, que le PRCF appelle depuis le printemps dernier les forces communistes, progressistes, patriotiques républicaines et syndicalistes, à organiser une grande manifestation unitaire pour sortir la France du mouroir de l’euro, de l’UE atlantique dans la perspective clairement posée d’une rupture révolutionnaire avec le capitalisme. Pour cela, il est indispensable de se saisir de deux anniversaires importants:

  • celui du 70ème anniversaire de la victoire des peuples sur l’Europe hitlérienne (8 mai 1945); ne laissons pas non plus sans riposte la prétendue « journée de l’Europe », que l’UE a placée, de manière provocatrice, le 9 mai, date où l’Allemagne nazie s’est rendue à son principal vainqueur, l’Union soviétique;
  • celui du 29 mai 2005, date de la victoire historique du NON à la constitution européenne que le PMU a violée en prenant appui sur les graves inconséquences de certains dirigeants du camp du Non appelant Chirac à « renégocier la constitution européenne » en « prenant appui sur le non français » (M.-G. Buffet). Les 29 et 30 prochain ne laissons pas le « rassemblement bleu marine » dévoyer et polluer la victoire du peuple français, construisons dans la rue une alternative « rouge Marianne », unissant le drapeau rouge au drapeau tricolore comme sut le faire le PCF en 36 ou en 45, rouvrons la perspective politique en dessinant les voies du FRONT ANTIFASCISTE, PATRIOTIQUE ET POPULAIRE (FRAPP!) qui, en sortant la France du broyeur euro-atlantique, rouvrira mieux que cent discours la voie du socialisme pour la France.

Dès aujourd’hui tous ensemble – militants du PRCF, sympathisants… prenons la mesure de l’évènement majeur que constitue l’Appel du Comité de Liaison des Assises du Communisme (CLAC), diffusons le, sur la Toile, en tracts, le plus largement, si possible avec nos camarades des autres organisations des Assises. Mettons la préparation des 9 et 30 mai au cœur des discussions et des initiatives de la 4ème Conférence nationale du PRCF en mars prochain.

Par ailleurs, le PRCF appelle ses militants et sympathisants à assister nombreux au MEETING UNITAIRE du CNR-RUE qui aura lieu à St-Denis le 7 février prochain dans le but de relancer la résistance républicaine à l’UE et de « faire la fête » de l’UE antisociale, néolibérale et belliqueuse à l’occasion du 10ème anniversaire du 29 mai 2005. Que de toutes parts montent les initiatives convergentes pour combattre l’Union Européenne.

Avec le PRCF et les JRCF, joyeux Noël rouge, activons l’action pour l’unité d’action des communistes, pour le front des syndicalistes de lutte, pour le rassemblement populaire majoritaire du peuple français, pour le progrès social, l’indépendance nationale, la coopération internationale et la défense de la Paix.

Le secrétariat du PRCF – 25 décembre 2014, 94e anniversaire du Congrès de Tours

 

Source: http://www.initiative-communiste.fr/articles/luttes/appel-des-assises-du-communisme-a-manifester-le-30-mai-pour-la-sortie-de-leuro-de-lue/

Un Appel à commémorer le 70ième Anniversaire de la Victoire des Alliés et de l’URSS sur le fascisme

Pour saluer les commémorations du 70ième Anniversaire de la Victoire sur le fascisme, RCC présente tel quel le texte du PRCF qui invite les communistes à commémorer cet important Anniversaire par le biais des Assises du communisme 

9 mai 2015 70ème anniversaire de la victoire des Alliés, notamment de l’URSS, sur l’Allemagne nazie,

Avec les Assises du communisme, ripostons à la pseudo-journée de l’Europe le 9 mai, 

et préparons le rassemblement unitaire du 30 mai à Paris

contre l’euro, l’UE et l’OTAN, dans la perspective du socialisme pour la France.

Capture d'écran sur la question de la construction du parti

 

A l’occasion du 9 mai 70e anniversaire de la victoire contre le fascisme, jour de la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne nazie, les militants communistes du PRCF et des différentes organisations des Assises du Communisme organisent des rassemblements  à Paris et en province. Pour se mobiliser contre le fascisme. Pour riposter à la dictatoriale Union Européenne du Capital qui a fait le choix de ce jour symbolique du 9 mai pour une soit disant Journée de l’Europe préférant activer les feux de la guerre et du fascisme en Ukraine que de commémorer la libération de l’Europe de l’horreur et la barbarie nazie conquis principalement par l’URSS qui supporta l’essentiel des victimes de la guerre et des pertes pour la victoire.

Mobilisons nous et rejoignons les rassemblements organisés en régions et à Paris :

Paris, Marseille, Lyon, Lille, Bordeaux, Nice, Tulles … Tous ensemble, résistance !

A Paris : au Falstaff place de la Bastille de 16 à 19h

9 mai 1945 : capitulation de l’Allemagne nazie face à l’URSS et victoire des Alliés

9 mai 2015 : 70e anniversaire de la victoire soviétique… et appel à la Résistance !

Avec les Assises du communisme, refusons la « fête de l’Europe » et transformons le 9 mai en FÊTE À L’EUROPE !

Préparons tous le rassemblement unitaire du 30 mai à Paris pour sortir de l’UE, de l’euro et de l’OTAN !

Rendez-vous à 16h au café Falstaff à Paris (métro Bastille), pour impulser la dynamique en faveur de la grande unité populaire !

Communiqué du PRCF 19 – Commémorer et saluer la victoire du 8 mai 1 945

Cette victoire d’une coalition formée par l’URSS, la Grande-Bretagne, les USA et la France Libre mettait fin à une guerre longue et cruelle qui a ravagé l’Europe, et annonçait la fin prochaine des combats en Asie.

Cette guerre était venue de loin : elle continuait la violence appliquée aux peuples des pays centraux par les partis fascistes et nazis : des partis violents, qui s’arrogeaient le droit de tuer, et par des États dont les gouvernements inscrivaient dans les lois et pratiquaient la hiérarchie des races, l’ordre inégal et l’arbitraire qu’ils héritaient des régimes d’ordre divin ; ces Etats servaient avec obséquiosité les plus gros propriétaires de terres et d’autres capitaux de leurs pays.

Partie de la Hongrie en 1 918, la formation de ces Etats s’est répandue en Italie, dans la péninsule balkanique,en Pologne, dans les pays baltes, puis en Allemagne et en Autriche : tous ces partis violents et ces gouvernements justifiaient la violence appliquée à leurs propres peuples en désignant la Russie soviétique, puis l’URSS comme leur ennemi principal.

Personne en Europe ne doutait de l’agressivité de ces États.

En France et en Angleterre, certains s’en félicitaient et disaient ouvertement leur espoir de constituer ces pays de la même manière violente, inégalitaire et raciste en portant à leurs gouvernements de tels partis.

Leur influence rendit les gouvernements français et britanniques sourds aux appels à la formation d’une alliance capable de faire barrage aux prétentions guerrières de l’Allemagne nazie et de ses alliés.

Leur surdité conduisit le gouvernement soviétique à éloigner de ses frontières les armées des alliés de l’Allemagne : elle le fit en 1 939 en Pologne et dans les pays baltes en appliquant les clauses du pacte de non agression signé par Molotov et Ribbentrop, puis en Carélie.

Cette même surdité poussée jusqu’à l’absurde permit aux armées des pays nazis et fascistes de conquérir toute l’Europe sauf l’Angleterre, puis de se lancer à l’assaut de l’URSS, assiégeant Léningrad et parvenant à trente kilomètres de Moscou. Alors, Londres et Washington consentirent à ouvrir les yeux et les oreilles, mais l’aide matérielle n’est venue qu’après la bataille de Stalingrad !

Car aussi, les dimensions des territoires conquis par les armées fascistes et nazies font apparaître les positions prises par l’armée et la flotte rouges au cours des années 1 939 et 1 940 pour ce qu’elles sont : des précautions défensives pouvant au plus retarder l’invasion de quelques jours ; ces mêmes dimensions font la preuve qu’avant l’année 1939, l’URSS ne s’était pas préparée à la guerre : elle comptait bien davantage sur la loyauté des gouvernements français et britanniques !…

Sa première victoire, l’armée rouge l’a remportée devant Moscou, repoussant l’envahisseur de plus de cent kilomètres et brisant les derniers espoirs hitlériens de guerre-éclair ; cette victoire n’est pas tombée du ciel, et le « général Hiver », sévissant aussi bien contre les soldats rouges que contre les soldats allemands, n’y est pour rien.

Ce qui a fait cette victoire, ce sont les unités grandes ou petites de l’armée rouge qui se retiraient en combattant l’ennemi, de coups d’arrêt suivis de contre-attaques en coups d’arrêt suivis de contre-attaques, ou qui combattaient pour rompre l’encerclement : avancer coûtait cher à l’envahisseur.

Ce qui a fait cette victoire, ce sont ces groupes de partisans qui se formaient dans les populations des territoires occupés, et qui harcelaient l’ennemi : l’occupation coûtait cher à l’occupant.

Ce qui a fait cette victoire, c’est l’extraordinaire sauvetage de l’industrie soviétique d’armement, démontée machine par machine, four par four, atelier par atelier, transportée jusque dans l’Oural et remontée, sans interrompre la production plus de quelques semaines, de telle manière que l’Armée rouge n’a jamais souffert du manque de ses armes ni de son matériel !

Ce qui a fait cette victoire et préparé toutes les suivantes, ce sont en définitive les citoyennes et les citoyens soviétiques défendant leur terre avec leurs mains et leur intelligence.

Ils l’ont payée au prix fort : vingt-sept millions d’entre eux sont morts de cette guerre ; parmi ces morts, neuf millions ont été tués au combat ; parmi ces militaires tombés, il y a trois millions de communistes.

Il est vrai aussi que cette victoire fut celle d’une coalition, qui s’est formée au cours de la guerre : résistant aux bombardements de la Luftwaffe, la Grande-Bretagne était alliée de fait de l’URSS dès 1940 et seule en Europe ; en France par contre, le maréchal Pétain avait mis fin à la République, proclamé l’Etat français qu’il avait aussitôt allié à l’Allemagne hitlérienne et à l’Italie mussolinienne, favorisant par son principe corporatif l’intégration de l’industrie française à celle de l’Allemagne, permettant aux SS de recruter en France, et recrutant lui-même une Légion de Volontaires français contre le Bolchévisme, pour l’envoyer combattre l’URSS dans les rangs de l’alliance nazie-fasciste.

Mais en France, tout le monde n’obéïssait pas : l’invasion du pays n’était pas achevée qu’une vingtaine d’appels à résister étaient lancés et diffusés dans tout le pays ; les deux plus célèbres sont aujourd’hui celui du général De Gaulle, lancé le dix-huit juin à la radio de Londres, et celui du parti communiste français signé de Maurice Thorez et de Jacques Duclos, publié le dix juillet et diffusé clandestinement dans toute la France pendant tout l’été ; les sabotages commencèrent à la fin de l’été 1940, et les attentats au début de l’automne : la Résistance s’est ensuite amplifiée non sans pertes, mais sans cesse, jusqu’à culminer dans l’insurrection nationale libératrice de l’été 1944.

Tous les Résistants étaient conscient de combattre le même ennemi que l’Armée rouge : partout, on suivait les mouvements du « front de l’est », et certains les reportaient sur des cartes ; la bataille de Stalingrad était suivie jour après jour, et la Résistance s’en servait pour provoquer l’ennemi en traçant sur nos murs, là où les occupants auraient le plus de chance de le lire, la nouvelle : « Stalingrad n’est pas pris ! »

Notre Résistance a vaincu le fascisme français, entravé les mouvements des régiments et divisions nazies de manière à assurer la réussite du débarquement allié de Normandie ; elle a ainsi fait la place de la France libre que le Général De Gaulle a dignement représentée aux côtés des Alliés dans l’accomplissement de la victoire antifasciste de 1945.

Nous attendions de cette victoire qu’elle libère en Europe et dans le monde entier le développement de la liberté, de l’égalité en droits et qu’elle assure la paix sur la Terre.

Mais aujourd’hui, après soixante-dix ans, il faut de nouveau sonner l’alarme : le racisme, le fascisme, le nazisme renaît dans toute l’Europe.

Comment se fait-il que les gouvernements de la France, de l’Angleterre, de l’Italie, de l’Espagne et des USA apportent aux bandes nazies qui ravagent l’Ukraine une aide sans laquelle ces bandes seraient déjà vaincues ?

Comment se fait-il que des groupes politiques continuateurs de tous les racismes, de tous les fascismes, violents au point de s’arroger le droit de tuer, se forment à nouveau dans tous les pays d’Europe, et bénéficient souvent de la protection de la police contre les citoyens avides de liberté, d’égalité en droits et de paix ?

Nous ne pouvons pas permettre à ces groupes violents de répandre leur violence et leurs dénis de justice : rappelons les serments que prononçaient les déportés au moment de quitter les camps de concentration dont les gardiens avaient fui, de ne jamais oublier leurs souffrances et de ne jamais cesser la lutte contre le fascisme !

Tenons ces serments et luttons pour battre enfin les continuateurs de tous les racismes, du nazisme, du fascisme.

Soyons solidaires des membres des peuples, quelles que soient les langues qu’ils parlent et quelle que soient leurs religions et leurs philosophies, qui se dressent contre la renaissance et l’arrogance des fascismes !

Faisons vivre la victoire du 8 mai 1945 !  Vivent la liberté et l’égalité en droits !  Vive la paix !

Tulle, le 7 mai 2015

  • Pierre Pranchère, ancien résistant, ancien député européen – vice-président du Pôle de Renaissance communiste en France
  • Jean-Pierre Combe, chef d’escadron d’artillerie honoraire, ORSEM – secrétaire départemental de l’Association de Renaissance communiste en France

A propos du Veilleur de Pierre

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1944 vers minuit, une explosion se produisait au café-restaurant « Le Moulin À Vent » situé place Bellecour à Lyon, à l’angle de la rue Gasparin .
Réquisitionné par les autorités d’occupation, cet établissement était un lieu uniquement fréquenté par des officiers SS de la gestapo et de la milice.
Or, le matin même, 27 juillet vers midi, un soleil ardent inonde la place Bellecour. La foule est particulièrement dense, des piétons se hâtent, les véhicules précipitent leur dernier trajet de la matinée.
Une heure bien choisie, en plein centre ville, pour une manifestation sanglante, dans le but d’ inspirer à la population  une terreur salutaire.
Des militaires allemands, sans casques, armés de mitraillettes et de fusils,descendent de voiture à la hauteur du restaurant. En quelques instants ils interdisent la circulation, immobilisent les véhicules, bouclent la partie nord de la place, rassemblent les piétons sur les trottoirs.
Peu après, du pont de la Guillotière et de la rue de la Barre, venant de la direction de la prison Montluc  , une auto survient à vive allure. Elle stoppe face au restaurant éventré ,la portière de la voiture s’ouvre, un à un 5 hommes jeunes en descendent, tête nue, revêtus de costumes civils.
Dès qu’ils ont posé le pied à terre, des coups de feu retentissent successivement, cinq corps s’abattent, quatre sur le trottoir, un sur la chaussée, la tête dans la rigole. Il est 12h10.
Aux détonations et au spectacle, un remous agite la foule, une partie est prise de panique. Les victimes baignent dans leur sang. Chez l’une d’elles, les pantalons relevés montrent les jambes couvertes de pansements. Un autre bouge encore, plusieurs personnes qui veulent intervenir sont repoussées ; une infirmière de la Croix-rouge qui insiste pour porter secours et repoussée elle aussi.
Interdisant à quiconque de les approcher, leurs corps martyrisés restèrent plus de 3h00 sous un soleil de plomb. Afin de les exposer au regard d’une foule impuissante et attérée; que leur mort tragique était destinée à frapper d’intimidation, par une exhibition de cruauté appelant les passants à la méditation.
Le lendemain dans la presse aux ordres et sous la censure de l’occupant l’information donnée était la suivante : « châtiment rapide d’un attentat »


« Une bombe explosait dans un restaurant de Bellecour… Cet établissement était fréquenté par une clientèle allemande. Une opération rapide permettait peu après l’arrestation de cinq personnes faisant partie du groupe terroriste responsable de l’attentat elles ont été exécutées sur les lieux de leur forfait le lendemain même de l’explosion»… « 
Une seule chose pêchait dans l’information, c’est qu’elle était fausse.»
En effet les fusillés furent bientôt identifiés,  ils étaient :
BERNARD René, 40 ans, né le 3 octobre 1904 à Malakoff (Seine), chauffeur, militant communiste ; il appartenait au front national (ndlr organisation de résistance communiste) lors de son arrestation le 22 juillet 1944 à Mâcon.
CHAMBONNET Albert, 41 ans, né le 27 juillet 1903 à Bessèges (Gard) marié, père de cinq enfants. Officier d’aviation, sous le pseudonyme de « Didier » chef régional de L’Armée Secrète et des FFI de la région Rhône-Alpes ; il était détenu depuis le 10 juin 1944, date à laquelle, rue de la République, À Lyon, il était tombé entre les mains de la police allemande.
CHIRAT Francis, 27 ans, né le 7 août 1916 à Villeurbanne (Rhône), employé, militant catholique

.- DRU Gilbert, né le 2 mars 1920 à Lyon (7e arrondissement), étudiant en lettres, militant catholique.

DRU et CHIRAT appartenaient à une organisation chrétienne de la Résistance. Ils avaient été arrêtés par la gestapo le 17 juillet 1944, à la fin d’une réunion tenue dans l’appartement de M. Guérin directeur du journal « Liberté » alors clandestin. DRU se destinait au journalisme. Quant  à CHIRAT ils appartenaient au Mouvement Ouvrier Catholique.
PFFEFFER Léon, 21 ans, né le 12 octobre 1922 à Nancy ( Meurthe-et-Moselle). Militant communiste d’origine juive, membre des F. T. P. F.et du bataillon  « Carmagnole », il avait été trouvé porteur d’un chargeur de mitraillettes  lors de son arrestation. D’après un de ses compagnons de captivité à Montluc, le 26 juillet il avait subi son troisième interrogatoire. Attaché par le cou avec un ceinturon de cuir. Chaque coup provoquait un commencement de strangulation, il était couvert de blessures.
Ces cinq patriotes de croyance et d’origines sociales différentes, emprisonnés, torturés, au fort Montluc depuis plusieurs jours même plusieurs semaines pour certains, ne pouvaient avoir participé à l’attentat. Ils appartenaient à des mouvements de Résistance différents, mais il se battaient pour la même cause, avec la même volonté, celle de la libération du sol national, mais aussi la libération de l’Homme que les nazis avaient voulu avilir.  Avec une ardeur et un courage animé par leur amour de la liberté, d’un espoir pour un avenir meilleur, qui unissaient dans ce même idéal : «celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas ».
Voilà ce que symbolise « le Veilleur de Pierre » , à l’emplacement où le nazisme a voulu donner un exemple de domination par sa cruauté, il a rassemblé cinq patriotes d’un même combat, celui de la Résistance, le « Veilleur de Pierre » rappelle au civisme, à l’enseignement, à la vigilance pour éviter le retour de génocides et éveiller les jeunes générations afin d »assurer leur avenir.  il est le gardien du sanctuaire, de ce fait, sacré et inviolable, qui perpétue une des plus belles pages de l’histoire de France: la Résistance!

Avec les Assises du communisme, refusons la « fête de l’Europe » et transformons le 9 mai en FÊTE À L’EUROPE !

Préparons tous le rassemblement unitaire du 30 mai à Paris pour sortir de l’UE, de l’euro et de l’OTAN !

Rendez-vous à 16h au café Falstaff à Paris (métro Bastille), pour impulser la dynamique en faveur de la grande unité populaire !

Source: http://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/9-mai-70e-anniversaire-de-la-victoire-contre-le-fascisme-ripostons-a-la-pseudo-journee-de-leurope-rassemblements-unitaires-a-paris-lyon-marseille-lille/

La maladie infantile du communisme, « le gauchisme »

V.I. Lénine

Le début de la Révolution prolétarienne mondiale

 La maladie infantile du communisme

(le “ gauchisme ”)

 

Symbole du communisme avec une planète en feu(1)

 

Avril-mai 1920

Cet ouvrage a été rédigé en avril 1920 et son additif en mai. Son objectif était de nourrir la discussion du II° congrès de l’Internationale communiste. Il sera distribué à tous les délégués à ce congrès avant d’être publié par les principales sections de l’I.C.

1.    Dans quel sens peut-on parler de portée internationale de la révolution russe ?

Pendant les premiers mois qui suivirent la conquête du pouvoir politique par le prolétariat en Russie (25 octobre – 7 novembre 1917), il pouvait sembler que les différences très marquées entre ce pays arriéré et les pays avancés d’Europe occidentale y rendraient la révolution du prolétariat très différentes de la nôtre.

Aujourd’hui nous avons par devers nous une expérience internationale fort appréciable, qui atteste de toute évidence que certains traits essentiels de notre révolution n’ont pas une portée locale, ni particulièrement nationale, ni uniquement russe, mais bien internationale.

Et je ne parle pas ici de la portée internationale au sens large du mot : il ne s’agit pas de certains traits, mais tous les traits essentiels et aussi certains traits secondaires de notre révolution ont une portée internationale, en ce sens qu’elle exerce une action sur tous les pays. Non, c’est dans le sens le plus étroit du mot, c’est à dire en entendant par portée internationale la valeur internationale ou la répétition historique inévitable, à l’échelle internationale, de ce qui c’est passé chez nous, que certains traits essentiels ont cette portée.

Certes, on aurait grandement tort d’exagérer cette vérité, de l’entendre au-delà de certains traits essentiels de notre révolution. On aurait également tort de perdre de vue qu’après la victoire de la révolution prolétarienne, si même elle n’a lieu que dans un seul des pays avancés, il se produira, selon toute probabilité, un brusque changement, à savoir : la Russie redeviendra, bientôt après, un pays, non plus exemplaire, mais retardataire (au point de vue « soviétique » et socialiste).

Mais en ce moment de l’histoire, les choses se présentent ainsi : l’exemple russe montre à tous les pays quelque chose de tout à fait essentiel, de leur inévitable et prochain avenir. Les ouvriers avancés de tous les pays l’ont compris depuis longtemps, mais le plus souvent ils ne l’ont pas tant compris que pressenti avec leur instinct de classe révolutionnaire.

D’où la « portée » internationale (au sens étroit du mot) du pouvoir des Soviets, et aussi des principes de la théorie et de la tactique bolcheviques. Voilà ce que n’ont pas compris les chefs « révolutionnaires » de la II° Internationale, tels que Kautsky en Allemagne, Otto Bauer et Friedrich Adler en Autriche, qui, pour cette raison, se sont révélés des réactionnaires, les défenseurs du pire opportunisme et de la social-trahison. Au fait, la brochure anonyme intitulée la Révolution mondiale (Weltrevolution), parue à Vienne en 1919 (« Sozialistische Biicherei« , Heft II; Ignaz Brand), illustre avec une évidence particulière tout ce cheminement de la pensée, ou plus exactement tout cet abîme d’inconséquence, de pédantisme, de lâcheté et de trahison envers les intérêts de la classe ouvrière, le tout assorti de la « défense  » de l’idée de « révolution mondiale ».

Mais nous nous arrêterons plus longuement sur cette brochure une autre fois. Bornons-nous à indiquer encore ceci: dans les temps très reculés où Kautsky était encore un marxiste, et non un renégat, en envisageant la question en historien, il prévoyait l’éventualité d’une situation dans laquelle l’esprit révolutionnaire du prolétariat russe devait servir de modèle pour l’Europe occidentale. C’était en 1902; Kautsky publia dans l’Iskra révolutionnaire un article intitulé « Les Slaves et la révolution ». Voici ce qu’il y disait :

« A l’heure présente (contrairement à 1848), on peut penser que les Slaves ont non seulement pris rang parmi les peuples révolutionnaires, mais aussi que le centre de gravité de la pensée et de l’action révolutionnaire se déplace de plus en plus vers les Slaves. Le centre de la révolution se déplace d’Occident en Orient. Dans la première moitié du XIX° siècle, il se situait en France, par moments, en Angleterre. En 1848, l’Allemagne à son tour prit rang parmi les nations révolutionnaires… Le nouveau siècle débute par des événements qui nous font penser que nous allons au-devant d’un nouveau déplacement du centre de la révolution, à savoir : son déplacement vers la Russie… La Russie, qui a puisé tant d’initiative révolutionnaire en Occident, est peut-être maintenant sur le point d’offrir à ce dernier une source d’énergie révolutionnaire. Le mouvement révolutionnaire russe qui monte sera peut-être le moyen le plus puissant pour chasser l’esprit de philistinisme débile et de politicaillerie, esprit qui commence à se répandre dans nos rangs ; de nouveau ce mouvement fera jaillir en flammes ardentes la soif de lutte et l’attachement passionné à nos grands idéaux. La Russie a depuis longtemps cessé d’être pour l’Europe occidentale un simple rempart de la réaction et de l’absolutisme. Aujourd’hui, c’est peut-être exactement le contraire qui est vrai. L’Europe occidentale devient le rempart de la réaction et de l’absolutisme en Russie… Il y a longtemps que les révolutionnaires russes seraient peut-être venus à bout du tsar,’ s’ils n’avaient pas eu à combattre à la fois son allié, le capital européen. Espérons que, cette fois, ils parviendront à terrasser les deux ennemis, et que la nouvelle « sainte alliance » s’effondrera plus vite que ses devanciers. Mais quelle que soit l’issue de la lutte actuellement engagée en Russie, le sang et les souffrances des martyrs qu’elle engendre malheureusement en nombre plus que suffisant, ne seront pas perdus. Ils féconderont les pousses de la révolution sociale dans le monde civilisé tout entier, les feront s’épanouir plus luxuriantes et plus rapides. En 1848, les Slaves furent ce gel rigoureux qui fit périr les fleurs du printemps populaire. Peut-être leur sera-t-il donné maintenant d’être la tempête qui rompra la glace de la réaction et apportera irrésistiblement un nouveau, un radieux printemps pour les peuples. » (Karl Kautsky: « Les Slaves et la révolution », article paru dans l’lskra, journal révolutionnaire social-démocrate russe, n° 18, 10 mars 1902).

Karl Kautsky écrivait très bien il y a dix-huit ans!

2.    Une des conditions essentielles du succès des bolcheviks

Certes, presque tout le monde voit aujourd’hui que les bolcheviks ne se seraient pas maintenus au pouvoir, je ne dis pas deux années et demie, mais même deux mois et demi, sans la discipline la plus rigoureuse, une véritable discipline de fer dans notre parti, sans l’appui total et indéfectible accordé à ce dernier par la masse de la classe ouvrière, c’est-à-dire par tout ce qu’elle possède de réfléchi, d’honnête, de dévoué jusqu’à l’abnégation, de lié aux masses, d’apte à conduire derrière soi ou à entraîner les couches arriérées.

La dictature du prolétariat, c’est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classe contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de son renversement (ne fût-ce que dans un seul pays) et dont la puissance ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie, mais encore dans la force de l’habitude, dans la force de la petite production. Car, malheureusement, il reste encore au monde une très, très grande quantité de petite production: or, la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes proportions. Pour toutes ces raisons, la dictature du prolétariat est indispensable, et il est impossible de vaincre la bourgeoisie sans une guerre prolongée, opiniâtre, acharnée, sans une guerre à mort qui exige la maîtrise de soi, la discipline, la fermeté, une volonté une et inflexible.

Je répète, l’expérience de la dictature prolétarienne victorieuse en Russie a montré clairement à ceux qui ne savent pas réfléchir ou qui n’ont pas eu l’occasion de méditer ce problème, qu’une centralisation absolue et la plus rigoureuse discipline du prolétariat sont une des conditions essentielles pour vaincre la bourgeoisie.

On revient souvent là-dessus. Mais tant s’en faut qu’on se demande ce que cela signifie, dans quelles conditions la chose est possible. Les acclamations adressées au pouvoir des Soviets et aux bolcheviks, ne conviendrait-il pas de les accompagner un peu plus souvent d’une très sérieuse analyse des causes qui ont permis aux bolcheviks de forger la discipline indispensable au prolétariat révolutionnaire ?

Le bolchevisme existe comme courant de la pensée politique et comme parti politique depuis 1903. Seule l’histoire du bolchevisme, tout au long de son existence, peut expliquer de façon satisfaisante pourquoi il a pu élaborer et maintenir, dans les conditions les plus difficiles, la discipline de fer indispensable à la victoire du prolétariat.

Et tout d’abord la question se pose: qu’est-ce qui cimente la discipline du parti révolutionnaire du prolétariat? qu’est-ce qui la contrôle? Qu’est-ce qui l’étaye? C’est, d’abord, la conscience de l’avant-garde prolétarienne et son dévouement à la révolution, sa fermeté, son esprit de sacrifice, son héroïsme. C’est, ensuite, son aptitude à se lier, à se rapprocher et, si vous voulez, à se fondre jusqu’à un certain point avec la masse la plus large des travailleurs, au premier chef avec la masse prolétarienne, mais aussi la masse des travailleurs non prolétarienne. Troisièmement, c’est la justesse de la direction politique réalisée par cette avant-garde, la justesse de sa stratégie et de sa tactique politiques, à condition que les plus grandes masses se convainquent de cette justesse par leur propre expérience. A défaut de ces conditions, dans un parti révolutionnaire réellement capable d’être le parti de la classe d’avant-garde appelée à renverser la bourgeoisie et à transformer la société, la discipline est irréalisable. Ces conditions faisant défaut, toute tentative de créer cette discipline se réduit inéluctablement à des phrases creuses, à des mots, à des simagrées. Mais, d’autre part, ces conditions ne peuvent pas surgir d’emblée. Elles ne s’élaborent qu’au prix d’un long travail, d’une dure expérience; leur élaboration est facilitée par une théorie révolutionnaire juste qui n’est pas un dogme, et qui ne se forme définitivement qu’en liaison étroite avec la pratique d’un mouvement réellement massif et réellement révolutionnaire. Si le bolchevisme a pu élaborer et réaliser avec succès, de 1917-1920, dans des conditions incroyablement difficiles, la plus rigoureuse centralisation et une discipline de fer, la cause en est purement et simplement dans plusieurs particularités historiques de la Russie.

D’une part, le bolchevisme est né en 1903, sur la base, solide s’il en fut, de la théorie marxiste. Et la justesse de cette théorie révolutionnaire – et de cette théorie seule- a été prouvée non seulement par l’expérience universelle au XIX° siècle tout entier, mais encore et surtout par l’expérience des flottements et des hésitations, des erreurs et des déceptions de la pensée révolutionnaire en Russie. Pendant près d’un demi-siècle, de 1840-1890, en Russie, la pensée d’avant-garde, soumise au joug d’un tsarisme sauvage et réactionnaire sans nom, chercha avidement une théorie révolutionnaire juste, en suivant avec un zèle et un soin étonnant chaque « dernier mot » de l’Europe et de l’Amérique en la matière. En vérité, le marxisme, seule théorie révolutionnaire juste, la Russie l’a payé d’un demi-siècle de souffrances et de sacrifices inouïs, d’héroïsme révolutionnaire sans exemple, d’énergie incroyable, d’abnégation dans la recherche et l’étude, d’expériences pratiques, de déceptions, de vérification, de confrontation avec l’expérience de l’Europe. Du fait de l’émigration imposée par le tsarisme, la Russie révolutionnaire s’est trouvée être dans la seconde moitié du XIX° siècle infiniment plus riche en relations internationales, infiniment mieux renseignée qu’aucun autre pays sur les formes de théories du mouvement révolutionnaire dans le monde entier.

D’autre part, le bolchevisme né sur cette base théorique de granit, a vécu une histoire pratique de quinze années (1903-1917), qui, pour la richesse de l’expérience, n’a pas d’égale au monde. Aucun autre pays durant ces quinze années n’a connu, même approximativement, une vie aussi intense quant à l’expérience révolutionnaire, à la rapidité avec laquelle se sont succédé les formes diverses du mouvement, légal ou illégal, pacifique ou orageux, clandestin ou avéré, cercles ou mouvement de masse, parlementaire ou terroriste. Aucun autre pays n’a connu dans un intervalle de temps aussi court une si riche concentration de formes, de nuances, de méthodes, dans la lutte de toutes les classes de la société contemporaine, lutte qui, par suite du retard du pays et du joug tsariste écrasant, mûrissait particulièrement vite et s’assimilait avec avidité et utilement le « dernier mot » de l’expérience politique de l’Amérique et de l’Europe.

3.    Principales étapes de l’histoire du bolchevisme

Années de préparation de la révolution (1903-1905). On sent partout l’approche de la grande tempête. Fermentation et préparation dans toutes les classes de la société. A l’étranger, la presse de l’émigration pose théoriquement toutes les questions essentielles de la révolution. Les représentants des trois classes fondamentales, des trois principaux courants politiques, libéral-bourgeois, démocrate petit-bourgeois (se camouflant du pavillon « social-démocrate » ou « socialiste-révolutionnaire ») et prolétarien révolutionnaire, dans une lutte des plus acharnées où s’affrontent programmes et tactiques, … anticipent et préparent la future lutte de classes déclarée. Toutes les questions pour lesquelles les masses ont combattu les armes à la main en 1905-1907 et en 1917-1920, on peut (et l’on doit) les retrouver, sous une forme embryonnaire, dans la presse de l’époque. Et entre ces trois tendances principales il existe, bien entendu, une infinité de formations intermédiaires, transitoires, bâtardes. Plus exactement: c’est dans la lutte des organes de presse, des partis, des fractions, des groupes, que se cristallisent les tendances idéologiques et politiques qui sont réellement des tendances de classe; les classes se forgent l’arme idéologique et politique dont elles ont besoin pour les combats à venir.

Années de révolution (1905-1907). Toutes les classes s’affirment ouvertement. Toutes les conceptions de programme et de tactique se vérifient par l’action des masses. La lutte gréviste revêt une ampleur et une acuité sans précédent dans le monde. Transformation de la grève économique en grève politique, de la grève politique en insurrection. Vérification pratique des rapports entre le prolétariat dirigeant et la paysannerie dirigée, hésitante, instable. Naissance, dans le développement spontané de la lutte, de la forme d’organisation soviétique. Les débats de l’époque sur le rôle des Soviets anticipent la grande lutte des années 1917-1920. Succession des formes de lutte parlementaires et non parlementaires, de la tactique de boycottage du parlementarisme et de celle de la participation à ce dernier, des formes de lutte légales et illégales, de même que les rapports et liaisons qui existent entre ces formes, tout cela se distingue par une étonnante richesse de contenu. Chaque mois de cette période équivalait, pour l’enseignement des principes de la science politique – aux masses et aux chefs, aux classes et aux partis,- à une apnée de développement « pacifique », « constitutionnel ». Sans la « répétition générale » de 1905 la victoire de la Révolution d’Octobre 1917 eût été impossible.

Années de réaction (1907-1910). Le tsarisme a vaincu. Tous les partis révolutionnaires ou d’opposition sont écrasés. Abattement, démoralisation, scissions, débandade, reniement, pornographie au lieu de politique. Tendance accentuée à l’idéalisme philosophique; le mysticisme qui sert de masque à l’esprit contre-révolutionnaire. Mais en même temps, la grande défaite justement offre aux partis révolutionnaires et à la classe révolutionnaire une leçon véritable, infiniment salutaire, une leçon de dialectique historique et qui leur fait comprendre et apprendre l’art de soutenir la lutte politique. On connaît le véritable ami dans le besoin. Les armées défaites sont à bonne école.

Le tsarisme victorieux est obligé de détruire au plus vite les vestiges de l’ordre de choses prébourgeois, patriarcal de la Russie. Son développement bourgeois fait des progrès remarquablement rapides. Les illusions sur la possibilité de se situer en dehors, au-dessus des classes, sur la possibilité d’éviter le capitalisme, sont réduites en poussière. La lutte de classes s’affirme d’une façon toute nouvelle, avec d’autant plus de relief.

Les partis révolutionnaires doivent parachever leur instruction. Ils ont appris à mener l’offensive. Il faut comprendre maintenant que cette science doit être complétée par cette autre science : comment mieux reculer. Il faut comprendre, – et la classe révolutionnaire s’applique à comprendre par sa propre et amère expérience – qu’il est impossible de vaincre sans avoir appris la science de l’offensive et de la retraite. De tous les partis révolutionnaires ou d’opposition défaits, les bolcheviks furent ceux qui se replièrent avec le plus d’ordre, avec le moins de dommage pour leur « armée », avec le moins de pertes pour son noyau, avec les scissions les moins profondes et les moins irréparables, avec le moins de démoralisation, avec la plus grande capacité de fournir à nouveau le travail le plus large, le mieux conçu et le plus énergique. Et si les bolcheviks y sont parvenus, c’est uniquement parce qu’ils avaient dénoncé sans pitié et bouté dehors les révolutionnaires de la phrase qui ne voulaient pas comprendre qu’il fallait se replier, qu’il fallait savoir se replier, qu’il fallait absolument apprendre à travailler légalement dans les parlements les plus réactionnaires, dans les plus réactionnaires organisations syndicales, coopératives, d’assurances et autres organisations analogues.

Années d’essor (1910-1914). Au début l’essor fut incroyablement lent, puis, à la suite des événements de la Léna, en 1912, il se fit un peu plus rapide. Les bolcheviks, surmontant des difficultés inouïes, refoulèrent les mencheviks, dont le rôle d’agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier avait été admirablement compris, après 1905, par toute la bourgeoisie qui, pour cette raison, les soutenait de mille manières contre les bolcheviks. Pourtant les bolcheviks ne seraient jamais arrivés à ce résultat s’ils n’avaient appliqué la tactique juste qui allie le travail clandestin à l’utilisation expresse des « possibilités légales ». Dans la plus réactionnaire des Doumas, les bolcheviks surent gagner toute la curie ouvrière. Première guerre impérialiste mondiale (1914-1917). Le parlementarisme légal, étant donné le caractère profondément réactionnaire du « parlement », rend les plus grands services au parti du prolétariat révolutionnaire, aux bolcheviks. Les députés bolcheviks prennent le chemin de la Sibérie. Dans la presse de l’émigration, toutes les nuances d’opinions du social-impérialisme, du social-chauvinisme, du social-patriotisme, de l’internationalisme inconséquent ou conséquent, du pacifisme et de la négation révolutionnaire des illusions pacifistes, trouvent chez nous leur expression totale. Les savantasses et les vieilles commères de la II° Internationale, qui fronçaient le nez avec dédain et hauteur devant l’abondance des « fractions » dans le socialisme russe et devant la lutte acharnée qu’elles se livraient, n’ont pas su, au moment où la guerre abolissait dans tous les pays avancés la « légalité » tant vantée, organiser, même à peu près, un échange de vues aussi libre (illégal) et une élaboration aussi libre (illégale) de vues justes, que ceux que les révolutionnaires russes avaient su organiser en Suisse et dans plusieurs autres pays. C’est bien pourquoi les social-patriotes déclarés et les « kautskistes » de tous les pays se sont révélés les pires traîtres au prolétariat. Et si le bolchevisme a su triompher en 1917-1920, une des principales causes de cette victoire est que, dès la fin de 1914, il avait dénoncé sans merci la bassesse, la vilenie et la lâcheté du social-chauvinisme et du « kautskisme » (auquel correspondent le longuettisme[1] en France, les conceptions des chefs du Parti travailliste indépendant[2] et des fabiens[3] en Angleterre, de Turati en Italie, etc.), et que les masses s’étaient ensuite convaincues de plus en plus, par leur propre expérience, de la justesse des vues bolcheviques.

Deuxième révolution russe (de février à octobre 1917). La vétusté et la décrépitude incroyable du tsarisme (auxquelles s’ajoutaient les atteintes et les souffrances d’une guerre infiniment dure) avaient dressé contre lui une immense force de destruction. En quelques jours la Russie se transforma en une République démocratique bourgeoise plus libre – dans les conditions de la guerre – que n’importe quel pays du monde. Les chefs des partis d’opposition et des partis révolutionnaires se mirent en devoir de former le gouvernement tout comme dans les républiques les plus « strictement parlementaires »; et le titre de chef d’un parti d’opposition au parlement, même dans ce parlement tout ce qu’il y a de plus réactionnaire, facilitait le rôle que devait jouer plus tard un tel chef dans la révolution.

En quelques semaines mencheviks et « socialistes-révolutionnaires » s’assimilèrent admirablement tous les procédés et manières, les arguments et sophismes des héros européens de la II Internationale, des ministérialistes et autre ramassis opportuniste. Tout ce que nous lisons maintenant sur les Scheidemann et les Noske, sur Kautsky et Hilferding, Renner et Austerlitz, Otto Bauer et Fritz Adler, sur Turati et Longuet, sur les fabiens et les chefs du Parti travailliste indépendant d’Angleterre, nous semble (et l’est en réalité) une fastidieuse répétition, la reprise d’un vieil air connu. Tout cela, nous l’avons déjà vu chez les mencheviks. L’histoire a joué un tour de sa façon: elle a obligé les opportunistes d’un pays retardataire à anticiper le rôle des opportunistes de plusieurs pays avancés.

Si tous les héros de la II° Internationale ont fait faillite, s’ils se sont couverts de honte pour n’avoir pas compris la portée et le rôle des Soviets et du pouvoir des Soviets, si l’on a vu se déshonorer avec un singulier « éclat » et s’enferrer sur cette question les chefs de trois partis très importants actuellement sortis de la TP Internationale (à savoir: le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, le Parti longuettiste en France et le Parti travailliste indépendant d’Angleterre), si tous se sont montrés les esclaves des préjugés de la démocratie petite-bourgeoise (tout à fait dans le goût des petits bourgeois de 1848, qui se donnaient le nom de « social-démocrates »), tout cela nous l’avions déjà vu par l’exemple des mencheviks. L’histoire a joué ce bon tour que les Soviets sont nés en Russie, en 1905, qu’ils ont été falsifiés en février-octobre 1917 par les mencheviks qui firent banqueroute pour n’avoir pas su comprendre le rôle et la portée des Soviets, et que maintenant, dans le monde entier, est née l’idée du pouvoir des Soviets, idée qui se répand avec une rapidité prodigieuse dans le prolétariat de tous les pays, tandis que les héros attitrés de la W Internationale font partout banqueroute parce que ne comprenant pas, exactement comme nos mencheviks, le rôle et la portée des Soviets. L’expérience a prouvé que dans certaines questions très essentielles de la révolution prolétarienne, tous les pays passeraient inévitablement par où a passé la Russie.

Les bolcheviks commencèrent leur lutte victorieuse contre la République parlementaire (en fait) bourgeoise et contre les mencheviks, avec une extrême prudence; ils l’avaient préparée avec infiniment de soin, contrairement à l’opinion assez répandue aujourd’hui en Europe et en Amérique. Au début de cette période nous n’avons pas appelé à renverser le gouvernement; nous avons expliqué qu’il était impossible de le renverser sans que des changements préalables fussent intervenus dans la composition et la mentalité des Soviets. Nous n’avons pas proclamé le boycottage du parlement bourgeois, de la Constituante; mais nous avons dit, – nous l’avons dit officiellement, au nom du parti, dès notre Conférence d’avril 1917, – qu’une république bourgeoise avec une Constituante valait mieux que cette même république sans Constituante, mais qu’une République « ouvrière et paysanne », soviétique, valait mieux que toute république démocratique bourgeoise, parlementaire. Sans cette préparation prudente, minutieuse, circonspecte et persévérante, nous n’eussions pu ni remporter la victoire en octobre 1917, ni maintenir cette victoire.

4.    Dans la lutte contre quels ennemis au sein du mouvement ouvrier, le bolchevisme s’est-il développé, fortifié, aguerri ? –ANARCHISME !

C’est, d’abord et surtout, en combattant l’opportunisme qui, en 1914, s’est définitivement mué en social-chauvinisme et s’est définitivement rangé aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Il fut naturellement le principal ennemi du bolchevisme au sein du mouvement ouvrier. C’est encore le principal ennemi à l’échelle internationale. C’est à cet ennemi que le bolchevisme a consacré et consacre le maximum d’attention. Aujourd’hui cet aspect de l’activité des bolcheviks est assez connu, même à l’étranger. On ne peut pas en dire autant de l’autre ennemi du bolchevisme au sein du mouvement ouvrier. On ne sait pas encore suffisamment à l’étranger que le bolchevisme a grandi, s’est constitué et s’est aguerri au cours d’une lutte de longues années contre l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ou lui fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge aux conditions et aux nécessités d’une lutte de classe prolétarienne conséquente. Il est un fait théoriquement bien établi pour les marxistes, et entièrement confirmé par l’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements révolutionnaires d’Europe, – c’est que le petit propriétaire, le petit patron (type social très largement représenté, formant une masse importante dans bien des pays d’Europe) qui, en régime capitaliste, subit une oppression continuelle et, très souvent, une aggravation terriblement forte et rapide de ses conditions d’existence et la ruine, passe facilement à un révolutionnarisme extrême, mais est incapable de faire preuve de fermeté, d’esprit d’organisation, de discipline et de constance. Le petit bourgeois, « pris de rage » devant les horreurs du capitalisme, est un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes. L’instabilité de ce révolutionnarisme, sa stérilité, la propriété qu’il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie, et même en engouement « enragé » pour telle ou telle tendance bourgeoise « à la mode », tout cela est de notoriété publique. Mais la reconnaissance théorique, abstraite de ces vérités ne préserve aucunement les partis révolutionnaires des vieilles erreurs qui reparaissent toujours à l’improviste sous une forme un peu nouvelle, sous un aspect ou dans un décor qu’on ne leur connaissait pas encore, dans une ambiance singulière, plus ou moins originale.

L’anarchisme a été souvent une sorte de châtiment pour les déviations opportunistes du mouvement ouvrier. Ces deux aberrations se complétaient mutuellement. Et si en Russie, bien que la population petite-bourgeoise y soit plus nombreuse que dans les pays d’Occident, l’anarchisme n’a exercé qu’une influence relativement insignifiante au cours des deux révolutions (1905 et 1917) et pendant leur préparation, le mérite doit en être sans nul doute attribué en partie au bolchevisme, qui avait toujours soutenu la lutte la plus implacable et la plus intransigeante contre l’opportunisme, Je dis: « en partie », car ce qui a contribué encore davantage à affaiblir l’anarchisme en Russie, c’est qu’il avait eu dans le passé (1870-1880) la possibilité de s’épanouir pleinement et de révéler jusqu’au bout combien cette théorie était fausse et inapte à guider la classe révolutionnaire. Le bolchevisme, dès son origine, en 1903, reprit cette tradition de lutte implacable contre l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois, mi-anarchiste (ou capable de flirter avec l’anarchisme), tradition qui fut toujours celle de la social-démocratie révolutionnaire, et qui s’était particulièrement ancrée chez nous aux années 1900-1903, au moment où étaient jetées les fondations d’un parti de masse du prolétariat révolutionnaire en Russie. Le bolchevisme reprit et poursuivit la lutte contre le parti qui, plus que tout autre, traduisait les tendances de l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois, à savoir : le parti « socialiste-révolutionnaire », sur trois points principaux. D’abord ce parti, niant le marxisme, s’obstinait à ne pas vouloir (peut-être serait-il plus exact de dire: qu’il ne pouvait pas) comprendre la nécessité de tenir compte, avec une objectivité rigoureuse, des forces de classes et du rapport de ces forces, avant d’engager une action politique quelconque. En second lieu, ce parti voyait une manifestation particulière de son « esprit révolutionnaire » ou de son « gauchisme » dans la reconnaissance par lui du terrorisme individuel, des attentats, ce que nous, marxistes, répudions catégoriquement. Naturellement, nous ne répudions le terrorisme individuel que pour des motifs d’opportunité. Tandis que les gens capables de condamner « en principe » la terreur de la grande révolution française ou, d’une façon générale, la terreur exercée par un parti révolutionnaire victorieux, assiégé par la bourgeoisie du monde entier, – ces gens-là, Plékhanov dès 1900-1903, alors qu’il était marxiste et révolutionnaire, les a tournés en dérision, les a bafoués. En troisième lieu, pour les « socialistes-révolutionnaires », être « de gauche » revenait à ricaner sur les péchés opportunistes relativement bénins de la social-démocratie allemande, tout en imitant les opportunistes extrêmes de ce même parti, par exemple dans la question agraire ou dans la question de la dictature du prolétariat.

L’histoire, soit dit en passant, a confirmé aujourd’hui, sur une vaste échelle, à l’échelle mondiale, l’opinion que nous avons toujours défendue, à savoir que la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne (remarquez que dès 1900-1903 Plékhanov réclama l’exclusion de Bernstein, et les bolcheviks, continuant toujours cette tradition, dénoncèrent en 1913 la bassesse, la lâcheté et la trahison de Legien), – la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne, dis-je, ressemblait le plus au parti dont le prolétariat révolutionnaire a besoin pour vaincre. Maintenant, en 1920, après toutes les faillites honteuses et les crises de l’époque de la guerre et des premières années qui la suivirent, il apparaît clairement que de tous les partis d’Occident, c’est la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne qui a donné les meilleurs chefs, qui s’est remise sur pied, s’est rétablie, a repris des forces avant les autres. On peut le voir dans le Parti spartakiste[4] et dans l’aile gauche, prolétarienne, du « Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne[5]« , qui mène sans défaillance la lutte contre l’opportunisme et le manque de caractère des Kautsky, des Hilferding, des Ledebour et des Crispien. Si l’on jette maintenant un coup d’œil d’ensemble sur la période historique parfaitement révolue, qui va de la Commune de Paris à la première République socialiste des Soviets, on voit se préciser en des contours absolument nets et indiscutables l’attitude générale du marxisme envers l’anarchisme. C’est le marxisme qui a prévalu finalement, et si tes anarchistes n’avaient pas tort de signaler le caractère opportuniste des idées sur l’Etat, professées par la plupart des partis socialistes, ce caractère opportuniste tenait tout d’abord à la déformation et même à la dissimulation pure et simple des idées de Marx sur l’Etat (dans mon livre l’Etat et la Révolution, j’ai noté que Bebel avait tenu sous le boisseau pendant trente-six ans, de 1873-1911, la lettre où Engels dénonçait avec une vigueur, une franchise, une clarté et un relief étonnants, l’opportunisme des conceptions social-démocrates courantes sur l’Etat); en second lieu, ce sont justement les courants les plus marxistes existant dans les partis socialistes d’Europe et d’Amérique qui ont le plus vite et le plus largement redressé ces vues opportunistes, reconnu le pouvoir des Soviets et sa supériorité sur la démocratie parlementaire bourgeoise.

En deux occasions la lutte du bolchevisme contre les déviations « de gauche » dans son propre parti prit une ampleur particulière: en 1908, à propos de la participation au « parlement » le plus réactionnaire et aux associations ouvrières légales, régies par des lois ultra-réactionnaires, et en 1918 (paix de Brest-Litovsk), sur la question de savoir si l’on pouvait admettre tel ou tel « compromis ». En 1908, les bolcheviks « de gauche » furent exclus de notre parti pour s’être obstinément refusés à comprendre la nécessité de participer au « parlement » ultra-réactionnaire. Les « gauches » – parmi lesquels figuraient bon nombre d’excellents révolutionnaires qui, plus tard, appartinrent (et continuent d’appartenir) avec honneur au Parti communiste, – s’inspiraient plus particulièrement de l’expérience heureuse du boycottage de 1905. Lorsqu’au mois d’août le tsar avait proclamé la convocation d’un « parlement » consultatif, les bolcheviks, à l’encontre de tous les partis d’opposition et à l’encontre des mencheviks, avaient proclamé le boycottage de ce parlement, et celui-ci fut effectivement balayé par la révolution d’octobre 1905. Alors le boycottage était tout indiqué, non pas que la non-participation aux parlements réactionnaires soit juste en général, mais parce qu’on avait exactement tenu compte de la situation objective qui menait à une transformation rapide des grèves de masse en grève politique, puis en grève révolutionnaire et, enfin, en insurrection. L’objet du débat était alors de savoir s’il fallait laisser au tsar l’initiative de la convocation de la première institution représentative, ou bien tenter d’arracher cette convocation des mains du vieux pouvoir. Puisque l’on n’avait pas et que l’on ne pouvait avoir la certitude que la situation objective était bien analogue à celle-là, et que son développement se poursuivrait dans le même sens et à la même allure, le boycottage n’était plus indiqué. Le boycottage bolchevik du « parlement » en 1905 enrichit le prolétariat révolutionnaire d’une expérience politique extrêmement précieuse, en lui montrant qu’il est parfois utile et même obligatoire, lorsqu’on use simultanément des formes de lutte légales ou non, parlementaires et extraparlementaires, de savoir renoncer aux formes parlementaires. Mais transposer aveuglément, par simple imitation, sans esprit critique, cette expérience dans d’autres conditions, dans une autre conjoncture, c’est commettre la plus grave erreur. Le boycottage de la « Douma » par les bolcheviks, en 1906, fut une erreur pourtant sans gravité et facile à réparer[6]. Par contre, une erreur très grave et difficilement réparable fut le boycottage de 1907, 1908 et des années suivantes. A cette époque en effet, d’une part, on ne pouvait s’attendre à voir monter très rapidement la vague révolutionnaire, ni à ce qu’elle se transformât en insurrection, et, d’autre part, la nécessité de combiner le travail légal avec le travail illégal découlait de la situation historique créée par la rénovation bourgeoise de la monarchie. Quand on considère aujourd’hui rétrospectivement cette période historique parfaitement révolue, dont le lien avec les périodes ultérieures est maintenant tout à fait manifeste, il apparaît clairement que les bolcheviks n’avaient pas pu conserver (je ne dis même pas: affermir, développer, fortifier), entre 1908 et 1914, le noyau solide du parti révolutionnaire du prolétariat, s’ils n’avaient pas su maintenir, au prix d’une âpre lutte, l’obligation de combiner les formes de lutte illégales avec les formes légales, avec la participation obligatoire au parlement ultra-réactionnaire et à une série d’autres institutions, régies par une législation réactionnaire (caisses d’assurances, etc.).

En 1918, les choses n’allèrent pas jusqu’à la scission. Les communistes de « gauche » se bornèrent à constituer un groupe à part, une « fraction » au sein de notre parti, pas pour longtemps d’ailleurs. Dans la même année 1918, les représentants les plus marquants du « communisme de gauche », Radek et Boukharine par exemple, reconnurent ouvertement leur erreur. La paix de Brest-Litovsk était à leurs yeux un compromis avec les impérialistes, inadmissible en principe et nuisible au parti du prolétariat révolutionnaire. C’était bien, en effet, un compromis avec les impérialistes, mais il était justement celui que les circonstances rendaient obligatoire.

Aujourd’hui, lorsque j’entends attaquer, comme le font par exemple les « socialistes-révolutionnaires », la tactique que nous avons suivie en signant la paix de Brest-Litovsk, ou lorsque j’entends cette remarque que me fit le camarade Lansbury au cours d’un entretien: « Nos chefs anglais des trade-unions disent que les compromis sont admissibles pour eux aussi, puisqu’ils l’ont été pour le bolchevisme« , je réponds généralement tout d’abord par cette comparaison simple et « populaire » : Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vous leur donnez votre argent, votre passeport, votre revolver, votre auto. Vous vous débarrassez ainsi de l’agréable voisinage des bandits. C’est là un compromis, à n’en pas douter. « Do ut des » (je te « donne » mon argent, mes armes, mon auto, « pour que tu me donnes » la possibilité de me retirer sain et sauf). Mais on trouverait difficilement un homme, à moins qu’il n’ait perdu la raison, pour déclarer pareil compromis « inadmissible en principe », ou pour dénoncer celui qui l’a conclu comme complice des bandits (encore que les bandits, une fois maîtres de l’auto, aient pu s’en servir, ainsi que des armes, pour de nouveaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l’impérialisme allemand a été analogue à celui-là.

Mais lorsque les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie, les partisans de Scheidemann (et dans une large mesure les kautskistes) en Allemagne, Otto Bauer et Friedrich Adler (sans parler même de MM. Renner et Cie) en Autriche, les Renaudel, Longuet et Cie en France, les fabiens, les « indépendants » et les « travaillistes » (« labouristes ») en Angleterre, ont conclu en 1914-1918 et en 1918-1920, contre le prolétariat révolutionnaire de leurs pays respectifs, des compromis avec les bandits de leur propre bourgeoisie et, parfois, de la bourgeoisie « alliée », tous ces messieurs se comportaient en complices du banditisme. La conclusion est claire : rejeter les compromis « en principe », nier la légitimité des compromis en général, quels qu’ils soient, c’est un enfantillage qu’il est même difficile de prendre au sérieux. L’homme politique désireux d’être utile au prolétariat révolutionnaire, doit savoir discerner les cas concrets où les compromis sont inadmissibles, où ils expriment l’opportunisme et la trahison, et diriger contre ces compromis concrets tout le tranchant de sa critique, les dénoncer implacablement, leur déclarer une guerre irréconciliable, sans permettre aux vieux routiers du socialisme « d’affaires », ni aux jésuites parlementaires de se dérober, d’échapper par des dissertations sur les « compromis en général », à la responsabilité qui leur incombe. C’est bien ainsi que messieurs les « chefs » anglais des trade-unions, ou bien de la société fabienne et du Parti travailliste « indépendant », se dérobent à la responsabilité qui pèse sur eux pour la trahison qu’ils ont commise, pour avoir perpétré un compromis tel qu’il équivaut en fait à de l’opportunisme, à une défection et à une trahison de la pire espèce.

Il y a compromis et compromis. Il faut savoir analyser la situation et les conditions concrètes de chaque compromis ou de chaque variété de compromis. Il faut apprendre à distinguer entre l’homme qui a donné aux bandits de l’argent et des armes pour diminuer le mal causé par ces bandits et faciliter leur capture et leur exécution, et l’homme qui donne aux bandits de l’argent et des armes afin de participer au partage de leur butin. En politique, la chose est loin d’être toujours aussi facile que dans mon exemple d’une simplicité enfantine. Mais celui qui s’aviserait d’imaginer pour les ouvriers une recette offrant d’avance des solutions toutes prêtes pour toutes les circonstances de la vie, ou qui assurerait que dans la politique du prolétariat révolutionnaire il ne se rencontrera jamais de difficultés ni de situations embrouillées, celui-là ne serait qu’un charlatan. Pour ne laisser place à aucun malentendu, j’essaierai d’esquisser, ne fût-ce que très brièvement, quelques principes fondamentaux pouvant servir à l’analyse des exemples concrets de compromis.

Le parti qui a conclu avec les impérialistes allemands un compromis en signant la paix de Brest-Litovsk, avait commencé à élaborer pratiquement son internationalisme dès la fin de 1914. Il n’avait pas craint de préconiser la défaite de la monarchie tsariste et de stigmatiser la « défense de la patrie » dans une guerre entre deux rapaces impérialistes. Les députés de ce parti au parlement prirent le chemin de la Sibérie, et non pas celui qui conduit aux portefeuilles ministériels dans un gouvernement bourgeois. La révolution qui a renversé le tsarisme et créé la République démocratique, a été pour ce parti une nouvelle et grande épreuve; il n’a accepté aucune entente avec « ses » impérialistes, mais a préparé leur renversement et les a renversés. Une fois maître du pouvoir politique, ce parti n’a laissé pierre sur pierre ni de la grande propriété terrienne ni de la propriété capitaliste. Après avoir publié et annulé les traités secrets des impérialistes, ce parti a proposé la paix à tous les peuples, et n’a cédé à la violence des rapaces de Brest-Litovsk qu’après que les impérialistes anglo-français eurent torpillé la paix, et que les bolcheviks eurent fait tout ce qui était humainement possible pour hâter la révolution en Allemagne et dans les autres pays. La parfaite justesse d’un tel compromis, conclu par un tel parti, dans une telle situation, devient chaque jour plus claire et plus évidente pour tous.

Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie (comme d’ailleurs tous les chefs de la lie Internationale dans le monde entier en 1914-1920) avaient commencé par trahir, en justifiant, directement ou indirectement, la « défense de la patrie », c’est-à-dire la défense de leur bourgeoisie spoliatrice. Ils ont persisté dans la trahison en se coalisant avec la bourgeoisie de leur pays et en luttant aux côtés de leur bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire de leur propre pays. Leur bloc, d’abord avec Kérensky et les cadets, puis avec Koltchak et Dénikine en Russie, de même que le bloc de leurs coreligionnaires étrangers avec la bourgeoisie de leurs pays respectifs, marqua leur passage aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Leur compromis avec les bandits de l’impérialisme a consisté, du commencement à la fin, à se faire les complices du banditisme impérialiste.

5.    Le communisme de « gauche » en Allemagne. Chefs, partis, classe, masse.

Les communistes allemands dont nous aurons maintenant à parler ne se donnent pas le nom de communistes de « gauche », mais, si je ne me trompe, celui « d’opposition de principe ». Mais qu’ils présentent des symptômes caractérisés de cette « maladie infantile, le gauchisme », c’est ce qu’on verra dans l’exposé ci-après. La brochure la Scission du Parti communiste d’Allemagne (Ligue Spartacus), publiée par le « groupe local de Francfort-sur-le-Main », et qui reflète le point de vue de cette opposition, expose avec un relief, une exactitude, une clarté et une concision extrêmes, le fond des idées de cette opposition. Quelques citations suffiront à le faire connaître au lecteur :

« Le parti communiste est le parti de la lutte de classe la plus décidée.. « .

 » …Au point de vue politique, cette période de transition » (entre le capitalisme et le socialisme) « est celle de la dictature du prolétariat… »

 » ..La question se pose: qui doit exercer la dictature: i e Parti communiste ou la classe prolétarienne? . . Faut-il tendre en principe à la dictature du Parti communiste ou à la dictature de la classe prolétarienne ?

Plus loin, le Comité central du Parti communiste d’Allemagne est accusé, par l’auteur de la brochure, de chercher un moyen de se coaliser avec le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, et de n’avoir soulevé « la question de l’admission en principe de tous les moyens politiques » de lutte, y compris le parlementarisme, que pour cacher ses véritables et principales tendances à la coalition avec les indépendants. Et la brochure continue:

« L’opposition a choisi une autre voie. Elle est d’avis que la domination du Parti communiste et la dictature du Parti, ce n’est qu’une question de tactique. En tout cas, la domination du Parti communiste est la forme dernière de toute domination de parti. Il faut tendre en principe à la dictature de la classe prolétarienne. Et toutes les mesures prises par le parti, son organisation, ses formes de lutte, sa stratégie et sa tactique doivent être orientées vers ce but. Il faut par suite repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis, tout retour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps, toute politique de louvoiement et d’entente. »

« Les méthodes spécifiquement prolétariennes de lutte révolutionnaire doivent être particulièrement soulignées. Et pour entraîner les plus larges milieux et couches de prolétaires qui doivent entrer dans la lutte révolutionnaire, sous la direction du Parti communiste, il faut créer de nouvelles formes d’organisation sur la plus large base et dans le plus large cadre. Le point de rassemblement de tous les éléments révolutionnaires est l’union ouvrière qui a à sa base les organisations d’usines. C’est là que doivent se réunir tous les ouvriers qui suivent le mot d’ordre: Sortez des syndicats! C’est là que le prolétariat militant se formera en rangs serrés pour le combat. Pour y entrer il suffit de reconnaître la lutte de classes, le système des Soviets et la dictature. Ultérieurement, toute l’éducation politique des masses en lutte et l’orientation politique de la lutte incombent au Parti communiste qui reste en dehors de l’union ouvrière. .

« .. .Ainsi, deux partis communistes se trouvent maintenant en présence : L’un est le parti des chefs, qui entend organiser la lutte révolutionnaire et la diriger par en haut, acceptant tes compromis et le parlementarisme, afin de créer des situations permettant à ces chefs d’entrer dans un gouvernement de coalition qui détiendrait la dictature. L’autre est le parti des masses, qui attend l’essor de la lutte révolutionnaire d’en bas qui ne connaît et n’applique dans cette lutte que la seule méthode menant clairement au but ; qui repousse toutes les méthodes parlementaires et opportunistes; cette seule méthode est celle du renversement résolu de la bourgeoisie, afin d’instituer ensuite la dictature prolétarienne de classe et réaliser le socialisme. « 

 » ..Là, c’est la dictature des chefs; ici, c’est la dictature des masses! Tel est notre mot d’ordre. »

Telles sont les thèses essentielles qui caractérisent les vues de l’opposition dans le Parti communiste allemand.

Tout bolchevik qui a consciemment participé au développement du bolchevisme, ou l’a observé de près depuis 1903, dira aussitôt, après avoir lu ces raisonnements: « Quel vieux fatras connu de longue date! Quel enfantillage de « gauche »! Mais examinons de près les raisonnements cités.

La seule façon de poser la question: « dictature du parti ou bien dictature de la classe? Dictature (parti) des chefs ou bien dictature (parti) des masses? » témoigne déjà de la plus incroyable et désespérante confusion de pensée. Ces gens s’appliquent à inventer quelque chose de tout à fait original et, dans leur zèle à raffiner, ils se rendent ridicules. Tout le monde sait que les masses se divisent en classes; qu’on ne peut opposer les masses et les classes que lorsqu’on oppose l’immense majorité dans son ensemble sans la différencier selon la position occupée dans le régime social de la production, et les catégories occupant chacune une position particulière dans ce régime; que les classes sont dirigées, ordinairement, dans la plupart des cas, du moins dans les pays civilisés d’aujourd’hui, par des partis politiques; que les partis politiques sont, en règle générale, dirigés par des groupes plus ou moins stables de personnes réunissant le maximum d’autorité, d’influence, d’expérience, portées par voie d’élection aux fonctions les plus responsables, et qu’on appelle les chefs. Tout cela ce n’est que l’a b c. Tout cela est simple et clair. Pourquoi a-t-on besoin d’y substituer je ne sais quel charabia, je ne sais quel nouveau volapük ? D’une part, il est évident que ces gens se sont empêtrés dans les difficultés d’une époque où la succession rapide de la légalité et de l’illégalité du parti trouble le rapport ordinaire, normal et simple entre chefs, partis et classes. En Allemagne, comme dans les autres pays d’Europe, on s’est trop habitué à la légalité, à l’élection libre et normale des « chefs » par les congrès réguliers des partis, à la vérification commode de la composition de classe des partis par les élections au parlement, les meetings, la presse, les dispositions d’esprit des syndicats et autres associations, etc. Quand il a fallu, par suite de la marche impétueuse de la révolution et du développement de la guerre civile, passer rapidement de cet état de choses coutumier à la succession, à la combinaison de la légalité et de l’illégalité, aux procédés « incommodes », « non démocratiques », de désignation, de formation ou de conservation des « groupes de dirigeants », on a perdu la tête et on s’est mis à imaginer des énormités. Sans doute les « tribunistes[7] » hollandais qui ont eu le malheur de naître dans un petit pays jouissant des traditions et des conditions d’une légalité particulièrement stable et privilégiée, qui n’ont jamais vu se succéder la légalité et l’illégalité, se sont-ils empêtrés eux-mêmes; ils ont perdu la tête et ont favorisé ces inventions absurdes. D’autre part, on observe l’emploi simplement irréfléchi et illogique des vocables « à la mode », pour notre temps, sur la « masse » et les « chefs ». Les gens ont beaucoup entendu parler des « chefs », ils ont la tête pleine d’attaques de toute sorte contre eux, ils se sont habitués à les voir opposer à la « masse »; mais ils n’ont pas su réfléchir au pourquoi de la chose, y voir clair. C’est surtout à la fin de la guerre impérialiste et dans l’après-guerre que le dissentiment entre les « chefs » et la « masse » s’est marqué dans tous les pays avec le plus de force et de relief. La cause principale de ce phénomène a été maintes fois expliquée par Marx et Engels, de 1852- 1892, par l’exemple de l’Angleterre. La situation exclusive de l’Angleterre donnait naissance à une « aristocratie ouvrière », à demi petite-bourgeoise, opportuniste, issue de la « masse ». Les chefs de cette aristocratie ouvrière passaient continuellement aux côtés de la bourgeoisie qui les entretenait, directement ou indirectement. Marx s’attira la haine flatteuse de cette racaille pour les avoir ouvertement taxés de trahison. L’impérialisme moderne (du XX° siècle) a créé à quelques pays avancés une situation exceptionnellement privilégiée, et c’est sur ce terrain qu’on a vu partout dans la II° Internationale se dessiner le type des chefs traîtres, opportunistes, social-chauvins, défendant les intérêts de leur corporation, de leur mince couche sociale: l’aristocratie ouvrière. Les partis opportunistes se sont détachés des « masses », c’est-à-dire des plus larges couches de travailleurs, de leur majorité, des ouvriers les plus mal payés. La victoire du prolétariat révolutionnaire est impossible si on ne lutte pas contre ce mal, si on ne dénonce pas, si on ne flétrit pas, si on ne chasse pas les chefs opportunistes social-traîtres. Telle est bien la politique pratiquée par la III° Internationale.

Mais en arriver sous ce prétexte à opposer en général la dictature des masses à la dictature des chefs, c’est une absurdité ridicule, une sottise. Le plaisant, surtout, c’est qu’aux anciens chefs qui s’en tenaient à des idées humaines sur les choses simples, on substitue en fait (sous le couvert du mot d’ordre « à bas les chefs!« ) des chefs nouveaux qui débitent des choses prodigieusement stupides et embrouillées. Tels sont en Allemagne Laufenberg, Wolfheim, Horner, Karl Schroeder, Friedrich Wendel, Karl Erler[8]. Les tentatives de ce dernier pour « approfondir » la question et proclamer en général l’inutilité et le « bourgeoisisme » des partis politiques représentent à elles seules de telles colonnes d’Hercule en fait de sottises, que les bras vous en tombent. Voilà bien où s’applique cette vérité que d’une petite erreur on peut toujours faire une erreur monstrueuse: il suffit d’y insister, de l’approfondir pour la justifier, de la « mener à son terme ».

Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l’opposition. Or, cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. Cela équivaut, précisément, à faire siens ces défauts de la petite bourgeoisie que sont la dispersion, l’instabilité, l’inaptitude à la fermeté, à l’union, à l’action conjuguée, défauts qui causeront inévitablement la perte de tout mouvement révolutionnaire du prolétariat, pour peu qu’on les encourage. Nier du point de vue du communisme la nécessité du parti, c’est sauter de la veille de la faillite du capitalisme (en Allemagne), non pas dans la phase inférieure ou moyenne du communisme, mais bien dans sa phase supérieure. En Russie nous en sommes encore (plus de deux ans après le renversement de la bourgeoisie) à faire nos premiers pas dans la voie de la transition du capitalisme au socialisme, ou stade inférieur du communisme. Les classes subsistent, et elles subsisteront partout, pendant des années après la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Peut-être ce délai sera-t-il moindre en Angleterre où il n’y a pas de paysans (mais où il y a cependant des petits patrons!). Supprimer les classes, ce n’est pas seulement chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, – ce qui nous a été relativement facile, – c’est aussi supprimer les petits producteurs de marchandises; or, ceux-ci on ne peut pas les chasser, on ne peut pas les écraser, il faut faire bon ménage avec eux. On peut (et on doit) les transformer, les rééduquer, – mais seulement par un travail d’organisation très long, très lent et très prudent. Ils entourent de tous côtés le prolétariat d’une ambiance petite-bourgeoise, ils l’en pénètrent, ils l’en corrompent, ils suscitent constamment au sein du prolétariat des récidives de défauts propres à la petite bourgeoisie: manque de caractère, dispersion, individualisme, passage de l’enthousiasme à l’abattement. Pour y résister, pour permettre au prolétariat d’exercer comme il se doit, avec succès et victorieusement, son rôle d’organisateur (qui est son rôle principal), le parti politique du prolétariat doit faire régner dans son sein une centralisation et une discipline rigoureuses. La dictature du prolétariat est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de la vieille société. La force de l’habitude chez les millions et les dizaines de millions d’hommes est la force la plus terrible. Sans un parti de fer, trempé dans la lutte, sans un parti jouissant de la confiance de tout ce qu’il y a d’honnête dans la classe en question, sans un parti sachant observer l’état d’esprit de la masse et influer sur lui, il est impossible de soutenir cette lutte avec succès. Il est mille fois plus facile de vaincre la grande bourgeoisie centralisée que de « vaincre » les millions et les millions de petits patrons; or ceux-ci, par leur activité quotidienne, coutumière, invisible, insaisissable, dissolvante, réalisent les mêmes résultats qui sont nécessaires à la bourgeoisie, qui restaurent la bourgeoisie. Celui qui affaiblit tant soit peu la discipline de fer dans le parti du prolétariat (surtout pendant sa dictature), aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat.

A côté de la question relative aux chefs, au parti, à la classe, à la masse, il faut poser la question des syndicats « réactionnaires ». Mais auparavant je me permettrai encore, en guise de conclusion, quelques remarques fondées sur l’expérience de notre parti. Des attaques contre la « dictature des chefs », il y en a toujours eu dans notre parti: les premières dont je me souvienne remontent à 1895, à l’époque où notre parti n’existait pas encore formellement, mais où le groupe central de Pétersbourg commençait à se constituer et devait prendre sur lui la direction des groupements de quartier. Au IX° Congrès de notre parti (avril 1920), il y avait une petite opposition qui s’élevait aussi contre la « dictature des chefs », l' »oligarchie », etc. Il n’y a donc rien d’étonnant, rien de nouveau, rien de terrible dans cette « maladie infantile » qu’est le « communisme de gauche », chez les Allemands. Cette maladie passe sans danger et, après elle, l’organisme devient même plus robuste. D’autre part, la rapide succession du travail légal et illégal, qui impose la nécessité de « cacher » tout particulièrement, d’entourer d’un secret particulier, justement l’état-major, justement les chefs, entraîne parfois chez nous les plus funestes conséquences. Le pire fut, en 1912, l’entrée du provocateur Malinovski au Comité central bolcheviks. Il fit repérer des dizaines et des dizaines de camarades, parmi les meilleurs et les plus dévoués, il les fit envoyer au bagne et hâta la mort de beaucoup d’entre eux. S’il ne causa pas un mal encore plus grand, c’est parce que nous avions bien établi le rapport entre le travail légal et illégal. Pour gagner notre confiance, Malinovski, en sa qualité de membre du Comité central du Parti et de député à la Douma, devait nous aider à lancer des journaux quotidiens légaux qui savaient, même sous le tsarisme, livrer combat à l’opportunisme des mencheviks, et répandre, sous une forme utilement voilée, les principes fondamentaux du bolchevisme. D’une main Malinovski envoyait au bagne et à la mort des dizaines et des dizaines de meilleurs militants du bolchevisme; de l’autre, il devait aider, par la voie de la presse légale, à l’éducation de dizaines et de dizaines de milliers de nouveaux bolcheviks. Voilà un fait que feront bien de méditer les camarades allemands (et aussi anglais et américains, français et italiens) qui ont pour tâche d’apprendre à mener le travail révolutionnaire dans les syndicats réactionnaires[9].

Dans nombre de pays, y compris les plus avancés, la bourgeoisie envoie certainement et enverra des provocateurs dans les partis communistes. L’un des moyens de combattre ce danger, c’est de combiner avec intelligence le travail légal et illégal.

6.    Les révolutionnaires doivent-ils militer dans les syndicats réactionnaires ?

Les « gauches » allemands croient pouvoir répondre sans hésiter à cette question par la négative. Selon eux, les déclamations et les apostrophes courroucées à l’adresse des syndicats « réactionnaires » et « contrerévolutionnaires « , suffisent (K. Horner l’affirme avec une « gravité » très part et très sotte) à « démontrer » l’inutilité et même l’inadmissibilité pour les révolutionnaires, les communistes, de militer dans les syndicats jaunes, contre-révolutionnaires, les syndicats des social-chauvins, des conciliateurs, des Legiens.

Mais, si convaincus que soient les « gauches » allemands du caractère révolutionnaire de cette tactique, elle réalité foncièrement erronée et ne renferme rien d’au des phrases creuses.

Pour bien le montrer, je partirai de notre expérience conformément au plan général du présent article qui a pour but d’appliquer à l’Europe occidentale ce qu’il y a de généralement applicable, de généralement significatif, de généralement obligatoire dans l’histoire et dans la tactique actuelle du bolchevisme.

Le rapport entre les chefs, le parti, la classe, les masses et, d’autre part, l’attitude de la dictature du prolétariat et de son parti envers les syndicats, se présentent aujourd’hui chez nous, concrètement, de la manière suivante. La dictature est exercée par le prolétariat organisé dans les soviets et dirigé par le Parti communiste bolchevik qui, selon les données de son dernier congrès (avril 1920), groupe 611000 membres. Ses effectifs ont subi de sensibles variation avant et après la Révolution d’Octobre; ils étaient beaucoup moins importants autrefois, même en 1918 et en 1919[10]. Nous craignons une extension démesurée du parti, car les arrivistes et les gredins – qui ne méritent que le poteau d’exécution cherchent forcément à se glisser dans les rangs du parti gouvernemental. La dernière fois que nous ouvrîmes grandes les portes du parti – rien qu’aux ouvriers et aux paysans – c’était aux jours (hiver 1919) où Ioudénitch se trouvait à quelques verstes de Pétrograd et Dénikine à Orel (350 kilomètres environ de Moscou); c’est-à-dire dans un moment où un danger terrible, un danger de mort menaçait la République des Soviets, et où les aventuriers, les arrivistes, les gredins et, d’une façon générale, les éléments instables ne pouvaient pas le moins du monde compter sur une carrière avantageuse (mais plutôt s’attendre à la potence et aux tortures) en se joignant aux communistes. Un Comité central de 19 membres, élu au congrès, dirige le parti qui réunit des congrès annuels (au dernier congrès, la représentation était de 1 délégué par 1 000 membres); le travail courant est confié, à Moscou, à des collèges encore plus restreints appelés « Orgbureau » (Bureau d’organisation) et « Politbureau » (Bureau politique), qui sont élus en assemblée plénière du Comité central, à raison de 5 membres pris dans son sein pour chaque bureau. Il en résulte donc la plus authentique « oligarchie ». Et dans notre République il n’est pas une question politique ou d’organisation de quelque importance qui soit tranchée par une institution de l’Etat sans que le Comité central du Parti ait donné ses directives.

Dans son travail, le parti s’appuie directement sur les syndicats qui comptent aujourd’hui, d’après les données du dernier congrès (avril 1920), plus de quatre millions de membres et, formellement, sont sans-parti. En fait, toutes les institutions dirigeantes de l’immense majorité des syndicats et, au premier chef, naturellement, le Centre ou le Bureau des syndicats de Russie (Conseil central des syndicats de Russie) sont composés de communistes et appliquent toutes les directives du parti. On obtient en somme un appareil prolétarien qui, formellement, n’est pas communiste, qui est souple et relativement vaste, très puissant, un appareil au moyen duquel le parti est étroitement lié à la classe et à la masse, et au moyen duquel la dictature de la classe se réalise sous la direction du parti. Sans la plus étroite liaison avec les syndicats, sans leur appui énergique, sans leur travail tout d’abnégation non seulement dans la construction économique, mais aussi dans l’organisation militaire, il est évident que nous n’aurions pas pu gouverner le pays et réaliser la dictature, je ne dis pas pendant deux ans et demi, mais même pendant deux mois et demi. On conçoit que, pratiquement, cette liaison très étroite implique un travail de propagande et d’agitation très complexe et très varié, d’opportunes et fréquentes conférences non seulement avec les dirigeants, mais, d’une façon générale, avec les militants influents des syndicats; une lutte résolue contre les mencheviks qui, jusqu’à ce jour, comptent un certain nombre – bien petit, il est vrai – de partisans qu’ils initient à toutes les roueries de la contre-révolution, depuis la défense idéologique de la démocratie (bourgeoise), depuis le prône de  » l’indépendance » des syndicats (indépendance vis-à-vis du pouvoir d’Etat prolétarien!) jusqu’au sabotage de la discipline prolétarienne, etc., etc.

Nous reconnaissons que la liaison avec les « masses » par les syndicats, est insuffisante. La pratique a créé chez nous, au cours de la révolution, une institution que nous nous efforçons par tous les moyens de maintenir, de développer, d’élargir: ce sont les conférences d’ouvriers et de paysans sans-parti, qui nous permettent d’observer l’état d’esprit des masses, de nous rapprocher d’elles, de pourvoir à leurs besoins, d’appeler les meilleurs de leurs éléments aux postes d’Etat, etc. Un récent décret sur la réorganisation du Commissariat du peuple pour le contrôle d’Etat en « Inspection ouvrière et. paysanne », donne à ces conférences de sans-parti le droit d’élire des membres des services du contrôle d’Etat, qui procéderont à diverses révisions, etc.

Ensuite, il va de soi que tout le travail du parti se fait par les Soviets qui groupent les masses laborieuses sans distinction de profession. Les congrès des Soviets de district représentent une institution démocratique comme n’en ont encore jamais vu les meilleures parmi les républiques démocratiques du monde bourgeois; c’est par l’intermédiaire de ces congrès (dont le parti s’efforce de suivre les travaux avec une attention soutenue), de même qu’en déléguant constamment des ouvriers conscients à la campagne, aux fonctions les plus diverses, – que le prolétariat remplit son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie; que se réalise la dictature du prolétariat des villes, la lutte systématique contre les paysans riches, bourgeois, exploiteurs, spéculateurs, etc.

Tel est le mécanisme général du pouvoir d’Etat prolétarien considéré « d’en haut », du point de vue de l’application pratique de la dictature. Le lecteur comprendra, on peut l’espérer, pourquoi au bolchevik russe qui connaît ce mécanisme, qui l’a vu naître des petits cercles illégaux, clandestins, et se développer pendant vingt-cinq ans, toutes ces discussions sur la dictature « d’en haut » ou  » d’en bas », des chefs ou de la masse, etc, ne peuvent manquer de paraître enfantines et ridicules, comme le serait une discussion sur la question de savoir ce qui est le plus utile à l’homme, sa jambe gauche ou son bras droit.

Non moins enfantines et ridicules doivent nous paraître les graves dissertations tout à fait savantes et terriblement révolutionnaires des « gauches » allemands qui prétendent que les communistes ne peuvent ni ne doivent militer dans les syndicats réactionnaires, qu’il est permis de refuser ce travail, qu’il faut sortir des syndicats et organiser, sans faute, une « union ouvrière » toute neuve, toute proprette, inventée par des communistes bien gentils (et, pour la plupart, sans doute, bien jeunes), etc., etc.

Le capitalisme laisse nécessairement en héritage au socialisme, d’une part, les vieilles distinctions professionnelles et corporatives, qui se sont établies durant des siècles entre les ouvriers, et, d’autre part, des syndicats qui ne peuvent se développer et ne se développeront que très lentement, pendant des années et des années, en des syndicats d’industrie plus larges, moins corporatifs (s’étendant à des industries entières, et non pas simplement à des corporations, des corps de métiers et des professions). Par l’intermédiaire de ces syndicats d’industrie, on supprimera plus tard la division du travail entre les hommes; on passera à l’éducation, à l’instruction et à la formation d’hommes universellement développés, universellement préparés, et sachant tout faire. C’est là que va, doit aller et arrivera le communisme, mais seulement au bout de longues années. Tenter aujourd’hui d’anticiper pratiquement sur ce résultat futur du communisme pleinement développé, solidement constitué, à l’apogée de sa maturité, c’est vouloir enseigner les hautes mathématiques à un enfant de quatre ans.

Nous pouvons (et devons) commencer à construire le socialisme, non pas avec du matériel humain imaginaire ou que nous aurions spécialement formé à cet effet, mais avec ce que nous a légué le capitalisme. Cela est très « difficile », certes, mais toute autre façon d’aborder le problème est si peu sérieuse qu’elle ne vaut même pas qu’on en parle.

Les syndicats ont marqué un progrès gigantesque de la classe ouvrière au début du développement du capitalisme; ils ont marqué le passage de l’état de dispersion et d’impuissance où se trouvaient les ouvriers, aux premières ébauches du groupement de classe. Lorsque commença à se développer la forme suprême de l’union de classe des prolétaires, le parti révolutionnaire du prolétariat (qui ne méritera pas ce nom aussi longtemps qu’il ne saura pas lier les chefs, la classe et les masses en un tout homogène, indissoluble), les syndicats révélèrent inévitablement certains traits réactionnaires, une certaine étroitesse corporative, une certaine tendance à l’apolitisme, un certain esprit de routine, etc. Mais nulle part au monde le développement du prolétariat ne s’est fait et ne pouvait se faire autrement que par les syndicats, par l’action réciproque des syndicats et du parti de la classe ouvrière. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat est, pour le prolétariat considéré comme classe, un immense pas en avant. Aussi le parti doit-il, plus encore que dans le passé, à la manière nouvelle et pas seulement à l’ancienne, éduquer les syndicats, les diriger, sans oublier toutefois qu’ils restent et resteront longtemps l’indispensable « école du communisme » et l’école préparatoire des prolétaires pour l’application de leur dictature, le groupement nécessaire des ouvriers afin que la gestion de toute l’économie du pays passe graduellement d’abord aux mains de la classe ouvrière (et non à telles ou telles professions), et puis à l’ensemble des travailleurs.

Un certain « esprit réactionnaire » des syndicats, en ce sens, est inévitable sous la dictature du prolétariat. Ne pas le comprendre, c’est faire preuve d’une totale incompréhension des conditions essentielles de la transition du capitalisme au socialisme. Redouter cet « esprit réactionnaire », essayer de l’éluder, de passer outre, c’est commettre une grave erreur, car c’est craindre d’assumer ce rôle de l’avant-garde du prolétariat qui consiste à instruire, éclairer, éduquer, appeler à une vie nouvelle les couches et les masses les plus retardataires de la classe ouvrière et de la paysannerie. D’autre part, remettre la mise en œuvre de la dictature du prolétariat jusqu’au moment ou il ne resterait plus un seul ouvrier atteint d’étroitesse professionnelle, plus un ouvrier imbu des préjugés corporatifs et trade-unionistes, serait une erreur encore plus grave. L’art du politique (et la juste compréhension de ses devoirs par un communiste) est d’apprécier correctement les conditions et le moment où l’avant-garde du prolétariat sera à même de s’emparer du pouvoir; de bénéficier, pendant et après, d’un appui suffisant de couches suffisamment larges de la classe ouvrière et des masses laborieuses non prolétariennes; où elle saura dès lors soutenir, renforcer, élargir sa domination, en éduquant, en instruisant, en attirant à elle des masses toujours plus grandes de travailleurs.

Poursuivons. Dans les pays plus avancés que la Russie, un certain esprit réactionnaire des syndicats s’est manifesté et devait se manifester incontestablement, avec beaucoup plus de force que chez nous. En Russie les mencheviks avaient (et ont encore en partie, dans un très petit nombre de syndicats) un appui dans les syndicats, précisément grâce à cette étroitesse corporative, à cet égoïsme professionnel et à l’opportunisme. Les mencheviks d’Occident se sont bien plus solidement « incrustés » dans les syndicats, et une « aristocratie ouvrière  » corporative, étroite, égoïste, sans entrailles, cupide, philistine, d’esprit impérialiste, soudoyée et corrompue par l’impérialisme, y est apparue bien plus puissante que chez nous. Cela est indiscutable. La lutte contre les Gompers, contre MM. Jouhaux, Henderson, Merrheim, Legien et Cie en Europe occidentale, est beaucoup plus difficile que la lutte contre nos mencheviks qui représentent un type politique et social parfaitement analogue. Cette lutte doit être impitoyable et il faut absolument la pousser, comme nous l’avons fait, jusqu’à déshonorer complètement et faire chasser des syndicats tous les incorrigibles leaders de l’opportunisme et du social-chauvinisme. Il est impossible de conquérir le pouvoir politique (et il ne faut pas essayer de prendre le pouvoir) aussi longtemps que cette lutte n’a pas été poussée jusqu’à un certain degré; dans les différents pays et dans des conditions diverses, ce « certain degré » n’est pas le même, et seuls des dirigeants politiques du prolétariat, réfléchis, expérimentés et compétents, peuvent le déterminer exactement dans chaque pays. (En Russie, la mesure du succès dans cette lutte nous fut donnée notamment par les élections à l’Assemblée constituante, en novembre 1917, quelques jours après la révolution prolétarienne du 25 octobre 1917. Lors de ces élections, les mencheviks furent battus à plate couture, n’ayant recueilli que 700 000 suffrages -1 400 000 voix en ajoutant celles de la Transcaucasie – contre 9 000 000 de voix aux bolcheviks. Voir à ce sujet mon article « Les élections à l’Assemblée constituante et la dictature du prolétariat » dans le n° 7-8 de l’Internationale Communiste.) Mais nous luttons contre « l’aristocratie ouvrière » au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. Il serait absurde de méconnaître cette vérité élémentaire et évidente entre toutes. Or, c’est précisément la faute que commettent les communistes allemands « de gauche » qui, de l’esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des milieux dirigeants syndicaux, concluent à . . . la sortie des communistes des syndicats ! Au refus d’y travailler! et voudraient créer de nouvelles formes d’organisation ouvrière qu’ils inventent ! Bêtise impardonnable qui équivaut à un immense service rendu par les communistes à la bourgeoisie. Car nos mencheviks, de même que tous les leaders opportunistes, social-chauvins et kautskistes des syndicats, ne sont pas autre chose que des « agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier » (ce que nous avons toujours dit des mencheviks) ou « les commis ouvriers de la classe capitaliste » (labour lieutenants of the capitalist class), selon la belle expression, profondément juste, des disciples américains de Daniel De Leon. Ne pas travailler dans les syndicats réactionnaires, c’est abandonner les masses ouvrières insuffisamment développées ou arriérées à l’influence des leaders réactionnaires, des agents de la bourgeoisie, des aristocrates ouvriers ou des « ouvriers embourgeoisés » (cf. à ce sujet la lettre d’Engels à Marx sur les ouvriers anglais, 1858).

La « théorie » saugrenue de la non-participation des communistes dans les syndicats réactionnaires montre, de toute évidence, avec quelle légèreté ces communistes « de gauche » envisagent la question de l’influence sur les « masses », et quel abus ils font dans leurs clameurs du mot « masse ». Pour savoir aider la « masse » et gagner sa sympathie, son adhésion et son appui, il ne faut pas craindre les difficultés, les chicanes, les pièges, les outrages, les persécutions de la part des « chefs » (qui, opportunistes et social-chauvins, sont dans la plupart des cas liés – directement ou indirectement – à la bourgeoisie et à la police) et travailler absolument là où est la masse. Il faut savoir consentir tous les sacrifices, surmonter les plus grands obstacles, afin de faire un travail de propagande et d’agitation méthodique, persévérant, opiniâtre et patient justement dans les institutions, sociétés, organisations – même tout ce qu’il y a de plus réactionnaires – partout où il y a des masses prolétariennes ou semi-prolétariennes. Or les syndicats et les coopératives ouvrières (celles-ci dans certains cas, tout au moins) sont justement des organisations où se trouve la masse. En Angleterre, d’après les informations d’un journal suédois, le Folkets Dagblad Politiken (du 10 mars 1920), les effectifs des trade-unions ont passé, de fin 1917 – fin 1918, de 5500 000 à 6 600 000 membres, accusant ainsi une augmentation de 29%. A la fin de 2929, on en comptait jusqu’à 7 500 000. Je n’ai pas sous la main les chiffres correspondants pour la France et l’Allemagne, mais il est des faits absolument indiscutables et connus de tous, qui attestent un accroissement sensible du nombre des syndiqués dans ces pays également.

Ces faits attestent de toute évidence ce que des milliers d’autres symptômes confirment: la conscience accrue et la tendance toujours plus grande à l’organisation qui se manifestent justement dans les masses prolétariennes, dans les « couches inférieures », retardataires. Des millions d’ouvriers en Angleterre, en France, en Allemagne passent pour la première fois de l’inorganisation totale à la forme d’organisation élémentaire, inférieure, la plus simple et la plus accessible (pour ceux qui sont encore profondément imbus des préjugés démocratiques bourgeois), à savoir: aux syndicats. Et les communistes de gauche, révolutionnaires, mais peu raisonnables, sont là à crier: « la masse », « la masse »! et refusent de militer au sein des syndicats !! en prétextant leur « esprit réactionnaire »! ! Et ils inventent une « Union ouvrière » toute neuve, proprette, innocente des préjugés démocratiques bourgeois, des péchés corporatifs et étroitement professionnels, – cette Union qui, à ce qu’ils prétendent, sera (qui sera!) large, et pour l’adhésion à laquelle il faut simplement (simplement!) « reconnaître le système des Soviets et la dictature » (voir plus haut la citation)!!

On ne saurait concevoir plus grande déraison, plus grand tort fait à la révolution par des révolutionnaires « de gauche »! Mais, si en Russie, après deux années et demie de victoires sans précédent sur la bourgeoisie de la Russie et de l’Entente, nous posions, aujourd’hui, comme condition d’admission aux syndicats, la « reconnaissance de la dictature », nous commettrions une sottise, nous porterions préjudice à notre influence sur les masses, nous ferions le jeu des mencheviks. Car toute la tâche des communistes est de savoir convaincre les retardataires, de savoir travailler parmi eux et non de se séparer d’eux par des mots d’ordre « de gauche » d’une puérile invention.

Il est hors de doute que MM. Gompers, Henderson, Jouhaux et Legien sont très reconnaissants à ces révolutionnaires « de gauche » qui, comme ceux de l’opposition « de principe » allemande (Dieu nous préserve de semblables « principes »!) ou comme certains révolutionnaires américains des « Ouvriers industriels du monde[11] » prêchent l’abandon des syndicats réactionnaires et se refusent à y travailler. N’en doutons pas, messieurs les « leaders » de l’opportunisme useront de toutes les roueries de la diplomatie bourgeoise, ils en appelleront au concours des gouvernements bourgeois, du clergé, de la police, des tribunaux pour fermer aux communistes l’entrée des syndicats, pour les en éliminer par tous les moyens, leur rendre le travail dans les syndicats désagréable au possible, pour les outrager, les traquer, les persécuter. Il faut savoir résister à tout cela, consentir tous les sacrifices, user même – en cas de nécessité – de tous les stratagèmes, de toutes les astuces, recourir aux expédients, taire, celer la vérité, à seule fin de pénétrer dans les syndicats, d’y rester et d’y mener coûte que coûte l’action communiste. Sous le tsarisme, jusqu’en 1905, nous n’eûmes aucune « possibilité légale »; mais quand le policier Zoubatov organisait ses réunions ultra-réactionnaires d’ouvriers et ses associations ouvrières pour repérer et combattre les révolutionnaires, nous envoyions à ces réunions et dans ces associations des membres de notre parti (dans leur nombre, je me souviens personnellement de l’ouvrier pétersbourgeois Babouchkine, militant remarquable, fusillé en 1906 par les généraux du tsar), qui établissaient la liaison avec la masse, s’ingéniaient à faire leur travail de propagande et arrachaient les ouvriers à l’influence des hommes de Zoubatov[12]. Certes, il est plus difficile d’en faire autant dans les pays d’Europe occidentale, particulièrement imbus de préjugés légalistes, constitutionnels, démocratiques bourgeois, particulièrement enracinés. Cependant on peut et on doit le faire, et le faire systématiquement.

Le Comité exécutif de la III° Internationale doit, à mon avis personnel, condamner ouvertement et engager le prochain congrès de l’Internationale Communiste à condamner d’une façon générale la politique de non-participation aux syndicats réactionnaires (en expliquant minutieusement ce qu’une telle non-participation a de déraisonnable et d’infiniment préjudiciable à la cause de la révolution prolétarienne), et, notamment, la ligne de conduite de certains membres du Parti communiste hollandais, qui – directement ou indirectement, ouvertement ou non, totalement ou en partie, peu importe – ont soutenu cette politique fausse. La III° Internationale doit briser avec la tactique de la II°, ne pas éluder les questions angoissantes, ne pas les estomper, mais au contraire les poser de front. Nous avons dit, bien en face, toute la vérité aux « indépendants » (au Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne); il faut la dire de même aux communistes « de gauche ».

7.    Faut-il participer aux parlements bourgeois ?

Les communistes « de gauche » allemands répondent à cette question avec le plus grand dédain – et la plus grande légèreté – par la négative. Leurs arguments ? Dans la citation reproduite plus haut nous avons vu:

 » … . repousser de la façon la plus décidée tout retour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps. .  »

Cela est dit en termes prétentieux jusqu’au ridicule, et cela est manifestement faux. « Retour » aux formes parlementaires ! Peut-être qu’en Allemagne la république soviétique existe déjà ? Non, ce me semble. Mais alors comment peut-on parler de « retour » ? N’est-ce pas là une phrase en l’air ?

Les formes parlementaires « historiquement ont fait leur temps ». C’est vrai au sens de la propagande. Mais chacun sait que de là à leur disparition dans la pratique, il y a encore très loin. Depuis des dizaines d’années on pouvait dire à bon droit que le capitalisme « historiquement avait fait son temps »; mais’ cela ne nous dispense nullement de la nécessité de soutenir une lutte très longue et très opiniâtre sur le terrain du capitalisme. Le parlementarisme a « historiquement fait son temps » au point de vue de l’histoire universelle, autrement dit l’époque du parlementarisme bourgeois est terminée, l’époque de la dictature du prolétariat a commencé. C’est indéniable. Mais à l’échelle de l’histoire universelle, c’est par dizaines d’années que l’on compte. Dix ou vingt ans plus tôt ou plus tard ne comptent pas du point de vue de l’histoire universelle; c’est au point de vue de l’histoire universelle une quantité négligeable qu’il est impossible de mettre en ligne de compte, même par approximation. Mais c’est justement pourquoi, en invoquant, dans une question de politique pratique, l’échelle de l’histoire mondiale, on commet la plus flagrante erreur théorique.

Le parlementarisme a-t-il « politiquement fait son temps » ? Là, c’est une autre affaire. Si c’était vrai, les communistes « de gauche » seraient en bonne position. Mais il faudrait le prouver par une analyse très sérieuse; or, les communistes « de gauche » ne savent même pas aborder cette tâche. L’analyse contenue dans les Thèses sur le parlementarisme, publiées dans le n°1 du Bulletin du Bureau provisoire d’Amsterdam de l’internationale Communiste (Bulletin of the Provisional Bureau in Amsterdam of the Communist international, February 1920), et qui traduisent manifestement la tendance de gauche des hollandais ou la tendance hollandaise de gauche, – cette analyse, comme nous le verrons, ne tient pas debout.

Premièrement. Les « gauches » d’Allemagne, on le sait, estimaient dès le mois de janvier 1919 que le parlementarisme avait « politiquement fait son temps« , contrairement à l’opinion de ces chefs politiques éminents qu’étaient Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. On sait que les « gauches » se sont trompés. Ce fait seul détruit d’emblée et radicalement la thèse selon laquelle le parlementarisme aurait « politiquement fait son temps ». Les « gauches » ont le devoir de démontrer que leur erreur indiscutable autrefois a cessé d’en être une aujourd’hui. Mais ils n’apportent pas l’ombre d’une preuve et ne peuvent l’apporter. L’attitude d’un parti politique en face de ses erreurs est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il remplit réellement ses obligations envers sa classe et envers les masses laborieuses. Reconnaître ouvertement son erreur, en découvrir les causes, analyser la situation qui l’a fait naître, examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, remplir ses obligations, éduquer et instruire la classe, et puis les masses. En ne remplissant pas ce devoir, en n’apportant pas dans l’étude de leur erreur manifeste une extrême attention, le soin et la prudence nécessaires, les « gauches » d’Allemagne (et de Hollande) prouvent par là qu’ils ne sont pas le parti d’une classe, mais un petit cercle; qu’ils ne sont pas le parti des masses, mais un groupe formé d’intellectuels et d’un petit nombre d’ouvriers rééditant les pires déformations de la gent intellectuelle.

Deuxièmement. Dans la même brochure du groupe des « gauches » de Francfort, dont nous avons donné plus haut des citations détaillées, nous lisons:

 » …. des millions d’ouvriers qui suivent encore la politique du Centre (du parti catholique du « Centre ») sont contre-révolutionnaires. Les prolétaires des campagnes forment les légions des troupes contre-révolutionnaires » (p. 3 de la brochure en question).  »

On voit tout de suite le ton: à la fois désinvolte et prétentieux. Mais le fait essentiel est indiscutable, et l’aveu qu’en font les « gauches » atteste leur erreur avec une évidence particulière. En effet, comment peut-on dire que « le parlementarisme a fait son temps politiquement », si des « millions » et des « légions » de prolétaires non seulement s’affirment encore pour le parlementarisme en général, mais sont franchement « contre-révolutionnaires »!? Il est évident qu’en Allemagne le parlementarisme n’a pas encore fait son temps politiquement. Il est évident que les « gauches » d’Allemagne ont pris leur désir, leur façon de voir en idéologie et en politique, pour une réalité objective. C’est là pour des révolutionnaires la plus dangereuse erreur. En Russie, où le joug exceptionnellement sauvage et féroce du tsarisme engendra, pendant une période particulièrement longue et sous des formes particulièrement variées, des révolutionnaires de toute nuance, des révolutionnaires admirables d’enthousiasme, de dévouement, d’héroïsme, de force de volonté, – en Russie nous avons pu observer de très près, étudier avec une attention toute spéciale, cette erreur dans laquelle tombent les révolutionnaires. Nous la connaissons fort bien, et c’est pourquoi nous la voyons si bien chez les autres. Il est évident que pour les communistes d’Allemagne le parlementarisme « a fait son temps politiquement »; mais le tout est justement de ne pas croire que ce qui a fait son temps pour nous, a fait son temps pour la classe, a fait son temps pour les masses. Nous voyons ici une fois de plus que les « gauches » ne savent pas raisonner, ne savent pas se conduire en parti de la classe, en parti des masses. Vous êtes tenus de ne pas vous abaisser au niveau des masses, au niveau des couches retardataires d’une classe. C’est indiscutable. Vous êtes tenus de leur dire l’amère vérité. Vous êtes tenus d’appeler préjugés leurs préjugés démocratiques bourgeois et parlementaires. Mais en même temps vous êtes tenus de surveiller d’un œil lucide l’état réel de conscience et de préparation de la classe tout entière (et pas seulement de son avant-garde communiste), de la masse travailleuse tout entière (et pas seulement de ses éléments avancés).

Si même ce n’était pas des « millions » et des « légions », mais simplement une minorité assez importante d’ouvriers industriels qui suivait les prêtres catholiques, et d’ouvriers agricoles qui suivait les grands propriétaires fonciers et les koulaks (Grossbauern), il en résulterait déjà sans le moindre doute que le parlementarisme en Allemagne n’a pas encore fait son temps politiquement, que la participation aux élections parlementaires et aux luttes parlementaires est obligatoire pour le parti du prolétariat révolutionnaire précisément afin d’éduquer les couches retardataires de sa classe, précisément afin d’éveiller et d’éclairer la masse villageoise inculte, opprimée et ignorante. Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu’il s’y trouve encore des ouvriers abrutis par la prêtraille et par l’atmosphère étouffante des trous de province. Autrement vous risquez de n’être plus que des bavards.

Troisièmement. Les communistes « de gauche » disent beaucoup de bien de nous, bolcheviks. Parfois on a envie de leur répondre: Louez-nous donc un peu moins, étudiez davantage la tactique des bolcheviks, familiarisez-vous davantage avec elle! Nous avons participé aux élections pour le parlement bourgeois de Russie, pour l’Assemblée constituante, en septembre-novembre 1917. Notre tactique était-elle juste ou non? Si c’est non, il faut le dire clairement et le prouver: cela est nécessaire pour que le communisme international puisse élaborer une tactique juste. Si c’est oui, certaines conclusions s’imposent. Bien entendu, il ne saurait être question d’assimiler les conditions de la Russie à celles de l’Europe occidentale. Mais sur la question spéciale de savoir ce que signifie la notion: « le parlementarisme a fait son temps politiquement », il faut de toute nécessité tenir exactement compte de notre expérience, car ces notions se changent trop aisément en phrases creuses, quand on néglige de tenir compte de l’expérience concrète. Nous, les bolcheviks russes, n’avions-nous pas, en septembre-novembre 1917, plus que tous les communistes d’Occident, le droit d’estimer que le parlementarisme avait politiquement fait son temps en Russie? Nous l’avions, évidemment, car la question n’est pas de savoir si les parlements bourgeois existent depuis longtemps ou depuis peu, mais si les grandes masses laborieuses sont prêtes (idéologiquement, politiquement, pratiquement) à adopter le régime soviétique et à dissoudre le parlement démocratique bourgeois – ou à en permettre la dissolution. Que la classe ouvrière des villes, les soldats et les paysans de Russie aient été, en septembre-novembre 1917, par suite de conditions particulières, admirablement préparés à l’adoption du régime soviétique et à la dissolution du plus démocratique des parlements bourgeois, c’est là un fait historique tout à fait indéniable et parfaitement établi. Et cependant les bolcheviks n’avaient pas boycotté l’Assemblée constituante; ils avaient, au contraire, participé aux élections avant et après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Que ces élections aient donné des résultats politiques infiniment précieux (et utiles au plus haut point pour le prolétariat), c’est ce que j’ai démontré – j’ose l’espérer – dans l’article mentionné plus haut, où j’analyse en détail les résultats des élections à l’Assemblée constituante de Russie.

De là une conclusion absolument indiscutable: la preuve est faite que même quelques semaines avant la victoire de la République soviétique, même après cette victoire, la participation à un parlement démocratique bourgeois, loin de nuire au prolétariat révolutionnaire, lui permet de démontrer plus facilement aux masses retardataires pourquoi ces parlements méritent d’être dissous, facilite le succès de leur dissolution, facilite l' »élimination politique » du parlementarisme bourgeois. Dédaigner cette expérience et prétendre cependant appartenir à l’Internationale Communiste, qui doit élaborer internationalement sa tactique (une tactique non pas étroitement ou exclusivement nationale, mais réellement internationale), c’est commettre une grosse erreur, et c’est précisément renier en fait l’internationalisme, tout en le reconnaissant en paroles.

Considérons maintenant les arguments des « Hollandais de gauche » en faveur de la non-participation aux parlements. Voici, traduite de l’anglais, la plus importante des thèses « hollandaises » ci-dessus mentionnées, la thèse :

« Lorsque le système de production capitaliste est brisé et que la société se trouve en état de révolution, l’action parlementaire perd peu à peu de sa valeur, si on la compare à l’action des masses elles-mêmes. Lorsque, dans ces conditions, le parlement devient le centre et L’organe de la contre-révolution, et que, d’autre part, la classe ouvrière construit les instruments de son pouvoir sous forme des Soviets, il peut s’avérer même indispensable de répudier toute participation, quelle qu’elle soit, à l’action parlementaire. »

La première phrase est manifestement fausse, car l’action des masses – une grande grève, par exemple – est plus importante que l’action parlementaire toujours et non pas seulement pendant la révolution ou dans une situation révolutionnaire. Cet argument, qui est d’une inconsistance manifeste, qui est historiquement et politiquement faux, révèle simplement avec une clarté particulière que les auteurs de cette thèse ne tiennent aucun compte ni de l’expérience de l’Europe en général (de La France avant les révolutions de 1848 et de 1870, de l’Allemagne entre 1878 et 1890, etc.), ni de l’expérience russe (voir plus haut), sur l’importance qu’il y a à combiner la lutte légale et illégale. Cette question a une importance considérable, générale et spéciale, parce que dans tous les pays civilisés et avancés, l’heure approche rapidement où cette combinaison deviendra de plus en plus obligatoire – partiellement elle l’est déjà devenue – pour le parti du prolétariat révolutionnaire, étant donné la maturation, l’approche de la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie, étant donné les persécutions féroces auxquelles sont en butte les communistes de la part des gouvernements républicains et, en général, des gouvernements bourgeois, qui violent constamment la légalité (l’exemple de l’Amérique est assez édifiant), etc. Cette question essentielle reste absolument incomprise des Hollandais et, en général, des gauches.

La seconde phrase est, d’abord, historiquement fausse. Nous, bolcheviks, avons participé aux parlements les plus contre-révolutionnaires, et l’expérience a montré que cette participation avait été non seulement utile, mais même indispensable au parti du prolétariat révolutionnaire, précisément après la première révolution bourgeoise en Russie (1905), pour préparer la seconde révolution bourgeoise (février 1917) et puis la révolution socialiste (octobre 1917). En second lieu, cette phrase est d’un illogisme surprenant. De ce que le parlement devient l’organe et le « centre » (en fait, il n’a jamais été et ne peut jamais être le « centre », soit dit en passant) de la contre-révolution, tandis que les ouvriers créent les instruments de Leur pouvoir sous la forme des Soviets, il s’ensuit que les ouvriers doivent se préparer – idéologiquement, politiquement, techniquement – à la lutte des Soviets contre le parlement, à la dissolution du parlement par les Soviets. Mais il ne s’ensuit nullement que cette dissolution soit entravée ou ne soit pas facilitée par la présence d’une opposition soviétique au sein du parlement contre-révolutionnaire. Pas une fois nous n’avons remarqué pendant notre lutte victorieuse contre Denikine et Koltchak, que l’existence chez eux d’une opposition prolétarienne, soviétique, ait été sans effet pour nos victoires. Nous savons fort bien que la dissolution par nous de la Constituante, le janvier 1918, ne fut pas entravée, mais facilitée par la présence, au sein de la Constituante contre-révolutionnaire que nous dissolvions, d’une opposition soviétique conséquente, bolchevique, et d’une opposition soviétique inconséquente, socialiste-révolutionnaire de gauche. Les auteurs de la thèse se sont complètement embrouillés et ils oublient l’expérience de plusieurs révolutions, sinon de toutes, expérience qui atteste combien il est utile, surtout en temps de révolution, de combiner l’action des masses en dehors du parlement réactionnaire avec celle d’une opposition sympathique à la révolution (ou mieux encore : soutenant directement la révolution) à l’intérieur de ce parlement. Les Hollandais et les « gauches » en général raisonnent ici en doctrinaires de la révolution, qui n’ont jamais participé à une révolution véritable, ou qui n’ont jamais médité l’histoire des révolutions, ou qui prennent naïvement la « négation » subjective d’une institution réactionnaire pour sa destruction effective par les forces conjuguées de divers facteurs objectifs. Le moyen le plus sûr de discréditer une nouvelle idée politique (et pas seulement politique) et de lui nuire, c’est de la défendre en la poussant ê l’absurde. En effet, toute vérité, si on la rend « exorbitante » (comme disait Dietzgen père), si on l’exagère, Si on l’étend au-delà des limites de son application réelle, peut être poussée à l’absurde, et, dans ces conditions, se change même infailliblement en absurdité. Tel est le pavé de l’ours que les « gauches » de Hollande et d’Allemagne jettent à la vérité nouvelle: la supériorité du pouvoir des Soviets sur les parlements démocratiques bourgeois. Certes, il aurait tort celui qui dirait comme autrefois, et d’une façon générale, que quelles que soient les circonstances, le refus de participer aux parlements bourgeois est inadmissible. Mais essayer de formuler ici les conditions dans lesquelles le boycottage est utile, je ne le puis, l’objet du présent article étant beaucoup plus modeste: tirer des enseignements de l’expérience russe pour éclairer certaines questions brûlantes de tactique communiste internationale. L’expérience russe nous offre une application réussie et juste (en 1905), une autre application erronée (en 1906) du boycottage par les bolcheviks. En analysant le premier cas, nous voyons que les bolcheviks avaient réussi à empêcher la convocation d’un parlement réactionnaire par un pouvoir réactionnaire, dans un moment où l’action révolutionnaire extraparlementaire des masses (notamment le mouvement gréviste) croissait avec une rapidité exceptionnelle; où pas une couche du prolétariat et de la paysannerie ne pouvait soutenir, de quelque façon que ce fût, le pouvoir réactionnaire; où le prolétariat révolutionnaire assurait son influence sur les grandes masses arriérées par la lutte gréviste et le mouvement agraire. Il est parfaitement évident que cette expérience n’est pas applicable aux conditions actuelles de l’Europe. De même, il est parfaitement évident, – pour les raisons exposées plus haut, – que la justification, même conditionnelle, du refus des Hollandais et des « gauches » de prendre part aux parlements, est foncièrement erronée et nuisible à la cause du prolétariat révolutionnaire.

En Europe occidentale et en Amérique, le parlement s’est rendu particulièrement odieux à l’avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière. C’est indéniable. Et cela se conçoit, car il est difficile de se représenter chose plus infâme, plus lâche, plus perfide, que la conduite de l’immense majorité des députés socialistes et social-démocrates au parlement, pendant et après la guerre. Mais il ne serait pas simplement déraisonnable, il serait franchement criminel de se laisser aller à ce sentiment au moment de trancher la question de savoir comment il faut combattre un mal universellement reconnu. Dans beaucoup de pays d’Europe occidentale, le sentiment révolutionnaire est aujourd’hui, on peut le dire, une « nouveauté » ou une « rareté » attendue trop longtemps, en vain, avec trop d’impatience. Et peut-être est-ce pour cela que l’on cède avec tant de facilité au sentiment. Certes, en l’absence d’un sentiment révolutionnaire chez les masses, sans des conditions favorisant le progrès de ce sentiment, la tactique révolutionnaire ne se changera pas en acte; mais en Russie, une trop longue, dure et sanglante expérience nous a convaincus de cette vérité qu’on ne saurait fonder une tactique révolutionnaire sur le seul sentiment révolutionnaire. La tactique doit être tracée de sang-froid, avec une objectivité rigoureuse, en tenant compte de toutes les forces de classe dans un Etat donné (de même que dans les Etats qui l’entourent et dans tous les Etats, à l’échelle mondiale), ainsi que de l’expérience des mouvements révolutionnaires. Manifester son « esprit révolutionnaire » en se contentant d’invectiver l’opportunisme parlementaire, de répudier la participation au parlement, est très facile. Mais justement parce qu’elle est trop facile, cette solution ne résout pas un problème ardu et même très ardu.

Créer dans les parlements d’Europe une fraction parlementaire authentiquement révolutionnaire est infiniment plus malaisé qu’en Russie. Evidemment. Mais ce n’est là qu’un aspect particulier de cette vérité générale, qu’étant donné la situation historique concrète, extrêmement originale, de 1917, il a été facile à la Russie de commencer la révolution socialiste, tandis qu’il lui sera plus difficile qu’aux pays d’Europe de la continuer et de la mener à son terme. J’ai déjà eu l’occasion, au début de 1918, d’indiquer ce fait, et une expérience de deux ans a entièrement confirmé ma façon de voir. Des conditions spécifiques telles que :

  1. la possibilité d’associer la révolution soviétique à la cessation – grâce à cette révolution – de la guerre impérialiste qui infligeait aux ouvriers et aux paysans d’incroyables tortures;
  2. la possibilité de mettre à profit, pendant un certain temps, la lutte à mort des deux groupes de rapaces impérialistes les plus puissants du monde qui n’avaient pu se coaliser contre l’ennemi soviétique;
  3. la possibilité de soutenir une guerre civile relativement longue, en partie grâce aux vastes étendues du pays et à ses mauvais moyens de communications;
  4. l’existence dans la paysannerie d’un mouvement révolutionnaire démocratique bourgeois si profond que le parti du prolétariat a pu prendre les revendications révolutionnaires du parti des paysans (parti socialiste-révolutionnaire, nettement hostile, dans sa majorité, au bolchevisme) et les réaliser aussitôt grâce à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, – pareilles conditions spécifiques n’existent pas actuellement en Europe occidentale, et le renouvellement de conditions identiques ou analogues n’est guère facile. Les « gauches » d’Allemagne se plaignent des mauvais « chefs » de leur parti et se laissent aller au désespoir; ils en arrivent à une ridicule « négation » des « chefs ». Mais dans des conditions où l’on est souvent obligé de cacher les « chefs » dans l’illégalité, la formation de bons chefs, sûrs, éprouvés, ayant l’autorité morale nécessaire, est une tâche particulièrement difficile, dont il est impossible de venir à bout sans allier le travail légal au travail illégal et sans faire passer les « chefs », entre autres épreuves, par celle de l’arène parlementaire. La critique la plus violente, la plus implacable, la plus intransigeante, doit être dirigée non point contre le parlementarisme ou l’action parlementaire, mais contre les chefs qui ne savent pas – et, plus encore, contre ceux qui ne veulent pas – tirer parti des élections au parlement et de la tribune parlementaire en révolutionnaires, en communistes. Seule une telle critique jointe, bien entendu, à l’expulsion des chefs incapables et à leur remplacement par d’autres, plus capables, sera un travail révolutionnaire utile et fécond; il éduquera à la fois les « chefs », – afin qu’ils soient dignes de la classe ouvrière et des masses laborieuses, – et les masses, afin qu’elles apprennent à bien s’orienter dans la situation politique et à comprendre les problèmes souvent très complexes et embrouillés qui en découlent[13].
  5. Voilà pourquoi, en plus d’une série d’autres raisons, il est notamment plus difficile à l’Europe occidentale qu’à nous de commencer la révolution socialiste. Essayer de « tourner » cette difficulté en « sautant » par-dessus le problème ardu de l’utilisation des parlements réactionnaires à des fins révolutionnaires, est pur enfantillage. Vous voulez créer une société nouvelle et vous reculez devant la difficulté de créer une bonne fraction parlementaire de communistes convaincus, dévoués, héroïques, dans un parlement réactionnaire! N’est-ce pas de l’enfantillage ? Si Karl Liebknecht en Allemagne et Hôglund en Suède ont su, même sans un appui massif d’en bas, donner des modèles d’utilisation véritablement révolutionnaire des parlements réactionnaires, comment un parti révolutionnaire de masse, qui se développe rapidement, dans le cadre de la déception et de la colère des masses au lendemain de la guerre, n’aurait-il pas la force de forger une fraction communiste dans les pires des parlements?! C’est justement parce qu’en Europe occidentale la masse arriérée des ouvriers et, plus encore, des petits paysans est beaucoup plus qu’en Russie pénétrée de préjugés démocratiques bourgeois et parlementaires, – c’est pour cette raison que les communistes peuvent (et doivent) uniquement du sein d’institutions comme les parlements bourgeois, poursuivre une lutte opiniâtre de longue haleine, et qui ne reculerait devant aucune difficulté, pour dénoncer, dissiper, vaincre ces préjugés.

8.     Jamais de compromis ?

Nous avons vu, dans la citation empruntée à la brochure de Francfort, sur quel ton décidé les « gauches » lancent ce mot d’ordre. Il est triste de voir des gens qui, se croyant sans doute des marxistes et désirant l’être, oublient les vérités fondamentales du marxisme. Voici ce qu’écrivait, en 1874, contre le manifeste des 33 communards-blanquistes, Engels qui, comme Marx, compte parmi ces rares et très rares écrivains dont chaque phrase de chacun de leurs grands ouvrages est d’une remarquable profondeur de substance :

 » . . . Nous sommes communistes » (écrivaient dans leur manifeste les communards-blanquistes) « parce que nous voulions arriver à notre but sans passer par les étapes intermédiaires et par les compromis qui ne font qu’éloigner le jour de la victoire et prolonger la période d’esclavage. »

Les communistes allemands sont communistes parce qu’à travers toutes les étapes intermédiaires et tous les compromis créés non par eux, mais par le développement historique, ils voient clairement et poursuivent constamment leur but final : l’abolition des classes et la création d’un régime social qui ne laissera plus de place à la propriété privée du sol et des moyens de production. Les 33 blanquistes sont communistes parce qu’ils s’imaginent que dès l’instant où ils veulent brûler les étapes intermédiaires et les compromis, l’affaire est dans le sac, et que si « cela commence » un de ces jours, ce dont ils sont fermement convaincus, et que le pouvoir tombe entre leurs mains, « le communisme sera instauré » dès après-demain. Si on ne peut le faire aussitôt, c’est donc qu’ils ne sont pas communistes.

« Quelle naïveté enfantine que d’ériger sa propre impatience en argument théorique ! » (F. Engels, Internationales aus dem Volksstaat, 1874, n°73 Extrait de l’article « Le programme des communards-blanquistes« .)

Dans ce même article, Engels dit l’estime profonde que lui inspire Vaillant, il parle des « mérites indiscutables » de Vaillant (qui fut comme Guesde un des grands chefs du socialisme international, avant leur trahison du socialisme en août 1914). Mais Engels ne laisse pas d’analyser en détail une erreur manifeste. Certes, à des révolutionnaires très jeunes et inexpérimentés, et aussi à des révolutionnaires petits-bourgeois, même d’âge très respectable et très expérimentés, il paraît extrêmement « dangereux », incompréhensible, erroné d' »autoriser les compromis ». Et nombre de sophistes (politiciens ultra ou trop « expérimentés ») raisonnent précisément comme les chefs opportunistes anglais mentionnés par le camarade Lansbury : « Si les bolcheviks se permettent tel ou tel compromis, pourquoi ne pas nous permettre n’importe quel compromis ? » Mais les prolétaires instruits par des grèves nombreuses (pour ne prendre que cette manifestation de la lutte de classe), s’assimilent d’ordinaire admirablement la très profonde vérité (philosophique, historique, politique, psychologique) énoncée par Engels. Tout prolétaire a connu des grèves, a connu des « compromis » avec les oppresseurs et les exploiteurs exécrés, lorsque les ouvriers étaient contraints de reprendre le travail sans avoir rien obtenu, ou en acceptant la satisfaction partielle de leurs revendications. Tout prolétaire, vivant dans une atmosphère de lutte de masse et d’exaspération des antagonismes de classes, peut se rendre compte de la différence qui existe entre un compromis imposé par les conditions objectives (la caisse des grévistes est pauvre, ils ne sont pas soutenus, ils sont affamés et épuisés au-delà du possible), compromis qui ne diminue en rien chez les ouvriers qui l’ont conclu le dévouement révolutionnaire et la volonté de continuer la lutte, – et un compromis de traîtres qui rejettent sur les causes objectives leur bas égoïsme (les briseurs de grèves concluent eux aussi un « compromis »!), leur lâcheté, leur désir de se faire bien venir des capitalistes, leur manque de fermeté devant les menaces, parfois devant les exhortations, parfois devant les aumônes, parfois devant la flatterie des capitalistes (ces compromis de trahison sont particulièrement nombreux dans l’histoire du mouvement ouvrier anglais, du côté des chefs des trade-unions, mais presque tous les ouvriers dans tous les pays ont pu observer, sous une forme ou sous une autre, des phénomènes analogues).

Il se présente évidemment des cas isolés, exceptionnellement difficiles et complexes, où les plus grands efforts sont nécessaires pour bien déterminer le caractère véritable de tel ou tel « compromis », – de même qu’il est très difficile de décider, dans certains cas, si le meurtre était absolument légitime et même indispensable (par exemple, en cas de légitime défense), ou s’il est le résultat d’une négligence impardonnable, voire d’un plan perfide, habilement mis à exécution. (Il va de soi qu’en politique, où il s’agit parfois de rapports extrêmement complexes – nationaux et internationaux – entre les classes et les partis, de nombreux cas se présenteront, infiniment plus difficiles que la question de savoir Si un « compromis » conclu à l’occasion d’une grève est légitime, ou s’il est le fait d’un chef traître, d’un briseur de grève, etc. Vouloir trouver une recette, ou une règle générale (« Jamais de compromis » !) bonne pour tous les cas, est absurde. Il faut être assez compréhensif pour savoir se retrouver dans chaque cas particulier. La raison d’être de l’organisation du parti et des chefs dignes de ce nom c’est, entre autres choses, qu’ils doivent par un travail de longue haleine, opiniâtre, multiple et varié de tous les représentants conscients de la classe en question[14], acquérir les connaissances nécessaires, l’expérience nécessaire et, de plus, le flair politique nécessaire à la solution juste et prompte de questions politiques complexes.

Les gens naïfs et totalement dépourvus d’expérience s’imaginent qu’il suffit d’admettre les compromis en général pour que toute limite soit effacée entre l’opportunisme, contre lequel nous soutenons et devons soutenir une lutte intransigeante, et le marxisme révolutionnaire ou le communisme. Ces gens-là, s’ils ne savent pas encore que toutes les limites dans la nature et dans la société sont mobiles et jusqu’à un certain point conventionnelles, on ne peut leur venir en aide que moyennant une longue étude, instruction, éducation, expérience de la vie et des choses politiques. Il faut savoir discerner, dans les questions de politique pratique qui se posent à chaque moment particulier ou spécifique de l’histoire, celles où se manifestent les compromis les plus inadmissibles, les compromis de trahison, incarnant l’opportunisme funeste à la classe révolutionnaire, et consacrer tous les efforts pour les révéler et les combattre. Pendant la guerre impérialiste de 1914-1918 où s’affrontaient deux groupes de pays également pillards et rapaces, la forme principale, essentielle de l’opportunisme fut le social-chauvinisme, c’est-à-dire le soutien de la « défense nationale » qui, dans cette guerre, signifiait en réalité la défense des intérêts spoliateurs de « sa » bourgeoisie nationale. Après la guerre: la défense de la spoliatrice « Société des Nations »; la défense des coalitions directes ou indirectes avec la bourgeoisie de son pays contre le prolétariat révolutionnaire et le mouvement « soviétique »; la défense de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme bourgeois contre le « pouvoir des Soviets », – telles ont été les principales manifestations de ces inadmissibles compromis de trahison qui ont toujours abouti, en fin de compte, à un opportunisme funeste au prolétariat révolutionnaire et à la cause.

 » ….. Repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis… toute politique de louvoiement et d’entente »,

écrivent les « gauches » d’Allemagne dans la brochure de Francfort.

Il est bien étonnant qu’avec de pareilles idées Ces gauches ne prononcent pas une condamnation catégorique du bolchevisme! Car enfin, il n’est pas possible que les gauches d’Allemagne ignorent que toute l’histoire du bolchevisme, avant et après la Révolution d’Octobre, abonde en exemples de louvoiement, d’ententes et de compromis avec les autres partis, sans en excepter les partis bourgeois!

Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile, plus longue, plus compliquée que la plus acharnée des guerres ordinaires entre Etats, et renoncer d’avance à louvoyer, à exploiter les oppositions d’intérêts (fusent-elles momentanées) qui divisent nos ennemis, à passer des accords et des compromis avec des alliés éventuels (fusent-ils temporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels); n’est-ce pas d’un ridicule achevé ? N’est-ce pas quelque chose comme de renoncer d’avance, dans l’ascension difficile d’une montagne inexplorée et inaccessible jusqu’à ce jour, à marcher parfois en zigzags, à revenir parfois sur ses pas, à renoncer à la direction une fois choisie pour essayer des directions différentes ? Et des gens manquant à ce point de conscience et d’expérience (encore si leur jeunesse en était la cause : les jeunes ne sont-ils pas faits pour débiter un certain temps des bêtises pareilles!) ont pu être soutenus – de près ou de loin, de façon franche ou déguisée, entièrement ou en partie, il n’importe! – par certains membres du Parti communiste hollandais!!

Après la première révolution socialiste du prolétariat, après le renversement de la bourgeoisie dans un pays, le prolétariat de ce pays reste encore longtemps plus faible que la bourgeoisie, d’abord simplement à cause des relations internationales étendues de cette dernière, puis à cause du renouvellement spontané et continu, de la régénération du capitalisme et de la bourgeoisie par les petits producteurs de marchandises dans le pays qui a renversé sa bourgeoisie. On ne peut triompher d’un adversaire plus puissant qu’au prix d’une extrême tension des forces et à la condition expresse d’utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre « fissure » entre les ennemis, les moindres oppositions d’intérêts entre tes bourgeoisies des différents pays, entre les différents groupes ou catégories de la bourgeoisie à l’intérieur de chaque pays, aussi bien que la moindre possibilité de s’assurer un allié numériquement fort, fut-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. Qui n’a pas compris cette vérité n’a compris goutte au marxisme, ni en général au socialisme scientifique contemporain. Qui n’a pas prouvé pratiquement, pendant un laps de temps assez long et en des situations politiques assez variées, qu’il sait appliquer cette vérité dans les faits, n’a pas encore appris à aider la classe révolutionnaire dans sa lutte pour affranchir des exploiteurs toute l’humanité laborieuse. Et ce qui vient d’être dit est aussi vrai pour la période qui précède et qui suit la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Notre théorie n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action, ont dit Marx et Engels et la plus grave erreur, le crime le plus grave de marxistes aussi « patentés » que Karl Kautsky, Otto Bauer et autres, c’est qu’ils n’ont pas compris, c’est qu’ils n’ont pas su appliquer cette vérité aux heures les plus décisives de la révolution prolétarienne. « L’action politique, ce n’est pas un trottoir de la perspective Nevski » (un trottoir net, large et uni de l’artère principale, absolument rectiligne, de Pétersbourg), disait déjà N. Tchernychevski, le grand socialiste russe de la période d’avant Marx. Depuis Tchernychevski, les révolutionnaires russes ont payé de sacrifices sans nombre leur méconnaissance ou leur oubli de cette vérité. Il faut à tout prix faire en sorte que les communistes de gauche et les révolutionnaires d’Europe occidentale et d’Amérique, dévoués à la classe ouvrière, ne payent pas aussi cher que les Russes retardataires l’assimilation de cette vérité.

Jusqu’à la chute du tsarisme, les social-démocrates révolutionnaires de Russie recoururent maintes fois aux services des libéraux bourgeois, c’est-à-dire qu’ils passèrent quantité de compromis pratiques avec ces derniers. En 1901-1902, dès avant la naissance du bolchevisme, l’ancienne rédaction de l’Iskra (faisaient partie de cette rédaction: Plékhanov, Axelrod, Zassoulitch, Martov, Potressov et moi) avait conclu (pas pour longtemps, il est vrai) une alliance politique formelle avec le leader politique du libéralisme bourgeois, Strouve, tout en soutenant sans discontinuer la lutte idéologique et politique la plus implacable contre le libéralisme bourgeois et contre les moindres manifestations de son influence au sein du mouvement ouvrier. Les bolcheviks ont toujours suivi cette politique. Depuis 1905, ils ont systématiquement préconisé l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie contre la bourgeoisie libérale et le tsarisme, sans toutefois refuser jamais de soutenir la bourgeoisie contre le tsarisme (par exemple, au scrutin de 2e degré ou au scrutin de ballottage) et sans cesser la lutte idéologique et politique la plus intransigeante contre le parti paysan révolutionnaire bourgeois, les « socialistes-révolutionnaires », qu’ils dénonçaient comme des démocrates petits-bourgeois se prétendant socialistes. En 1907, les bolcheviks constituèrent, pour peu de temps, un bloc politique formel avec les « socialistes-révolutionnaires » pour les élections à la Douma. De 1903 à 1912, nous avons séjourné avec les mencheviks, parfois pendant plusieurs années, nominalement dans le même parti social-démocrate, sans jamais cesser de les combattre sur le terrain idéologique et politique comme agents de l’influence bourgeoise sur le prolétariat et comme opportunistes. Nous avons conclu pendant la guerre une sorte de compromis avec les « kautskistes », les mencheviks de gauche (Martov) et une partie des « socialistes-révolutionnaires » (Tchernov, Nathanson); nous avons siégé avec eux à Zimmerwald et Kienthal, publié des manifestes communs; mais nous n’avons jamais cessé ni relâché notre lutte idéologique et politique contre les « kautskistes », les Martov et les Tchernov. (Nathanson est mort en 1919, étant « communiste-révolutionnarie » populiste très proche de nous, presque solidaire avec nous.) Au moment même de la Révolution d’Octobre, nous avons constitué un bloc politique, non point formel, mais très important (et très réussi) avec la paysannerie petite-bourgeoise, en acceptant en entier, sans y rien changer, le programme agraire des socialistes-révolutionnaires; c’est-à-dire que nous avons consenti un compromis indéniable, afin de prouver aux paysans que, loin de vouloir nous imposer, nous désirions nous entendre avec eux. Nous avons proposé en même temps (et nous réalisions peu après) un bloc politique formel – avec participation au gouvernement – aux « socialistes-révolutionnaires de gauche » qui dénoncèrent ce bloc au lendemain de la paix de Brest-Litovsk pour en venir ensuite, en juillet 1918, à une insurrection armée et, plus tard, à la lutte armée contre nous.

On conçoit donc que les attaques des gauches d’Allemagne contre le Comité central du Parti communiste allemand, auquel on reproche d’admettre l’idée d’un bloc avec les « indépendants » (le « Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne », les kautskistes), nous paraissent absolument dénuées de sérieux; c’est une démonstration évidente de l’erreur des « gauches ». Il y a eu, en Russie également, des mencheviks de droite (ils firent partie du gouvernement Kérensky) qui correspondaient aux Scheidemann d’Allemagne, et des mencheviks de gauche (Martov) en opposition aux mencheviks de droite et correspondant aux kautskistes allemands. Nous avons pu observer clairement en 1917 le passage graduel des masses ouvrières, du camp menchevik aux côtés des bolcheviks: au 1° Congrès des Soviets de Russie, en juin 1917, nous ne réunissions que 53% des voix. La majorité appartenait aux socialistes-révolutionnaires et aux mencheviks. Au deuxième Congrès des Soviets (25 octobre 1917, vieux style) nous avions 51 % des suffrages. Pourquoi en Allemagne le même élan, absolument identique, des ouvriers – de droite vers la gauche – n’a-t-il pas conduit d’emblée à l’affermissement des communistes, mais d’abord à celui du parti intermédiaire des « indépendants », quoique ce parti n’ait jamais eu aucune idée politique propre, aucune politique à lui, et n’ait jamais fait que balancer entre les Scheidemann et les communistes ?

Une des causes en a été évidemment la tactique erronée des communistes allemands, qui doivent reconnaître avec loyauté et sans crainte leur erreur et apprendre à la corriger. Cette erreur consistait à repousser la participation au parlement réactionnaire, bourgeois, et aux syndicats réactionnaires; elle consistait en de nombreuses manifestations de cette maladie infantile dite le « gauchisme », qui enfin s’est extériorisée et n’en sera que mieux et plus vite guérie, avec plus de profit pour l’organisme.

Le « Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne » manque nettement d’homogénéité: à côté des vieux chefs opportunistes (Kautsky, Hilferding et, vraisemblablement, dans une large mesure, Crispien, Ledebour et autres), qui ont prouvé leur incapacité à comprendre la signification du pouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat, leur incapacité à diriger la lutte révolutionnaire de ce dernier, – il s’est formé dans ce parti une aile gauche, prolétarienne, qui suit une progression singulièrement rapide. Des centaines de milliers de membres de ce parti (qui en compte, je crois, jusqu’à ¾ de million) sont des prolétaires qui, s’éloignant de Scheidemann, marchent à grands pas vers le communisme. Cette aile prolétarienne avait déjà proposé au congrès des indépendants à Leipzig (en 1919) l’adhésion immédiate et sans condition à la III° Internationale. Redouter un « compromis » avec cette aile du parti serait tout bonnement ridicule. Au contraire, les communistes se doivent de rechercher et de trouver une forme appropriée de compromis susceptible, d’une part, de faciliter et de hâter la complète et nécessaire fusion avec cette aile, et, d’autre part, de ne gêner en rien la campagne idéologique et politique des communistes contre l’aile droite opportuniste des « indépendants ». Sans doute ne sera-t-il pas facile d’établir la forme convenable du compromis, mais il faut être un charlatan pour promettre aux ouvriers et aux communistes allemands de les conduire à la victoire par un chemin « facile ».

Le capitalisme ne serait pas le capitalisme si le prolétariat « pur » n’était entouré d’une foule extrêmement bigarrée de types sociaux marquant la transition du prolétaire au semi-prolétaire (à celui qui ne tire qu’à moitié ses moyens d’existence de la vente de sa force de travail), du semi-prolétaire au petit paysan (et au petit artisan dans la ville ou à la campagne, au petit exploitant en général); du petit paysan au paysan moyen, etc.; si le prolétariat lui-même ne comportait pas de divisions en catégories plus ou moins développées, groupes d’originaires, professionnels, parfois religieux, etc. D’où la nécessité, la nécessité absolue pour l’avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente, pour le Parti communiste, de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromis avec les divers groupes de prolétaires, les divers partis d’ouvriers et de petits exploitants. Le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever, et non à abaisser le niveau de conscience général du prolétariat, son esprit révolutionnaire, sa capacité de lutter et de vaincre. Notons d’ailleurs que la victoire des bolcheviks sur les mencheviks a exigé, non seulement avant mais aussi après la Révolution d’Octobre 1917, l’application d’une tactique de louvoiement, d’ententes, de compromis, de celles et de ceux, bien entendu, qui pouvaient faciliter, hâter, consolider, renforcer la victoire des bolcheviks aux dépens des mencheviks. Les démocrates petits-bourgeois (les mencheviks y compris) balancent forcément ‘entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre la démocratie bourgeoise et le régime soviétique, entre le réformisme et l’esprit révolutionnaire, entre l’ouvriérisme et la crainte devant la dictature du prolétariat, etc. La juste tactique des communistes doit consister à utiliser ces hésitations, et non point à les ignorer; or les utiliser, c’est faire des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat, et n’en faire qu’au moment et dans la mesure où ils s’orientent vers ce dernier, tout en luttant contre ceux qui se tournent vers la bourgeoisie. Grâce à l’application de cette juste tactique, le menchevisme s’est de plus en plus disloqué et se disloque chez nous, isolant les chefs qui s’obstinent dans l’opportunisme et amenant dans notre camp les meilleurs ouvriers, les meilleurs éléments de la démocratie petite-bourgeoise. C’est là un processus de longue haleine, et les « solutions » à tir rapide: « Jamais de compromis, jamais de louvoiement » ne peuvent qu’être préjudiciables à l’accroissement de l’influence du prolétariat révolutionnaire et à la montée de ses effectifs.

Enfin, une des erreurs incontestables des « gauchistes » d’Allemagne, c’est qu’ils persistent dans leur refus de reconnaître le traité de Versailles. Plus ce point de vue est formulé avec « poids » et « sérieux », avec « résolution » et sans appel, comme le fait par exemple K. Horner, et moins cela paraît sensé. Il ne suffit pas de renier les absurdités criantes du « bolchevisme national » (Laufenberg et autres), qui en vient à préconiser un bloc avec la bourgeoisie allemande pour reprendre la guerre contre l’Entente, dans le cadre actuel de la révolution prolétarienne internationale. Il faut comprendre qu’elle est radicalement fausse, la tactique qui n’admet pas l’obligation pour l’Allemagne soviétique (si une République soviétique allemande surgissait à bref délai) de reconnaître pour un temps la paix de Versailles et de s’y plier. Il ne suit point de là que les « indépendants » aient eu raison de préconiser, quand les Scheidemann siégeaient au gouvernement, quand le pouvoir des Soviets n’était pas encore renversé en Hongrie, quand la possibilité n’était pas encore exclue d’une révolution soviétique à Vienne qui eût appuyé les Soviets de Hongrie, – de préconiser dans les conditions d’alors, la signature du traité de Versailles. Les « indépendants » louvoyaient et manœuvraient alors déplorablement, car ils assumaient une responsabilité plus ou moins grande pour la trahison des Scheidemann, ils glissaient plus ou moins des positions d’une guerre de classe sans merci (et d’un sang-froid absolu) contre les Scheidemann, à une position « hors-classe » ou « au-dessus des classes ».

Mais il est manifeste aujourd’hui que les communistes d’Allemagne ne doivent pas se lier les mains en promettant de répudier à toute force la paix de Versailles au cas où le communisme triompherait. Ce serait absurde. Il faut dire : les Scheidemann et les kautskistes ont commis une suite de trahisons qui ont rendu difficile (en partie: ruiné net) l’alliance avec la Russie soviétique, avec la Hongrie soviétique. Nous nous efforcerons par tous les moyens, nous communistes, de faciliter et de préparer cette alliance, sans être tenus le moins du monde de dénoncer à tout prix – et immédiatement – la paix de Versailles. La possibilité de la dénoncer utilement ne dépend pas seulement des succès du mouvement soviétique en Allemagne, mais aussi de ses succès dans le monde entier. Ce mouvement a été entravé par les Scheidemann et les kautskistes; nous, nous le favorisons. Là est le fond de la question, là est la différence radicale. Et si nos ennemis de classe, les exploiteurs, leurs valets, les Scheidemann et les kautskistes, ont laissé échapper mainte occasion de renforcer le mouvement soviétique et en Allemagne et dans le monde, de renforcer la révolution soviétique en Allemagne comme dans l’univers, la faute en revient à eux. La révolution soviétique en Allemagne renforcera le mouvement soviétique international, ce plus fort rempart (le seul sûr, invincible et universellement puissant) contre la paix de Versailles, contre l’impérialisme international en général. Faire passer absolument, à toute force, immédiatement, la libération à l’égard du traité de Versailles avant le problème de l’affranchissement des autres pays opprimés du joug de l’impérialisme, c’est du nationalisme petit-bourgeois (digne des Kautsky, des Hilferding, des Otto Bauer et Cie et non de l’internationalisme révolutionnaire. Renverser la bourgeoisie dans tout grand Etat européen, y compris l’Allemagne, serait un tel avantage pour la révolution internationale que l’on pourrait et devrait consentir – si besoin était – à proroger l’existence de la paix de Versailles. Si la Russie a pu à elle seule supporter, avec profit pour la révolution, pendant plusieurs mois, le traité de Brest-Litovsk, il n’y a rien d’impossible à ce que l’Allemagne soviétique, alliée à la Russie soviétique, supporte avec profit pour la révolution une plus longue existence du traité de Versailles.

Les impérialistes de France, d’Angleterre, etc., provoquent les communistes allemands, leur tendent ce piège : « Dites que vous ne signerez pas le traité de Versailles. » Et les communistes de gauche, au lieu de manœuvrer habilement contre un ennemi perfide et à l’heure actuelle plus puissant, au lieu de lui dire: « Maintenant nous signerons le traité de Versailles« , tombent dans le piège comme des enfants. Se lier les mains d’avance, dire tout haut à un ennemi qui, pour l’instant, est mieux armé que nous, Si nous allons lui faire la guerre et à quel moment, c’est pure sottise et non ardeur révolutionnaire. Accepter le combat lorsqu’il est manifestement avantageux à l’ennemi, et non à nous, c’est un crime; et ceux-là ne valent rien, parmi les politiques de la classe révolutionnaire, qui ne savent pas procéder par « louvoiement, ententes et compromis », afin de se soustraire à un combat pertinemment désavantageux.

9.     Le « Communisme de gauche » en Angleterre

Il n’y a pas encore de parti communiste en Angleterre, mais il y a parmi les ouvriers un mouvement communiste tout jeune, large, puissant, dont la croissance est rapide et qui autorise les plus radieuses espérances. Il y a plusieurs partis et organisations politiques (« Parti socialiste britannique[15] », « Parti ouvrier socialiste[16] », « Association socialiste du pays de Galles du Sud », « Fédération socialiste ouvrière »), qui désirent créer un parti communiste et sont déjà en pourparlers à ce sujet. On trouve dans le Workers Dreadnought (tome VI, N° 48, du 21 février 1920), organe hebdomadaire de la « Fédération socialiste ouvrière », dirigé par la camarade Sylvia Pankhurst, un article d’elle intitulé : « Vers un parti communiste. » L’article expose comme suit les pourparlers en cours entre les quatre organisations ci-dessus nommées, pour la formation d’un parti communiste unique : adhésion à la III° Internationale, reconnaissance du système soviétique au lieu du parlementarisme, et de la dictature du prolétariat. Il apparaît qu’un des principaux obstacles à la constitution immédiate d’un parti communiste unique est le désaccord sur le problème de la participation au parlement et de l’adhésion du nouveau parti communiste au vieux « Labour Party » opportuniste et social-chauvin, corporatif et composé surtout de trade-unions. La « Fédération socialiste ouvrière », de même que le « Parti ouvrier socialiste » (Ce parti est, ce me semble, contre l’adhésion au « Labour Party » mais n’est pas tout entier contre la participation au parlement.) se prononcent contre la participation aux élections parlementaires et au parlement, contre l’adhésion au « Labour Party » et sont, sur ce point, en désaccord avec tous les membres ou avec la majorité des membres du Parti socialiste britannique, qui constitue à leurs yeux « l’aile droite des partis communistes » en Angleterre (page 5 de l’article de Sylvia Pankhurst).

Ainsi la division fondamentale est la même qu’en Allemagne, malgré les différences considérables quant à la forme que revêt le désaccord (en Allemagne cette forme se rapproche beaucoup plus de la forme « russe » qu’en Angleterre) et pour maintes autres raisons. Mais voyons les arguments des « gauches ».

Pour ce qui est de la participation au parlement, Sylvia Pankhurst se réfère à un article publié dans le même numéro par W. Gallacher, lequel écrit au nom du « Conseil ouvrier d’Ecosse » de Glasgow :

« Ce Conseil, dit-il, est nettement antiparlementaire, et il a pour lui l’aile gauche de diverses organisations politiques. Nous représentons le mouvement révolutionnaire écossais, qui se propose de créer une organisation révolutionnaire dans les industries (dans les diverses branches de l’industrie) et un parti communiste appuyé sur des comités sociaux dans tout le pays. Longtemps nous nous sommes disputés avec les parlementaires officiels. Nous n’avons pas jugé nécessaire de leur déclarer ouvertement la guerre; quant à eux, ils craignent de s’attaquer à nous.

Mais cette situation ne peut pas durer longtemps. Nous triomphons sur toute la ligne.

La masse des membres du Parti travailliste indépendant d’Ecosse est de plus en plus écœurée du parlement, et presque tous les groupes locaux sont pour les Soviets (le mot russe est employé dans la transcription anglaise) ou pour les Soviets ouvriers. Evidemment, ce fait a une importance très sérieuse pour ces messieurs qui considèrent la politique comme un gagne-pain (comme une profession), et ils usent de tous les expédients pour persuader leurs membres de revenir dans le giron du parlementarisme. Les camarades révolutionnaires ne doivent pas (tous les mots soulignés le sont par l’auteur) soutenir cette bande. Ici la lutte nous sera très difficile. La défection de ceux pour qui l’intérêt personnel est un stimulant plus fort que l’intérêt qu’ils portent à la révolution, en sera un des traits les plus affligeants. Accorder le moindre appui au parlementarisme revient simplement à aider à l’accession au pouvoir de nos Scheidemann et Noske britanniques. Henderson, Clynes et Cie sont irrémédiablement réactionnaires. Le Parti travailliste indépendant officiel tombe de plus en plus sous la coupe des libéraux bourgeois, qui ont trouvé un refuge moral dans le camp de MM. MacDonald, Snowden et Cie. Le Parti travailliste indépendant officiel est violemment hostile à la III’ Internationale, mais la masse est pour elle. Soutenir de quelque façon que ce soit les parlementaires opportunistes, c’est tout bonnement faire le jeu de ces messieurs. Le Parti socialiste britannique n’a ici aucune importance… Ce qu’il faut, c’est une bonne organisation révolutionnaire industrielle et un parti communiste agissant sur des bases scientifiques, claires et nettement définies. Si nos camarades peuvent nous aider à créer l’une et l’autre, nous accepterons volontiers leur concours: s’ils ne le peuvent pas, qu’ils ne s’en mêlent pas pour l’amour de Dieu, à moins qu’ils ne veuillent trahir la révolution en prêtant appui aux réactionnaires qui recherchent avec tant de zèle le titre « honorable » (?) (le point d’interrogation est de l’auteur) de parlementaires, et qui brûlent de prouver qu’ils sont capables de gouverner aussi bien que les « patrons » eux-mêmes, les hommes politiques de classe. »

Cette lettre à la rédaction traduit admirablement, à mon avis, l’état d’esprit et le point de vue des jeunes communistes ou des ouvriers de la masse, qui commencent à peine à venir au communisme. Cet état d’esprit est réconfortant et précieux au plus haut point; il faut savoir l’apprécier et l’entretenir, car sans lui on désespérerait de la victoire de la révolution prolétarienne en Angleterre, comme du reste dans tout autre pays. Ceux qui savent exprimer, susciter dans les masses cet état d’esprit (qui très souvent sommeille, est inconscient, latent), il faut s’en montrer soucieux et leur prêter aide et attention. Mais il faut aussi leur dire ouvertement, sans équivoque, que cet état d’esprit à lui seul ne suffit pas à diriger les masses dans la grande lutte révolutionnaire, et que telles ou telles erreurs que les hommes les plus dévoués à la cause révolutionnaire sont disposés à commettre ou commettent, peuvent nuire à cette cause. La lettre adressée à la rédaction par le camarade Gallacher contient indéniablement en germe toutes les erreurs des communistes « de gauche » d’Allemagne et celles commises par les bolcheviks russes « de gauche » en 1908 et 1918.

L’auteur de cette lettre est tout pénétré d’une très noble colère prolétarienne contre les « politiciens de classe » de la bourgeoisie (colère compréhensible et sympathique du reste aux yeux non seulement des prolétaires, mais aussi de tous les travailleurs, de toutes les « petites gens », pour employer ici l’expression allemande). Cette colère d’un représentant des masses opprimées et exploitées est en vérité le « commencement de la sagesse », la base de tout mouvement socialiste et communiste et de son succès. Mais l’auteur oublie visiblement que la politique est une science et un art qui ne tombent pas du ciel, qui demandent un effort; et que le prolétariat, s’il veut vaincre la bourgeoisie, doit former des « hommes politiques de classe », bien à lui, prolétariens, et qui ne soient pas inférieurs à ceux de la bourgeoisie.

L’auteur de la lettre a fort bien compris que seuls les Soviets ouvriers, et non le parlement, peuvent offrir au prolétariat le moyen d’atteindre au but. Et celui qui ne l’a pas encore compris est évidemment le pire réactionnaire, fut-il l’homme le plus savant, le politique le plus expérimenté, le socialiste le plus sincère, le marxiste le plus érudit, le plus loyal des citoyens et des pères de famille. Mais l’auteur de la lettre ne pose même pas, ne croit pas même nécessaire de poser la question de savoir si l’on peut amener les Soviets à la victoire sur le parlement sans faire entrer les politiques « soviétiques  » à l’intérieur du parlement ? Sans désagréger le parlementarisme de l’intérieur, sans préparer au-dedans du parlement le succès des Soviets dans la tâche qui leur incombe de dissoudre le parlement. Cependant l’auteur de la lettre émet cette idée parfaitement juste que le Parti communiste anglais doit fonder son action sur une base scientifique. La science veut d’abord que l’on tienne compte de l’expérience des autres pays, surtout si les autres pays, capitalistes eux aussi, connaissent ou ont connu récemment une expérience sensiblement analogue. Elle veut, en second lieu, qu’on tienne compte de toutes les forces: groupes, partis, classes et masses agissant dans le pays, au lieu de déterminer la politique uniquement d’après les désirs et les opinions, le degré de conscience et de préparation à la lutte d’un seul groupe ou d’un seul parti.

Que les Henderson, les Clynes, les MacDonald, les Snowden soient irrémédiablement réactionnaires, cela est exact. Il n’est pas moins exact qu’ils veulent prendre le pouvoir (préférant d’ailleurs la coalition avec la bourgeoisie); qu’ils veulent « administrer » selon les vieilles règles bourgeoises et se conduiront forcément, une fois au pouvoir, comme les Scheidemann et les Noske. Tout cela est exact. Mais il ne suit point de là que les soutenir, c’est trahir la révolution; il s’ensuit que les révolutionnaires de la classe ouvrière doivent, dans l’intérêt de la révolution, accorder à ces messieurs un certain soutien parlementaire. Pour bien le montrer, je prendrai deux documents politiques anglais d’actualité: 1. le discours prononcé le 18 mars 1920 par le premier ministre Lloyd George (d’après le Manchester Guardian du 19 mars 1920) et 2. les réflexions d’une communiste « de gauche », la camarade Sylvia Pankhurst, dans l’article ci-dessus mentionné.

Dans son discours, Lloyd George polémique avec Asquith (qui, spécialement invité à la réunion, avait refusé de s’y rendre) et avec ceux des libéraux qui sont partisans non de la coalition avec les conservateurs, mais d’un rapprochement avec le Labour Party. (Nous savons de même par la lettre du camarade Gallacher à la rédaction, que des libéraux étaient passés au Parti travailliste indépendant.) Lloyd George s’attache à démontrer qu’une coalition des libéraux et des conservateurs – coalition étroite – est indispensable pour empêcher la victoire du Labour Party, que Lloyd George « préfère appeler » socialiste, et qui préconise la « propriété collective » des moyens de production. « C’est ce qu’on a appelé en France le communisme », explique populairement le chef de la bourgeoisie anglaise à ses auditeurs, membres du Parti libéral parlementaire, qui, vraisemblablement, l’ignoraient jusqu’à ce jour. « En Allemagne, cela s’est appelé socialisme; en Russie, cela s’appelle bolchevisme. » Pour les libéraux, la chose est irrecevable par principe, explique Lloyd George, car les libéraux sont par principe pour la propriété privée. « La civilisation est en danger », déclare l’orateur, et c’est pourquoi les libéraux et les conservateurs doivent s’unir.

 » … .Si vous vous rendez dans les districts agricoles, dit Lloyd George, je le reconnais, vous y verrez se maintenir, comme auparavant, les anciennes divisions de parti. Là le danger est loin. Là le danger n’existe pas. Mais quand il s’agira des districts agricoles, le danger y sera aussi grand qu’il l’est maintenant dans certains districts industriels. Les quatre cinquièmes de notre pays s’occupent d’industrie et de commerce ; un cinquième à peine s’adonne à l’agriculture. C’est là une des circonstances que je ne perds jamais de vue quand je songe aux dangers que nous réserve l’avenir. La France a une population surtout agricole, et vous avez là une base solide de conceptions déterminées, base qui ne se modifie pas très vite et qu’il n’est pas facile de troubler par un mouvement révolutionnaire. Il en va autrement pour notre pays. Il est plus facile de l’ébranler que n’importe quel autre pays au monde, et s’il se met à fléchir, la catastrophe y sera, pour les raisons indiquées, plus forte que dans les autres pays. »

Le lecteur voit ainsi que M. Lloyd George n’est pas seulement un homme de grande intelligence, mais qu’il a beaucoup appris chez les marxistes. Nous ferons bien à notre tour de nous instruire auprès de lui.

Il est intéressant de noter encore cet épisode de la discussion qui s’institua après le discours de Lloyd George:

« M. Wailace : Je voudrais savoir ce que le premier ministre pense des résultats de sa politique dans les districts industriels en ce qui concerne les ouvriers d’industrie, dont un très grand nombre sont actuellement libéraux et auprès desquels nous trouvons un si grand appui. N’y a-t-il pas lieu de prévoir que la force du Labour Party s’accroîtra considérablement grâce aux ouvriers qui sont actuellement nos sincères soutiens ?

Le premier ministre: Je suis d’un tout autre avis. Le fait que les libéraux luttent entre eux, pousse sans doute un nombre considérable de libéraux, pris de désespoir, à rejoindre le Labour Party, où un grand nombre de libéraux fort capables s’emploient aujourd’hui à jeter le discrédit sur le gouvernement. L’opinion publique n’en est que mieux disposée en faveur du Labour Party. Elle ne se tourne pas vers les libéraux qui sont en dehors du Labour Party, mais vers celui-ci, c’est ce que montrent les élections partielles. »

Marquons en passant que ce raisonnement indique surtout à quel point les hommes les plus intelligents de la bourgeoisie se sont enferrés et ne peuvent plus se retenir de faire des bêtises irréparables. C’est ce qui causera la perte de la bourgeoisie. Tandis que nos gens à nous peuvent faire même des bêtises (à la condition toutefois que ces bêtises ne soient pas trop graves et qu’elles soient corrigées assez tôt), ils n’en seront pas moins au bout du compte les vainqueurs.

Le second document politique, ce sont les considérations suivantes de la camarade Sylvia Pankhurst, communiste « de gauche »:

 » … .Le camarade Inkpin (secrétaire du Parti socialiste britannique) appelle le Labour Party « l’organisation principale du mouvement de la classe ouvrière ». Un autre camarade du Parti socialiste britannique a exprimé à la conférence de la III° Internationale le point de vue de ce parti avec encore plus de relief. Il a dit : « Nous considérons le Labour Party comme la classe ouvrière organisée. »

Nous ne partageons pas cette opinion sur le Labour Party. Celui-ci a de gros effectifs, quoique ses membres soient dans une notable mesure apathiques et passifs; ce sont des ouvriers et des ouvrières entrés dans les trade-unions pour faire comme leurs camarades d’atelier et pour toucher des allocations. Mais nous reconnaissons que l’importance numérique du Labour Party provient aussi du fait que ce parti est l’œuvre d’une école de pensée, dont les limites n’ont pas encore été dépassées par la majorité de la classe ouvrière britannique, quoique de grands changements se préparent dans l’esprit du peuple, qui modifiera bientôt cet état de choses.

 » ….. De même que les organisations social-patriotes des autres pays, le Labour Party britannique accédera inévitablement au pouvoir par le cours naturel du développement de la société. Aux communistes d’organiser les forces qui renverseront les social-patriotes, et nous ne devons dans notre pays ni retarder cette action ni hésiter.

Nous ne devons pas disperser notre énergie en augmentant les forces du Labour Party; son ascension au pouvoir est inévitable. Nous devons employer nos forces à créer un mouvement communiste qui vaincra ce parti. Le Labour Party formera sous peu le gouvernement; l’opposition révolutionnaire doit être prête à porter l’attaque contre lui… »

Ainsi la bourgeoisie libérale répudie le système des « deux partis » (d’exploiteurs), système historiquement consacré par une expérience séculaire et infiniment avantageux pour les exploiteurs; elle estime nécessaire que se fasse l’union de leurs forces contre le Labour Party. Une partie des libéraux, tels les rats d’un navire en perdition, courent rejoindre le Labour Party. Les communistes de gauche considèrent comme inévitable l’accession du Labour Party au pouvoir et reconnaissent que, aujourd’hui, ce parti a pour lui la majorité des ouvriers. De là ils tirent une conclusion bizarre, que la camarade Sylvia Pankhurst formule en ces termes:

« Le Parti communiste ne doit pas conclure de compromis… Il doit conserver pure sa doctrine et immaculée son indépendance vis-à-vis du réformisme; sa mission est de marcher en tête, sans s’arrêter et sans dévier de sa route, d’aller tout droit vers la révolution communiste. »

De ce que la majorité des ouvriers d’Angleterre suit encore les Kérensky ou les Scheidemann anglais; de ce qu’elle n’a pas encore fait l’expérience du gouvernement de ces hommes, expérience qui a été nécessaire à la Russie et à l’Allemagne pour amener le passage en masse des ouvriers au communisme, il résulte au contraire, avec certitude, que les communistes anglais doivent participer à l’action parlementaire, doivent de l’intérieur du parlement aider la masse ouvrière à juger le gouvernement Henderson-Snowden d’après ses actes, doivent aider les Henderson et les Snowden à vaincre Lloyd George et Churchill réunis. Agir autrement, c’est entraver l’œuvre de la révolution, car si un changement n’intervient pas dans la manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible; or ce changement, c’est l’expérience politique des masses qui l’amène, et jamais la seule propagande. « En avant, sans compromis, sans dévier de sa route », si c’est une minorité notoirement impuissante d’ouvriers qui parle ainsi, sachant (ou en tout cas devant savoir) qu’en cas de victoire de Henderson et de Snowden sur Lloyd George et Churchill, la majorité, perdant toute illusion sur ses chefs, en viendra rapidement à soutenir le communisme (ou en tout cas à la neutralité et le plus souvent à une neutralité bienveillante à l’égard des communistes), – ce mot d’ordre est manifestement erroné. C’est comme si 10 000 soldats se jetaient dans la bataille contre 50 000 ennemis, alors qu’il faudrait « s’arrêter », « faire un détour » et même conclure un « compromis », pour donner le temps d’arriver aux 100 000 hommes de renfort qui doivent venir et qui ne peuvent entrer en action sur-le-champ. C’est un enfantillage d’intellectuels, ce n’est pas la tactique sérieuse d’une classe révolutionnaire.

La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes: la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs). Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement.

Au fait, en Angleterre, comme il ressort justement du discours de Lloyd George, on voit manifestement s’affirmer ces deux conditions du succès de la révolution prolétarienne. Et toute erreur des communistes de gauche est doublement dangereuse, aujourd’hui que nous observons chez certains révolutionnaires une attitude insuffisamment raisonnée, insuffisamment attentive, insuffisamment consciente, insuffisamment réfléchie vis-à-vis de chacune de ces conditions. Si nous ne sommes pas un groupe de révolutionnaires, mais le parti de la classe révolutionnaire; si nous voulons entraîner à notre suite les masses (faute de quoi nous risquons de n’être plus que des bavards), nous devons d’abord aider Henderson ou Snowden à battre Lloyd George et Churchill (et même, plus exactement : obliger les premiers – car ils redoutent leur propre victoire! – à battre les seconds); puis aider la majorité de la classe ouvrière à se convaincre par sa propre expérience que nous avons raison, c’est-à-dire que les Henderson et les Snowden ne sont bons à rien, que ce sont des petits bourgeois perfides et que leur faillite est certaine; enfin, rapprocher le moment où, la majorité des ouvriers ayant perdu ses illusions sur le compte des Henderson, on pourra renverser d’emblée, avec de sérieuses chances de succès, le gouvernement des Henderson, qui à plus forte raison perdra la tête puisque Lloyd George, si intelligent et si posé, non pas petit mais grand bourgeois, se montre tout à fait désorienté et se débilite lui-même (et débilite la bourgeoisie) chaque jour davantage, hier par ses « tiraillements » avec Churchill, aujourd’hui par ses « tiraillements » avec Asquith.

Je serai plus précis. Les communistes anglais doivent, à mon avis, rassembler leurs quatre partis et groupes (tous très faibles, certains même tout à fait faibles) en un seul parti communiste sur la base des principes de la III° Internationale et de la participation obligatoire au parlement. Le Parti communiste propose aux Henderson et aux Snowden un « compromis », un accord électoral: nous marchons ensemble contre la coalition de Lloyd George et des conservateurs; nous partageons des sièges parlementaires proportionnellement au nombre de voix données par les ouvriers soit au Labour Party, soit aux communistes (non aux élections, mais dans un vote spécial); nous gardons, pour notre part, la plus entière liberté de propagande, d’agitation, d’action politique. Sans cette dernière condition, impossible de faire bloc, évidemment, car ce serait une trahison: les communistes anglais doivent exiger et s’assurer absolument la plus entière liberté de dénoncer les Henderson et les Snowden comme l’ont fait (quinze ans durant, de 1903à 1917) les bolcheviks russes à l’égard des Henderson et des Snowden russes, c’est-à-dire des mencheviks.

Si les Henderson et les Snowden acceptent le bloc à ces conditions, nous aurons gagné. Car ce qui nous importe, ce n est pas du tout le nombre des sièges au parlement, nous ne courons pas après, sur ce point nous serons coulants (tandis que les Henderson et surtout leurs nouveaux amis – ou leurs nouveaux maîtres – les libéraux passés au Parti travailliste indépendant, courent surtout après les sièges). Nous aurons gagné, car nous porterons notre propagande dans les masses au moment même où elles viennent d’être « mises en goût » par Lloyd George lui-même, et nous aiderons non seulement le Parti travailliste à former plus vite son gouvernement, mais encore les masses à comprendre plus vite toute la propagande communiste que nous mènerons contre les Henderson sans la moindre réticence, sans la moindre réserve.

Si les Henderson et les Snowden refusent de faire bloc avec nous à ces conditions, nous aurons gagné encore davantage. Car nous aurons d’un seul coup montré aux masses (notez bien que même au sein du Parti travailliste indépendant, purement menchevik, entièrement opportuniste, la masse est pour les Soviets) que les Henderson font passer leur intimité avec les capitalistes avant l’union de tous les ouvriers. Nous aurons gagné du premier coup devant la masse qui, surtout après les brillantes explications d’une justesse supérieure, d’une utilité supérieure (pour le communisme) données par Lloyd George, sera sympathique à l’union de tous les ouvriers contre la coalition de Lloyd George avec les conservateurs. Nous aurons gagné du premier coup, car nous aurons démontré aux masses que les Henderson et les Snowden ont peur de vaincre Lloyd George, de prendre seuls le pouvoir, qu’ils cherchent à s’assurer secrètement l’appui de Lloyd George qui tend ouvertement la main aux conservateurs contre le Labour Party. A noter que chez nous, en Russie, après la révolution du 27 février 1917 (vieux style), la propagande des bolcheviks contre les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (c’est-à-dire les Henderson et les Snowden russes) a dû ses succès justement à une circonstance analogue. Nous disions aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires : Prenez tout le pouvoir sans la bourgeoisie, puisque vous détenez la majorité dans les Soviets (au 1er Congrès des Soviets de Russie, en juin 1917, les bolcheviks n’avaient que 13% des suffrages). Mais les Henderson et les Snowden russes craignaient de prendre le pouvoir sans la bourgeoisie, et quand la bourgeoisie fit traîner les élections à l’Assemblée constituante, parce qu’elle savait fort bien que les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks y auraient la majorité[17] (les uns et les autres formaient un bloc politique très étroit, représentant en fait une seule et même démocratie petite-bourgeoise), les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks ne trouvèrent pas la force de s’opposer énergiquement, à fond, à ces atermoiements.

Le refus des Henderson et des Snowden de faire bloc avec les communistes assurerait du coup le succès de ces derniers: la sympathie des masses et le discrédit des Henderson et des Snowden, et si même cela devait nous coûter quelques sièges au parlement, peu importe. Nous ne présenterions des candidats que dans un nombre infime de circonscriptions, absolument sûres, c’est-à-dire où la présentation de nos candidats ne ferait pas passer un libéral contre un travailliste (membre du Labour Party). Nous ferions notre propagande électorale en diffusant des tracts en faveur du communisme et en invitant, dans toutes les circonscriptions où nous ne présenterions pas de candidats, à voter pour le travailliste contre le bourgeois. Les camarades Sylvia Pankhurst et Gallacher se trompent quand ils voient là une trahison envers le communisme ou une renonciation à la lutte contre les social-traîtres. Au contraire, la cause de la révolution communiste y gagnerait sans nul doute.

Aujourd’hui, les communistes anglais ont très souvent de la peine à approcher la masse, même à se faire écouter. Mais si, me présentant comme communiste, j’invite à voter pour Henderson contre Lloyd George, on m’écoutera sûrement. Et je pourrai expliquer de façon à être compris de tous, non seulement en quoi les Soviets sont préférables au parlement, et la dictature du prolétariat préférable à celle de Churchill (couverte du pavillon de la « démocratie » bourgeoise), mais aussi que mon intention, en faisant voter pour Henderson, est de le soutenir exactement comme la corde soutient le pendu; et que le rapprochement des Henderson vers un gouvernement formé par eux prouvera que j’ai raison, mettra les masses de mon côté, hâtera la mort politique des Henderson et des Snowden, comme ce fut le cas de leurs coreligionnaires en Russie et en Allemagne.

Et si l’on m’objecte: cette tactique est trop « subtile » ou trop compliquée, elle ne sera pas comprise des masses, elle dispersera, elle fragmentera nos forces, elle nous empêchera de les concentrer sur la révolution soviétique, etc., je répondrai à mes contradicteurs « de gauche » : – N’imputez pas aux masses votre propre doctrinarisme ! Il est certain que les masses ne sont pas plus, mais moins cultivées en Russie qu’en Angleterre. Et pourtant elles ont compris les bolcheviks; et le fait qu’à la veille de la révolution soviétique, en septembre 1917, les bolcheviks avaient dressé les listes de leurs candidats au parlement bourgeois (à l’Assemblée constituante), et que le lendemain de la révolution soviétique, en novembre 1917, ils avaient pris part aux élections à cette même Assemblée constituante qu’ils devaient disperser le 5 janvier 1918, – ce fait, loin d’être un empêchement aux bolcheviks, facilita leur action.

Je ne puis m’arrêter ici sur le second point qui divise les communistes anglais : Faut-il ou non adhérer au Labour Party ? Je suis trop peu documenté sur cette question, rendue particulièrement complexe par l’extrême originalité du « Labour Party » britannique, trop différent, par sa structure même, des partis politiques ordinaires du continent. Mais une chose est certaine, c’est que, d’abord, sur cette question comme sur les autres, c’est s’exposer à une erreur fatale que de s’imaginer pouvoir déduire la tactique du prolétariat révolutionnaire des principes dans le genre de celui-ci: « Le Parti communiste doit conserver pure sa doctrine et immaculée son indépendance vis-à-vis du réformisme; sa mission est de marcher en tête, sans s’arrêter et sans dévier de sa route, d’aller tout droit vers la révolution communiste. » En effet, de pareils principes ne font que reprendre l’erreur des communards-blanquistes de France qui « répudiaient » hautement en 1874 tous les compromis et toutes les étapes intermédiaires. En second lieu, il est évident qu’ici comme toujours, la tâche est de savoir appliquer les principes généraux et fondamentaux du communisme aux particularités des rapports entre les classes et les partis, aux particularités du développement objectif vers le communisme, propres à chaque pays et qu’il faut savoir étudier, découvrir, deviner.

Mais ce n’est pas à propos du seul communisme anglais, c’est à l’occasion des conclusions générales concernant le développement du communisme dans tous les pays capitalistes que ces choses doivent être dites. Et c’est le sujet que nous abordons.

10.Quelques conclusions

La révolution bourgeoise de 1905, en Russie, marque un tournant extrêmement original de l’histoire universelle: dans un des pays capitalistes les plus arriérés, le mouvement gréviste avait atteint une ampleur et une puissance sans précédent dans le monde. Pendant le seul mois de janvier 1905, le nombre des grévistes fut dix fois plus élevé que la moyenne annuelle des grévistes durant les dix années précédentes (1895-1904) ; de janvier à octobre 1905, les grèves augmentaient sans cesse et dans de vastes proportions. Sous l’influence d’une série de facteurs historiques très particuliers, la Russie retardataire fut la première à donner au monde non seulement l’exemple d’une progression par bonds, pendant la révolution, de l’activité spontanée des masses opprimées (on avait vu cela dans toutes les grandes révolutions), mais encore l’exemple d’un prolétariat dont le rôle est infiniment supérieur à son importance numérique dans la population; l’exemple de la combinaison de la grève économique et de la grève politique avec transformation de cette dernière en insurrection armée, et enfin, de L’apparition d’une nouvelle forme de lutte massive et d’organisation massive des classes opprimées par le capitalisme: les Soviets.

Les révolutions de février et d’octobre 1917 ont amené les Soviets à un développement complet à l’échelle nationale, et puis à leur triomphe dans la révolution socialiste prolétarienne. Moins de deux ans plus tard apparaissait le caractère international des Soviets; on vit cette forme de lutte et d’organisation s’étendre au mouvement ouvrier universel, et s’affirmer la mission historique des Soviets, fossoyeurs, héritiers, successeurs du parlementarisme bourgeois, de La démocratie bourgeoise en général.

Bien plus. L’histoire du mouvement ouvrier montre aujourd’hui que dans tous les pays, le communisme naissant, grandissant, marchant à la victoire, est appelé à traverser une période de lutte (qui a déjà commencé), d’abord et surtout, contre le « menchevisme » propre (de chaque pays), c’est-à-dire l’opportunisme et le social-chauvinisme; puis, à titre de complément, pour ainsi dire, contre le communisme « de gauche ». La première de ces luttes s’est déroulée dans tous les pays, sans une seule exception, que je sache, sous la forme d’un duel entre la lI° Internationale (aujourd’hui pratiquement tuée) et la III°. L’autre lutte s’observe en Allemagne et en Angleterre, en Italie et en Amérique (où nous voyons une partie au moins des « Ouvriers industriels du monde » et des tendances anarcho-syndicalistes, défendre les erreurs du communisme de gauche, tout en reconnaissant d’une façon à peu près générale, presque sans réserve, le système soviétique); elle s’observe aussi en France (attitude d’une portion des anciens syndicalistes — qui reconnaissent également le système soviétique — envers les partis politiques et le parlementarisme); c’est dire qu’elle s’observe incontestablement à une échelle non seulement internationale, mais même universelle.

Mais, bien que l’école préparatoire qui conduit le mouvement ouvrier à la victoire sur la bourgeoisie soit au fond partout la même, ce développement s’accomplit dans chaque pays à sa manière. Les grands Etats capitalistes avancés parcourent ce chemin beaucoup plus vite que le bolchevisme, auquel l’histoire avait imparti un délai de quinze ans pour se préparer à la victoire en tant que tendance politique organisée. La III° Internationale a déjà remporté, dans le court délai d’une année, une victoire décisive, en battant la II° Internationale jaune, social-chauvine qui, il y a quelques mois encore, était infiniment plus forte que la III° Internationale, semblait solide et puissante, jouissait de l’appui total, direct et indirect, matériel (sinécures ministérielles, passeports, presse) et idéologique de la bourgeoisie mondiale.

L’essentiel aujourd’hui est que les communistes de chaque pays prennent bien conscience, d’une part, des objectifs fondamentaux — objectifs de principe — de la lutte contre l’opportunisme et le doctrinarisme « de gauche », et de l’autre, des particularités concrètes que cette lutte revêt et doit inévitablement revêtir dans chaque pays, conformément aux caractères spécifiques de son économie, de sa politique, de sa culture, de sa composition nationale (Irlande, etc.), de ses colonies, de ses divisions religieuses, etc., etc. On sent partout s’élargir et grandir le mécontentement contre la II° Internationale, tant à cause de son opportunisme que de son inaptitude ou de son incapacité à créer un organisme véritablement centralisé, un véritable centre dirigeant propre à orienter la tactique internationale du prolétariat révolutionnaire dans sa lutte pour la république soviétique universelle. Il faut bien se rendre compte qu’un pareil centre de direction ne peut, en aucun cas, bâtir son activité sur le stéréotypage, le nivellement mécanique, l’identification des règles tactiques de lutte. Aussi longtemps que des distinctions nationales et politiques existent entre les peuples et les pays, —distinctions qui subsisteront longtemps, très longtemps, même après l’établissement de la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale, — l’unité de tactique internationale du mouvement ouvrier communiste de tous les pays veut, non pas l’effacement de toute diversité, non pas la suppression des distinctions nationales (à l’heure actuelle c’est un rêve insensé), mais une application des principes fondamentaux du communisme (pouvoir des Soviets et dictature du prolétariat), qui modifie correctement ces principes dans les questions de détail, les adapte et les ajuste comme il convient aux particularités nationales et politiques. Rechercher, étudier, découvrir, deviner, saisir ce qu’il y a de particulièrement national, de spécifiquement national dans la manière concrète dont chaque pays aborde la solution du problème international, le même pour tous: vaincre l’opportunisme et le dogmatisme de gauche au sein du mouvement ouvrier, renverser la bourgeoisie, instaurer la République des Soviets et la dictature du prolétariat, telle est, au moment historique que nous traversons, la principale tâche assignée à tous les pays avancés (et pas seulement avancés). L’essentiel — pas tout évidemment, tant s’en faut, mais cependant l’essentiel — est déjà fait pour attirer l’avant-garde de la classe ouvrière et la faire passer du côté du pouvoir des Soviets contre le parlementarisme, du côté de la dictature du prolétariat contre la démocratie bourgeoise. Il faut concentrer maintenant toutes les forces, toute l’attention sur l’étape suivante qui semble être, et est réellement, à un certain point de vue, moins fondamentale, mais cependant plus proche de la solution pratique du problème, à savoir: la recherche des formes pour passer à la révolution prolétarienne ou l’aborder.

L’avant-garde prolétarienne est conquise idéologiquement. C’est le principal. Autrement, faire même un premier pas vers la victoire serait impossible. Mais de là à la victoire, il y a encore assez loin. On ne peut vaincre avec l’avant-garde seule. Jeter l’avant-garde seule dans la bataille décisive, tant que la classe tout entière, tant que les grandes masses n’ont pas pris soit une attitude d’appui direct à l’avant-garde, soit tout au moins de neutralité bienveillante, qui les rende complètement incapables de soutenir son adversaire, ce serait une sottise, et même un crime. Or, pour que vraiment la classe tout entière, pour que vraiment les grandes masses de travailleurs et d’opprimés du Capital en arrivent à une telle position, la propagande seule, l’agitation seule ne suffisent pas. Pour cela, il faut que ces masses fassent leur propre expérience politique. Telle est la loi fondamentale de toutes les grandes révolutions, loi confirmée maintenant avec une force et un relief frappants, non seulement par la Russie, mais aussi par l’Allemagne. Ce ne sont pas seulement les masses ignorantes, souvent illettrées, de Russie, ce sont aussi les masses d’Allemagne, hautement cultivées, sans un seul analphabète, qui ont dû éprouver à leurs dépens toute la faiblesse, toute la veulerie, toute l’impuissance, toute la servilité devant la bourgeoisie, toute la lâcheté du gouvernement des paladins de la lI° Internationale, le caractère inévitable de la dictature des ultra-réactionnaires (Kornilov en Russie, Kapp et consorts en Allemagne), seule alternative en face de la dictature du prolétariat, pour se tourner résolument vers le communisme.

L’objectif immédiat de l’avant-garde consciente du mouvement ouvrier international, c’est-à-dire des partis, groupes et tendances communistes, c’est de savoir amener les larges masses (encore somnolentes, apathiques, routinières, inertes, engourdies, dans la plupart des cas) à cette position nouvelle ou plutôt de savoir conduire non seulement son parti, mais aussi les masses en train d’arriver, de passer à cette nouvelle position. Si le premier objectif historique (attirer l’avant-garde consciente du prolétariat aux côtés du pouvoir des Soviets et de la dictature de la classe ouvrière) ne pouvait être atteint sans une victoire complète, idéologique et politique, sur l’opportunisme et le social-chauvinisme, le second objectif qui devient d’actualité et qui consiste à savoir amener les masses à cette position nouvelle, propre à assurer la victoire de l’avant-garde dans la révolution, cet objectif actuel ne peut être atteint sans liquidation du doctrinarisme de gauche, sans réfutation décisive et élimination complète de ses erreurs.

Tant qu’il s’agissait (et dans la mesure où il s’agit encore) de rallier au communisme l’avant-garde du prolétariat, la propagande s’est située au premier plan; même les petits cercles de propagande sont utiles et féconds en dépit des défauts qui leur sont inhérents. Mais quand il s’agit de l’action pratique des masses, de la distribution — s’il m’est permis de m’exprimer ainsi — d’armées fortes de millions d’hommes, de la répartition de toutes les forces de classe d’une société donnée en vue du combat final et décisif, on ne fera rien avec les seules méthodes de propagande, avec la seule répétition des vérités du communisme « pur ». Il ne faut pas compter ici par milliers, comme le fait en somme le propagandiste, membre d’un groupe restreint et qui n’a pas encore dirigé les masses; il faut compter ici par millions et par dizaines de millions. Il ne suffit pas de se demander si l’on a convaincu l’avant-garde de la classe révolutionnaire; il faut encore savoir si les forces historiquement agissantes de toutes les classes, absolument de toutes les classes sans exception, d’une société donnée, sont disposées de façon que la bataille décisive soit parfaitement à point, — de façon :

1 que toutes les forces de classe qui nous sont hostiles soient suffisamment en difficulté, se soient suffisamment entre-déchirées, soient suffisamment affaiblies par une lutte au-dessus de leurs moyens;

2 que tous les éléments intermédiaires, hésitants, chancelants, inconstants — la petite bourgeoisie, la démocratie petite-bourgeoise par opposition à la bourgeoisie — se soient suffisamment démasqués aux yeux du peuple, suffisamment déshonorés par leur faillite pratique; qu’au sein du prolétariat un puissant mouvement d’opinion se fasse jour en faveur de l’action la plus décisive, la plus résolument hardie et révolutionnaire contre la bourgeoisie. C’est alors que la révolution est mûre; c’est alors que, si nous avons bien tenu compte de toutes les conditions indiquées, sommairement esquissées plus haut, et si nous avons bien choisi le moment, notre victoire est assurée.

Les divergences de vues entre les Churchill et les Lloyd George d’une part, — ces types d’hommes politiques existent dans tous les pays, sauf des différences nationales insignifiantes, — et puis entre les Henderson et les Lloyd George d’autre part, sont dérisoires et absolument dénuées d’importance du point de vue du communisme pur, c’est-à-dire abstrait, c’est-à-dire qui n’est pas assez mûr pour une action de masse, politique et pratique. Mais du point de vue de cette action pratique des masses, ces différences sont d’une importance extrême. Pour un communiste qui veut être non seulement un propagandiste conscient, convaincu, théoriquement averti, mais un guide pratique pour les masses dans la révolution, c’est un point capital que de tenir compte de ces différences, de savoir déterminer le moment où seront arrivés à pleine maturité les conflits inévitables entre ces « amis », conflits qui affaiblissent et débilitent tous ces « amis » pris ensemble. Le plus strict dévouement aux idées du communisme doit s’allier à l’art de consentir tous les indispensables compromis pratiques, louvoiements, zigzags, manœuvres de conciliation et de retraite, etc., afin de hâter l’avènement et puis l’usure du pouvoir politique des Henderson (héros de la lie Internationale, pour ne pas désigner nommément ces représentants de la démocratie petite-bourgeoise qui se disent socialistes); afin de hâter pratiquement leur inévitable faillite, qui éclairera les masses justement dans l’esprit qui est le nôtre, justement dans le sens du communisme; afin de hâter les inévitables frictions, querelles, conflits, le complet divorce entre les Henderson, les Lloyd George, les Churchill (entre mencheviks et socialistes-révolutionnaires, cadets et monarchistes; entre les Scheidemann, la bourgeoisie et les affidés de Kapp, etc.); et afin de choisir de façon judicieuse le moment où la dislocation sera la plus grande entre tous ces « soutiens de la sacro-sainte propriété privée », pour les battre tous par une attaque décisive du prolétariat et conquérir le pouvoir politique.

L’histoire en général, et plus particulièrement l’histoire des révolutions, est toujours plus riche de contenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante, « plus ingénieuse » que ne le pensent les meilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées. Et cela se conçoit, puisque les meilleures avant-gardes expriment la conscience, la volonté, la passion, l’imagination de dizaines de mille hommes, tandis que la révolution est, — en des moments d’exaltation et de tension particulières de toutes les facultés humaines, — l’œuvre de la conscience, de la volonté, de la passion, de l’imagination de dizaines de millions d’hommes aiguillonnés par la plus âpre lutte des classes. De là deux conclusions pratiques d’une grande importance: la première, c’est que la classe révolutionnaire, pour remplir sa tâche, doit savoir prendre possession de toutes les formes et de tous les côtés, sans la moindre exception, de l’activité sociale (quitte à compléter, après la conquête du pouvoir politique et parfois au prix d’un grand risque et d’un danger énorme, ce qu’elle n’aura pas terminé avant cette conquête); la seconde, c’est que la classe révolutionnaire doit se tenir prête à remplacer vite et brusquement une forme par une autre.

On conviendra qu’elle serait déraisonnable ou même criminelle, la conduite d’une armée qui n’apprendrait pas à manier toutes les armes, tous les moyens et procédés de lutte dont dispose ou dont peut disposer l’ennemi. Or cette vérité s’applique mieux encore à la politique qu’à l’art militaire. On peut moins encore prévoir en politique quel moyen de lutte se révélera, dans telles ou telles situations futures, praticable ou avantageux pour nous. Ne pas savoir user de tous les moyens de lutte, c’est risquer une grande défaite, —parfois même décisive, — pour peu que des changements indépendants de notre volonté, survenus dans la situation des autres classes, mettent à l’ordre du jour une forme d’action où nous serions particulièrement faibles. Si nous savons user de tous les moyens de lutte, nous triomphons à coup sûr, puisque nous traduisons les intérêts de la classe réellement avancée, réellement révolutionnaire, même si les circonstances ne nous permettent pas de faire usage de l’arme la plus dangereuse pour l’ennemi, de celle qui porte le plus vite des coups mortels. Les révolutionnaires sans expérience pensent souvent que les moyens de lutte légaux sont entachés d’opportunisme, car c’est sur ce terrain que la bourgeoisie a le plus souvent (surtout en des temps « pacifiques », non révolutionnaires) trompé et mystifié les ouvriers; et que les moyens de lutte illégaux sont révolutionnaires. Mais c’est faux. Ce qui est vrai, c’est que sont opportunistes et traîtres à la classe ouvrière les partis et les chefs qui ne savent pas ou ne veulent pas (ne dis pas: je ne peux pas, dis: je ne veux pas) user des moyens de lutte illégaux dans une situation comme, par exemple, celle de la guerre impérialiste de 1914-1918, où la bourgeoisie des pays démocratiques les plus libres trompait les ouvriers avec un cynisme et une frénésie sans nom, en interdisant de dire la vérité sur le caractère spoliateur de la guerre. Mais les révolutionnaires qui ne savent pas allier aux formes illégales de lutte toutes les formes légales sont de bien mauvais révolutionnaires. Il n’est pas difficile d’être un révolutionnaire quand la révolution a éclaté déjà et bat son plein; quand tout un chacun s’y rallie par simple engouement, pour suivre la mode, parfois même pour faire carrière. Sa « libération » de ces piètres révolutionnaires, le prolétariat doit la payer plus tard, après sa victoire, par des efforts inouïs, par un martyre douloureux, pourrait-on dire. Il est beaucoup plus difficile — et beaucoup plus précieux — de se montrer révolutionnaire quand la situation ne permet pas encore la lutte directe, déclarée, véritablement massive, véritablement révolutionnaire, de savoir défendre les intérêts de la révolution (par la propagande, par l’agitation, par l’organisation) dans des institutions non révolutionnaires, voire nettement réactionnaires, dans une ambiance non révolutionnaire, parmi des masses incapables de comprendre tout de suite la nécessité d’une méthode d’action révolutionnaire. Savoir trouver, pressentir, déterminer exactement la voie concrète ou le tour spécial des événements, qui conduira les masses vers la grande lutte révolutionnaire véritable, décisive et finale: tel est le principal objet du communisme actuel en Europe occidentale et en Amérique.

Exemple: l’Angleterre. Nous ne pouvons pas savoir, —et personne ne peut déterminer par avance, — quand éclatera là-bas la vraie révolution prolétarienne et quel motif contribuera le plus à éveiller, à enflammer, à pousser à la lutte les .masses les plus grandes, aujourd’hui encore assoupies. Nous sommes donc obligés de conduire tout notre travail préparatoire de façon à être ferrés des quatre pieds, selon le mot de feu Plekhanov à l’époque où il était marxiste et révolutionnaire. Il se peut qu’une crise parlementaire « fasse la trouée », « rompe la glace »; il se peut qu’une crise naisse de la confusion inextricable, de l’aggravation et de l’exaspération chaque jour croissantes des antagonismes coloniaux et impérialistes; peut-être autre chose encore, etc. Nous ne parlons pas du genre de lutte qui décidera du sort de la révolution prolétarienne en Angleterre (cette question ne suscite de doute dans l’esprit d’aucun communiste; elle est résolue pour nous tous, et résolue une fois pour toutes). Nous parlons du motif qui incitera les masses prolétariennes, aujourd’hui encore assoupies, à se mettre en mouvement et les amènera au seuil de la révolution. N’oublions pas qu’il a suffi dans la république française bourgeoise, par exemple, en face d’une situation qui, tant au point de vue international qu’au point de vue intérieur, était cent fois moins révolutionnaire qu’aujourd’hui, d’une circonstance aussi « imprévue » et aussi « insignifiante » qu’une de ces mille et mille fourberies malhonnêtes du militarisme réactionnaire (l’affaire Dreyfus), pour mettre le peuple à deux doigts de la guerre civile!

En Angleterre, les communistes doivent sans cesse, sans relâche, sans défaillance tirer parti à la fois des élections parlementaires et de toutes les péripéties de la politique irlandaise, coloniale, impérialiste du gouvernement britannique dans le monde entier, ainsi que de tous les autres domaines, sphères et aspects de la vie sociale; ils doivent travailler partout dans un esprit nouveau, dans l’esprit du communisme, de la III° Internationale, et non de la II°. Ce n’est ici ni le temps ni le lieu de décrire les modalités de la participation « russe », « bolchevique », aux élections et à la lutte parlementaires; je tiens cependant à assurer les communistes de l’étranger qu’elles ne ressemblaient en rien aux habituelles campagnes parlementaires de l’Europe occidentale. On en conclut souvent: « Il en va ainsi chez vous, en Russie, mais notre parlementarisme est différent. » Conclusion fausse. Les communistes, les partisans de la III° Internationale dans tous les pays sont précisément là pour changer sur toute la ligne, dans tous les domaines de la vie, le vieux travail socialiste, trade-unioniste, syndicaliste et parlementaire, en un travail nouveau, communiste. Des traits opportunistes et purement bourgeois, des traits d’affairisme et de fourberie capitaliste se sont aussi manifestés surabondamment dans nos élections. Les communistes d’Europe occidentale et d’Amérique doivent apprendre à créer un parlementarisme nouveau, inaccoutumé, non opportuniste, non arriviste: il faut que le Parti communiste formule ses mots d’ordre; que les vrais prolétaires, aidés des éléments pauvres, inorganisés et entièrement écrasés, répandent et distribuent des tracts, visitent le domicile des ouvriers, les chaumières des prolétaires ruraux et des paysans des hameaux perdus (heureusement que dans le reste de l’Europe il y a beaucoup moins de hameaux perdus qu’en Russie; en Angleterre ils sont très peu nombreux); qu’ils pénètrent dans les cabarets tout ce qu’il y a de plus peuple, s’insinuent dans les associations, sociétés, rassemblements fortuits les plus populaires; qu’ils parlent au peuple, mais pas un langage d’érudit (et pas trop parlementaire); qu’ils ne courent pas le moins du monde après un « siège » au parlement, mais éveillent partout la pensée, entraînent la masse, prennent au mot la bourgeoisie, utilisent l’appareil qu’elle a créé, les élections qu’elle a fixées, les appels qu’elle adresse au peuple entier; qu’ils fassent connaître le bolchevisme au peuple comme jamais (en régime bourgeois) on n’a pu le faire en dehors des périodes électorales (exception faite bien entendu pour les grandes grèves où le même appareil de propagande populaire fonctionnait chez nous avec plus d’intensité encore). Chose difficile, extrêmement difficile à réaliser en Europe occidentale et en Amérique; mais on peut et l’on doit s’acquitter de cette tâche; car, d’une façon générale, on ne saurait, sans fournir un effort, atteindre les objectifs du communisme. Et il s’agit de travailler à l’accomplissement de tâches pratiques de plus en plus variées, de plus en plus liées à toutes les branches de la vie sociale et permettant de conquérir une branche, un domaine après l’autre, sur la bourgeoisie.

Il faut aussi, dans cette même Angleterre, procéder d’une façon nouvelle (pas en socialistes, mais en communistes, pas en réformistes, mais en révolutionnaires) au travail de propagande, d’agitation et d’organisation dans l’armée et parmi les nationalités opprimées ou ne jouissant pas de la plénitude des droits dans « leur » Etat (Irlande, colonies). Car dans tous ces domaines de la vie sociale; à l’époque de l’impérialisme en général et maintenant surtout, après une guerre qui, ayant épuisé les peuples, leur ouvre rapidement les yeux sur la vérité (à savoir que des dizaines de millions d’hommes ont été tués et mutilés uniquement pour décider lequel des deux rapaces, anglais ou allemand, pillerait le plus de pays), dans tous ces domaines de la vie sociale, on voit s’accumuler des matières inflammables et se créer de nombreuses causes de conflits, de crises et d’aggravation de la lutte de classe. Nous ne savons pas, nous ne pouvons savoir quelle étincelle — dans cette masse d’étincelles qui jaillissent maintenant de partout, dans tous les pays, sous l’influence de la crise économique et politique mondiale, — pourra allumer l’incendie, dans le sens d’un éveil particulier des masses. Aussi devons-nous mettre en action nos nouveaux principes, les principes communistes, pour « préparer » tous les terrains, même les plus anciens, les plus amorphes et les plus stériles en apparence, sinon nous ne serons pas à la hauteur de notre tâche, nous serons exclusifs, nous ne prendrons pas possession de toutes les armes, nous ne nous préparerons ni à la victoire sur la bourgeoisie (qui a organisé — et maintenant désorganisé — tous les aspects de la vie sociale sur le mode bourgeois), ni à la future réorganisation communiste de toute la vie, après cette victoire.

Depuis la révolution prolétarienne de Russie et les victoires inattendues — pour la bourgeoisie et les philistins, —remportées par cette révolution à l’échelle internationale, l’univers entier est devenu tout autre, la bourgeoisie de même a changé partout. Elle redoute le « bolchevisme », elle est exaspérée contre lui jusqu’à en perdre la raison. Et c’est précisément pourquoi, d’une part, elle précipite le cours des événements; de l’autre, attentive à réprimer violemment le bolchevisme, elle affaiblit par là ses propres positions sur toute une série d’autres terrains. Ces deux circonstances, les communistes de tous les pays avancés doivent en tenir compte dans leur tactique.

Lorsque les cadets russes et Kérensky déclenchèrent une campagne forcenée contre les bolcheviks — surtout, depuis avril 1917 et plus encore en juin et juillet, — ils « forcèrent la note ». Les millions d’exemplaires de journaux bourgeois, qui clamaient sur tous les modes contre les bolcheviks, permirent aux masses de juger le bolchevisme; et puis, en dehors de la presse, toute la vie sociale, précisément grâce au « zèle » de la bourgeoisie, s’emplissait de discussions sur le bolchevisme. Maintenant, à l’échelle internationale, les millionnaires de tous les pays se comportent de telle façon que nous devons leur être profondément reconnaissants. Ils persécutent le bolchevisme avec autant de zèle que le firent Kérensky et Cie; ils « forcent la note », et ils nous aident tout comme Kérensky. Quand la bourgeoisie française fait du bolchevisme le centre de l’agitation électorale, taxant de bolchevisme des socialistes relativement modérés ou hésitants; quand la bourgeoisie américaine, perdant complètement la tête, appréhende des milliers et des milliers d’hommes soupçonnés de bolchevisme et crée une atmosphère de panique en répandant partout des nouvelles sur les complots bolcheviks; quand la bourgeoisie anglaise, la « plus sérieuse » de toutes dans le monde, commet, malgré toute son intelligence et toute son expérience, d’invraisemblables sottises, fonde d’opulentes « sociétés de lutte contre le bolchevisme », crée une littérature spéciale sur le bolchevisme, recrute pour faire la guerre au bolchevisme un personnel supplémentaire de savants, d’agitateurs, de prêtres, — nous devons saluer et remercier messieurs les capitalistes. Ils travaillent pour nous. Ils nous aident à intéresser les masses à la substance même et au rôle du bolchevisme. Ils ne peuvent pas agir autrement, puisque leurs efforts pour « taire », pour étouffer le bolchevisme ont déjà avorté.

Cependant la bourgeoisie ne voit à peu près qu’un seul aspect du bolchevisme: l’insurrection, la violence, la terreur; aussi bien, elle s’efforce de se préparer à la résistance et à la riposte de ce côté-là surtout. Il se peut qu’elle réussisse dans certains cas, dans certains pays, pour des intervalles de temps plus ou moins courts: cette éventualité doit être envisagée, et nous n’avons absolument rien à redouter de cette réussite. Le communisme « surgit » littéralement de tous les points de la vie sociale; il éclôt décidément partout; la « contagion » (pour nous servir d’un terme de comparaison affectionné de la bourgeoisie et de la police bourgeoise, et qui leur est le plus « agréable ») a pénétré à fond l’organisme et l’a imprégné tout entier. Que l’on « bouche » avec un soin particulier une des issues, la « contagion » en trouvera une autre, parfois la plus imprévisible. La vie l’emportera. La bourgeoisie peut bien se démener, s’irriter jusqu’à en perdre la raison, forcer la note, commettre des sottises, se venger par avance des bolcheviks et tâcher de massacrer (dans les Indes, en Hongrie, en Allemagne, etc.) de nouvelles centaines, des milliers, des centaines de milliers de bolcheviks de demain ou d’hier: en agissant de la sorte, la bourgeoisie agit comme l’ont fait toutes les classes condamnées par l’histoire. Les communistes doivent savoir que l’avenir leur appartient en tout état de cause. Et c’est pourquoi nous pouvons (et devons) unir, dans la grande lutte révolutionnaire, l’ardeur la plus passionnée au plus grand sang-froid et à l’estimation la plus réfléchie des convulsions forcenées de la bourgeoisie. La révolution russe a été cruellement battue en 1905; les bolcheviks russes furent battus en juillet 1917; plus de 15000 communistes allemands furent massacrés à la suite des savantes provocations et adroites manœuvres de Scheidemann et Noske alliés à la bourgeoisie et aux généraux monarchistes; la terreur blanche est déchaînée en Finlande et en Hongrie. Mais dans tous les pays et dans toutes les circonstances, le communisme s’aguerrit et grandit. Il jette de si profondes racines que les persécutions, loin de l’affaiblir et de le débiliter, le rendent plus fort. Il ne nous manque qu’une chose pour marcher à la victoire avec plus d’assurance et de fermeté, à savoir: le sentiment net et profond, chez les communistes de tous les pays, de la nécessité d’avoir le maximum de souplesse dans leur tactique. Ce qui aujourd’hui manque au communisme, d’une si belle venue, dans les pays avancés surtout, c est cette conscience et l’art de s’en inspirer dans la pratique.

Ce qui est advenu à des marxistes d’une aussi haute érudition, à des chefs de la II° Internationale aussi dévoués au socialisme que Kautsky, Otto Bauer et autres, pourrait (et devrait) être une utile leçon. Ils comprenaient parfaitement la nécessité d’une tactique souple; ils avaient appris eux-mêmes et ils enseignaient aux autres la dialectique marxiste (et beaucoup de ce qui a été fait par eux dans ce domaine restera à jamais parmi les acquisitions précieuses de la littérature socialiste); mais au moment d’appliquer cette dialectique, ils commirent une erreur si grande, ou se révélèrent pratiquement de tels non-dialecticiens, des hommes tellement incapable d’escompter les prompts changements de forme et la rapide entrée d’un contenu nouveau dans les formes anciennes, que leur sort n’est guère plus enviable que celui de Hyndman, de Guesde et de Plékhanov. La cause essentielle de leur faillite, c’est qu’ils se sont laissé « hypnotiser » par une seule des formes de croissance du mouvement ouvrier et du socialisme, forme dont ils ont oublié le caractère limité; ils ont eu peur de voir le bouleversement rendu inévitable par les conditions objectives, et ils ont continué à répéter des vérités élémentaires, apprises par cœur, aussi indiscutables à première vue que: trois c’est plus que deux. Or, la politique ressemble plus à l’algèbre qu’à l’arithmétique, et encore plus aux mathématiques supérieures qu’aux mathématiques élémentaires. En réalité, toutes les formes anciennes du mouvement socialiste se sont remplies d’une substance nouvelle; de ce fait un nouveau signe, le signe « moins », est apparu devant les chiffres, tandis que nos sages ont continué opiniâtrement (et continuent encore) à se persuader et à persuader les autres que « moins trois », c’est plus que « moins deux ».

Tâchons que les communistes ne commettent pas la même erreur dans un autre sens, ou plutôt que cette même erreur, commise dans un autre sens par les communistes « de gauche », soit corrigée le plus vite et avec le moins de suites possibles pour l’organisme. Le doctrinarisme de gauche est aussi une erreur, pas seulement le doctrinarisme de droite. Evidemment, l’erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement communiste est, à l’heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l’erreur représentée par le doctrinarisme de droite (c’est-à-dire le social-chauvinisme et le kautskisme); mais cela vient uniquement de ce que le communisme de gauche est une tendance de formation récente, qui ne fait que de naître. C’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle la maladie peut être, dans certaines conditions, facilement guérie, et il faut en entreprendre la guérison avec le maximum d’énergie.

Les formes anciennes ont éclaté, leur nouveau contenu — contenu antiprolétarien, réactionnaire — ayant atteint un développement démesuré. Notre activité (pour le pouvoir des Soviets, pour la dictature du prolétariat) a maintenant, au point de vue du développement du communisme international, un contenu si solide, si vigoureux, si puissant qu’il peut et doit se manifester sous n’importe quelle forme, nouvelle ou ancienne; il peut et doit changer, vaincre, se soumettre toutes les formes, anciennes aussi bien que nouvelles, — non point pour s’accommoder des formes anciennes, mais pour savoir faire de toutes les formes, qu’elles soient anciennes ou nouvelles, un instrument de la victoire du communisme, victoire définitive et totale, décisive et sans retour.

Les communistes doivent appliquer tous leurs efforts pour orienter le mouvement ouvrier, et en général l’évolution sociale, par la voie la plus directe et la plus rapide, vers le triomphe universel du pouvoir des Soviets et vers la dictature du prolétariat. C’est là une vérité indiscutable. Mais il suffit de faire le moindre pas au-delà, — un pas accompli, semble-t-il, dans la même direction, — pour que cette vérité se change en erreur. Il n’est que de dire, comme les communistes de gauche d’Allemagne et d’Angleterre, que nous ne reconnaissons qu’une seule voie, la voie directe; que nous n’admettons ni louvoiements, ni accords, ni compromis, et ce sera tomber dans une erreur qui peut porter, qui partiellement a déjà porté et porte les plus graves préjudices au communisme. Le doctrinarisme de droite s’entête à n’admettre que les formes anciennes, il a fait complètement faillite, n’ayant pas remarqué le nouveau contenu. Le doctrinarisme de gauche s’obstine dans la négation absolue d’anciennes formes déterminées, sans voir que le nouveau contenu s’ouvre un chemin à travers toutes les formes possibles et imaginables; que notre devoir de communistes est de prendre possession de toutes ces formes, d’apprendre à les compléter aussi rapidement que possible l’une par l’autre, à les remplacer l’une par l’autre, à adapter notre tactique à tout changement qui n’aura pas été suscité par notre classe ou par nos efforts.

La révolution universelle est si puissamment stimulée et accélérée par les horreurs, les abominations, les turpitudes de la guerre impérialiste mondiale, par la situation sans issue qui en résulte; cette révolution se développe en étendue et en profondeur avec une si surprenante rapidité, avec une si riche diversité de formes qui se succèdent, avec une réfutation pratique si édifiante de tout ce qui est doctrinaire, qu’il y a toutes les raisons d’espérer la guérison prompte et définitive du mouvement communiste international atteint de cette maladie infantile qu’est le communisme « de gauche ».

 

27 avril 1920.


ANNEXE

Pendant le temps qu’il a fallu aux Editions de notre pays – que les impérialistes du monde entier, pour se ven­ger de la révolution prolétarienne, ont mis à sac et con­tinuent de saccager et de bloquer en dépit de toutes les promesses faites à leurs ouvriers, – pendant le temps qu’il a fallu à nos Editions pour faire sortir ma brochure, j’ai reçu de l’étranger un supplément d’information. Sans pré­tendre donner ici plus que les remarques rapides d’un pu­bliciste, je m’arrêterai brièvement sur quelques points.

1.    La scission des communistes allemands

La scission des communistes d’Allemagne est un fait ac­quis. Les « gauches » ou « opposition de principe » ont consti­tué un parti distinct qui, à la différence du « Parti commu­niste », s’appelle « Parti ouvrier communiste ». En Italie les choses vont aussi, semble-t-il, vers une scission. Je dis: sem­ble-t-il, parce que je n’ai que deux nouveaux numéros (n° 7 et 8) du journal de gauche il Soviet, où la possibilité et la nécessité de cette scission sont ouvertement envisagées, et où il est également parlé d’un congrès de la fraction des « abstentionnistes » (ou boycottistes, c’est-à-dire des adversai­res de la participation au parlement), fraction qui appartient jusqu’à ce jour au Parti socialiste italien.

Il est à craindre que la scission avec les « gauches », les antiparlementaires (et partiellement aussi antipolitiques, ad­versaires de tout parti politique et de l’action dans les syn­dicats) ne devienne un phénomène international, comme la scission avec les « centristes » (ou les kautskistes, les longuet­tistes, les « indépendants », etc.). Soit! La scission vaut tout de même mieux que la confusion qui entrave la croissance et la maturation idéologique, théorique et révolutionnaire du parti et son travail pratique, unanime, véritablement organisé et visant véritablement à préparer la dictature du prolétariat.

Que les « gauches » se mettent eux-mêmes pratiquement à l’épreuve sur le plan national et international; qu’ils es­sayent de préparer (et puis de réaliser) la dictature du pro­létariat sans un parti rigoureusement centralisé et possédant une discipline de fer, sans se rendre maîtres de tous les do­maines, branches et variétés du travail politique et culturel. L’expérience pratique aura tôt fait de les instruire.

Il faut seulement appliquer tous nos efforts pour que la scission avec les « gauches » n’entrave pas, ou entrave le moins possible, la fusion en un seul parti, fusion nécessaire et iné­vitable dans un avenir prochain, de tous les participants au mouvement ouvrier, partisans sincères et loyaux du pouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat. Le grand bonheur des bolcheviks de Russie, c’est qu’ils ont eu quinze années pour mener à bonne fin, de façon systématique, la lut­te contre les mencheviks (c’est-à-dire contre les opportunistes et les « centristes ») et contre les « gauches », longtemps avant l’action directe des masses pour la dictature du prolétariat. En Europe et en Amérique, on est aujourd’hui obligé de faire le même travail « à marches forcées ». Certains personnages, surtout d’entre les prétendants malheureux au rôle de chefs, pourront (si l’esprit de discipline prolétarien et la « loyauté envers eux-mêmes » leur font défaut) persister longtemps dans leurs erreurs; quant aux masses ouvrières, elles réaliseront facilement et vite, le moment venu, leur propre union et celle de tous les communistes sincères dans un parti unique, capable d’instituer le régime soviétique et la dictature du prolétariat[18].

2.    Communistes et indépendants en Allemagne

J’ai exprimé dans ma brochure cette opinion qu’un com­promis entre les communistes et l’aile gauche des indépen­dants était nécessaire et utile au communisme, mais qu’il ne serait pas facile de le réaliser. Les journaux que j’ai reçus depuis ont confirmé l’un et l’autre. Le n°32du Drapeau rouge, organe du Comité central du Parti communiste d’Allemagne (Die Rote Fahne, Zentralorgan der Kommun. Partei Deutschiands, Spartacusbund, du 26 mars 1920), con­tient une « déclaration » de ce Comité central sur le « putsch » militaire (complot, aventure) de Kapp-Lüttwitz et sur le « gouvernement socialiste ». Cette déclaration est parfaite­ment juste dans ses prémisses fondamentales et dans sa con­clusion pratique. Les prémisses fondamentales se ramènent à ceci qu’actuellement la « base objective » de la dictature du prolétariat fait défaut, puisque la « majorité des ouvriers des villes » est avec les indépendants. Conclusion: promesse d’une « opposition loyale » (c’est-à-dire renonciation à prépa­rer le « renversement par la violence ») au gouvernement « so­cialiste d’où seraient exclus les partis capitalistes, bourgeois ».

Cette tactique est, sans nul doute, juste quant au fond. Mais si l’on ne doit pas s’arrêter aux inexactitudes de détail dans l’exposé, il est cependant impossible de passer sous si­lence le fait qu’on ne saurait appeler « socialiste » (dans une déclaration officielle du Parti communiste) un gouvernement de social-traîtres; qu’on ne saurait parler de l’exclusion des « partis capitalistes, bourgeois », puisque les partis des Schei­demann et de MM. Kautsky-Crispien sont des partis démo­crates petits-bourgeois; qu’on ne saurait enfin écrire des cho­ses telles que le paragraphe 4 de la Déclaration, où il est dit:

« … Un état de choses où la liberté politique puisse être utilisée sans limites et où la démocratie bourgeoise ne puisse pas agir en qualité de dictature du capital aurait, du point de vue du développement de la dictature du prolétariat… une importance considérable pour la conquête ultérieure des masses prolétariennes au communisme… »

Un tel état de choses est impossible. Les chefs petits­-bourgeois, les Henderson allemands (les Scheidemann) et les Snowden allemands (les Crispien), ne sortent pas et ne peuvent sortir du cadre de la démocratie bourgeoise, laquelle à son tour ne peut être qu’une dictature du capital. Du point de vue des résultats pratiques poursuivis à juste titre par le Comité Central du Parti communiste, il ne fallait pas du tout écrire ces assertions fausses en leur principe et politi­quement nuisibles. Il suffisait de dire (pour être poli à la façon parlementaire): tant que la majorité des ouvriers des villes suit les indépendants, nous, communistes, ne pouvons pas empêcher ces ouvriers de se débarrasser de leurs derniè­res illusions démocratiques petites-bourgeoises (c’est-à-dire « capitalistes, bourgeoises ») en faisant l’expérience de « leur » gouvernement. Il n’en faut pas plus pour justifier un compromis, réellement indispensable, et qui consiste à renoncer pour un temps aux tentatives de renverser par la force un gouvernement auquel la majorité des ouvriers des villes fait confiance. Mais dans la propagande quotidienne au sein des masses, on n’est pas tenu de se renfermer dans la politesse parlementaire officielle, et l’on pourrait naturellement ajouter: laissons ces gredins de Scheidemann et ces philistins de Kautsky-Crispien révéler dans leurs actes à quel point ils se sont laissés mystifier eux-mêmes et mystifient les ouvriers; leur gouvernement « pur » nettoiera mieux que quiconque les écuries d’Augias du socialisme, du social-démo­Icratisme et autres formes de social-trahison.

La vraie nature des chefs actuels du « Parti social-dé­mocrate indépendant d’Allemagne » (de ces chefs dont on a dit à tort qu’ils avaient déjà perdu toute influence, et qui sont en réalité encore plus dangereux pour le prolétariat que les social-démocrates hongrois qui s’étaient donné le nom de communistes et avaient promis de « soutenir » la dictature du prolétariat) s’est manifestée une fois de plus pendant le coup de force Kornilov d’Allemagne, c’est-à-dire pendant le coup d’Etat de MM. Kapp et Lüttwitz[19]. Nous en trouvons une image réduite, mais saisissante, dans les petits articles de Karl Kautsky: « Heures décisives » (Entscbei­dende Stunden) dans Freiheit (Liberté, organe des indé­pendants) du 30mars 1920et d’Arthur Crispien: « De la si­tuation politique » (ibid., 14 avril 1920).Ces messieurs ne savent pas du tout penser ni raisonner en révolutionnaires. Ce sont des démocrates petits-bourgeois pleurards, mille fois plus dangereux pour le prolétariat s’ils se déclarent partisans du pouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat, car, dans la pratique, ils ne manqueront pas de commettre, à cha­que instant difficile et dangereux, une trahison tout en demeurant « très sincèrement » convaincus qu’ils aident le pro­létariat. Les social-démocrates de Hongrie, qui s’étaient bap­tisés communistes, entendaient eux aussi « aider » le proléta­riat, quand, par lâcheté et veulerie, ils jugèrent désespérée la situation du pouvoir des Soviets en Hongrie, et se mirent à pleurnicher devant les agents des capitalistes et des bour­reaux de l’Entente.

3.    Turati et Cie en Italie

Les numéros indiqués plus haut du journal italien il So­viet confirment entièrement ce que j’ai dit dans ma brochureà propos de la faute que commet le Parti socialiste italien en tolérant dans ses rangs de pareils membres, et même un pa­reil groupe de parlementaires. J’en trouve encore davantage la confirmation chez un témoin indifférent, le correspondant à Rome du Manchester Guardian, organe de la bourgeoisie libérale anglaise. Ce journal a publié dans son numéro du 12mars 1920une interview de Turati.

« ….M. Turati, écrit le correspondant, estime que le péril révolutionnaire n’est pas de nature à susciter des craintes en Italie. Elles seraient sans fondement. Les maximalistes jouent avec le feu des théories soviétiques simplement pour maintenir les masses éveillées, excitées. Ces théories ne sont en réalité que de purs concepts légendaires, des programmes sans ma­turité, pratiquement inutilisables. Elles ne sont bonnes qu’à maintenir les classes laborieuses dans l’attente. Ceux-là mêmes qui s’en servent comme d’un appât pour éblouir le prolétariat, se voient contraints de soutenir une lutte de tous les jours pour conquérir des améliorations économiques souvent insignifiantes, afin de retarder le moment où les classes ouvrières perdront leurs illusions et la foi en leurs mythes favoris. De là, une longue période de grèves de toutes proportions et surgissant à tout propos, jusqu’aux dernières grèves des postes et des che­mins de fer, mouvements qui aggravent encore la situation déjà difficile du pays. Le pays est irrité par les difficultés du problème de l’Adriatique, accablé par sa dette extérieure et par l’inflation effrénée; et, néanmoins, il est encore loin de comprendre la nécessité de s’assimiler la discipline du travail, qui seule peut ramener l’ordre et la prospérité… »

C’est clair comme le jour: le correspondant anglais a éventé la vérité que vraisemblablement Turati lui-même, ainsi que ses défenseurs, complices et inspirateurs bourgeois en Italie, cachent et maquillent. Cette vérité, c’est que les idées et l’action politique de MM. Turati, Trêves, Modi­gliani, Dugoni et Cie sont bien telles que les dépeint le correspondant anglais. C’est un tissu de social-trahisons. N’est-elle pas admirable, cette défense de l’ordre et de la discipline pour des ouvriers réduits à l’esclavage salarié et travaillant pour engraisser les capitalistes ? Et comme nous les connaissons bien, nous russes, tous ces discours menche­viks ! Quel aveu précieux que les masses sont pour le pou­voir des Soviets ! Quelle incompréhension obtuse et platement bourgeoise du rôle révolutionnaire de ces grèves qui se développent spontanément ! Oui, en vérité, le correspondant anglais du journal libéral bourgeois a envoyé à MM. Turati et Cie le pavé de l’ours et confirmé supérieurement la jus­tesse de ce qu’exigent le camarade Bordiga et ses amis du journal il Soviet, à savoir que le Parti socialiste italien, s’il veut être effectivement pour la III° Internationale, stigmatise et chasse de ses rangs MM. Turati et Cie, et devienne un parti communiste aussi bien par son nom que par son œuvre.

4.Conclusions fausses et prémisses justes

Mais le camarade Bordiga et ses amis « gauches » tirent de leur juste critique de MM. Turati et Ciecette conclusion fausse qu’en principe toute participation au parlement est nuisible. Les « gauches » italiens ne peuvent apporter l’om­bre d’un argument sérieux en faveur de cette thèse. Ils igno­rent simplement (ou s’efforcent d’oublier) les exemples in­ternationaux d’utilisation réellement révolutionnaire et com­muniste des parlements bourgeois, utilisation incontestable­ment utile à la préparation de la révolution prolétarienne. Simplement incapables de se représenter cette utilisation « nouvelle », ils clament en se répétant sans fin, contre l’utilisation « ancienne », non bolchevique, du parlementarisme.

Là est justement leur erreur foncière. Ce n’est pas seu­lement dans le domaine parlementaire, c’est dans tous les domaines d’activité que le communisme doit apporter (etil en sera incapable sans un travail long, persévérant, opiniâtre) un principe nouveau, qui romprait à fond avec les traditions de la II° Internationale (tout en conservant et développant ce que cette dernière a donné de bon).

Considérons par exemple le journalisme. Les journaux, les brochures, les tracts remplissent une fonction indispen­sable de propagande, d’agitation et d’organisation. Dans un pays tant soit peu civilisé, aucun mouvement de masse ne saurait se passer d’un appareil journalistique. Et toutes les clameurs soulevées contre les « chefs », toutes les promes­ses solennelles de préserver la pureté des masses de l’in­fluence des chefs, ne nous dispenseront pas d’employer pour ce travail des hommes issus des milieux intellectuels bour­geois, ne nous dispenseront pas de l’atmosphère, de l’am­biance « propriétaire », démocratique bourgeoise, où ce travail s’accomplit en régime capitaliste. Même deux années et demie après le renversement de la bourgeoisie, après la con­quête du pouvoir politique par le prolétariat, nous voyons autour de nous cette atmosphère, cette ambiance des rapports propriétaires, démocratiques bourgeois des masses (paysans, artisans).

Le parlementarisme est une forme d’action, le journalisme en est une autre. Le contenu dans les deux cas peut être communiste et doit l’être si, dans l’un comme dans l’autre domaine, les militants sont réellement communistes, réelle­ment membres du parti prolétarien de masse. Mais dans l’une et dans l’autre sphère – et dans n’importe quelle sphère d’action, en régime capitaliste et en période de transition du capitalisme au socialisme – il est impossible d’éluder les diffi­cultés, les tâches particulières que le prolétariat doit surmon­ter et réaliser pour utiliser à ses fins les hommes issus d’un milieu bourgeois, pour triompher des préjugés et des influen­ces des intellectuels bourgeois, pour affaiblir la résistance du milieu petit-bourgeois (et puis ensuite le transformer com­plètement).

N’avons-nous pas vu dans tous les pays, avant la guerre de 1914-1918,d’innombrables exemples d’anarchistes, de syndicalistes et d’autres hommes d’extrême « gauche », qui foudroyaient le parlementarisme, tournaient en dérision les socialistes parlementaires platement embourgeoisés, flétris­saient leur arrivisme, etc., etc., – et qui eux-mêmes, par le journalisme, par l’action menée dans les syndicats, fournis­saient une carrière bourgeoise parfaitement identique? Les exemples des sieurs Jouhaux et Merrheim, pour ne citer que la France, ne sont-ils pas typiques à cet égard ?

« Répudier » la participation au parlementarisme a ceci de puéril que l’on s’imagine, au moyen de ce procédé « simple », « facile » et prétendument révolutionnaire, « résoudre » le diffi­cile problème de la lutte contre les influences démocratiques bourgeoises à l’intérieur du mouvement ouvrier, alors qu’en réalité on ne fait que fuir son ombre, fermer les yeux sur la difficulté, l’éluder avec des mots. L’arrivisme le plus cyni­que, l’utilisation bourgeoise des sinécures parlementaires, la déformation réformiste criante de l’action parlementaire, la plate routine petite-bourgeoise, nul doute que ce ne soient là les traits caractéristiques habituels et dominants que le ca­pitalisme engendre partout, en dehors comme au sein du mouvement ouvrier. Mais ce même capitalisme et l’atmos­phère bourgeoise qu’il crée (laquelle est très lente à dispa­raître, même la bourgeoisie une fois renversée, puisque la paysannerie donne constamment naissance à la bourgeoisie), enfantent dans tous les domaines du travail et de la vie sans exception, un arrivisme bourgeois, un chauvinisme national, de la platitude petite-bourgeoise, etc., qui sont au fond exac­tement les mêmes et ne se distinguent que par d’insigni­fiantes variations de forme.

Vous vous imaginez vous-mêmes « terriblement révolu­tionnaires », chers boycottistes et antiparlementaires, mais en fait vous avez pris peur devant les difficultés, relative­ment peu importantes, de la lutte contre les influences bour­geoises dans le mouvement ouvrier, alors que votre victoire, c’est-à-dire le renversement de la bourgeoisie et la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, suscitera ces mêmes difficultés dans une proportion encore plus grande, infiniment plus grande. Tels des enfants, vous avez pris peur devant la petite difficulté qui se présente à vous, aujourd’hui, sans comprendre que, demain et après-demain, vous aurez à par­faire votre éducation, à apprendre à triompher de ces mêmes difficultés, en des proportions infiniment plus vastes.

Sous le pouvoir des Soviets, il s’insinuera dans votre parti et dans le nôtre, le parti du prolétariat, un nombre encore plus grand d’intellectuels bourgeois. Ils s’insinueront dans les Soviets et dans les tribunaux, et dans les administrations, car on ne peut bâtir le communisme qu’avec le matériel humain créé par le capitalisme; il n’en existe pas d’autre. On ne peut ni bannir, ni détruire les intellectuels bourgeois, il faut les vaincre, les transformer, les refondre, les rééduquer, com­me du reste il faut rééduquer au prix d’une lutte de longue haleine, sur la base de la dictature du prolétariat, les pro­létaires eux-mêmes qui, eux non plus, ne se débarrassent pas de leurs préjugés petits-bourgeois subitement, par miracle, sur l’injonction de la Sainte Vierge, sur l’injonction d’un mot d’ordre, d’une résolution, d’un décret, mais seulement au prix d’une lutte de masse, longue et difficile, contre les influences des masses petites-bourgeoises. Sous le pouvoir des Soviets, ces mêmesproblèmes qu’aujourd’hui l’antiparlementaire re­jette loin de lui d’un seul geste de la main, si orgueilleusement, avec tant de hauteur, d’étourderie, de puérilité, renaissent au seindes Soviets, au sein des administrations soviéti­ques, parmi les « défenseurs » soviétiques (nous avons supprimé en Russie, et nous avons bien fait de supprimer le barreau bourgeois, mais il renaît chez nous sous le manteau des « défenseurs » « soviétiques »). Parmi les ingénieurs soviéti­ques, parmi les instituteurs soviétiques, parmi les ouvriersprivilégiés, c’est-à-dire les plus qualifiés, et placés dans les meilleures conditions dans les usines soviétiques, nous voyons continuellement renaître tous, absolument tous les traits né­gatifs propres au parlementarisme bourgeois; et ce n’est que par une lutte répétée, inlassable, longue et opiniâtre de l’esprit d’organisation et de discipline du prolétariat que nous triomphons – peu à peu – de ce mal.

Il est évidemment très « difficile » de vaincre, sous la domination de la bourgeoisie, les habitudes bourgeoises dans notre propre parti, c’est-à-dire dans le parti ouvrier: il est « difficile » de chasser du parti les chefs parlementaires de toujours, irrémédiablement corrompus par les préjugés bour­geois; il est « difficile » de soumettre à la discipline proléta­rienne un nombre strictement nécessaire (même très limité) d’hommes venus de la bourgeoisie; il est « difficile » de créer dans le parlement bourgeois une fraction communiste par­faitement digne de la classe ouvrière; il est « difficile » d’obtenir que les parlementaires communistes ne se laissent pas prendre aux hochets du parlementarisme bourgeois, mais s’emploient à un travail substantiel de propagande, d’agita­tion et d’organisation des masses. Tout cela est « difficile », c’est certain. Ç’a été difficile en Russie, et c’est infiniment plus difficile encore en Europe occidentale et en Amérique, où la bourgeoisie est beaucoup plus forte, plus fortes les tra­ditions démocratiques bourgeoises et ainsi de suite.

Mais toutes ces « difficultés » ne sont vraiment qu’un jeu d’enfant à côté des problèmes, absolument de même nature, que le prolétariat aura à résoudre nécessairement pour as­surer sa victoire, et pendant la révolution prolétarienne et après la prise du pouvoir par le prolétariat. A côté de ces tâches vraiment immenses, alors qu’il s’agira, sous la dicta­ture du prolétariat, de rééduquer des millions de paysans, de petits patrons, des centaines de milliers d’employés, de fonctionnaires, d’intellectuels bourgeois, de les subordonner tous à l’Etat prolétarien et à la direction prolétarienne, de triompher de leurs habitudes et traditions bourgeoises, – à côté de ces tâches immenses, constituer sous la domination bourgeoise, au sein d’un parlement bourgeois, une fraction réellement communiste d’un véritable parti prolétarien, n’est plus qu’un jeu d’enfant.

Si les camarades « gauches » et les antiparlementaires n’apprennent pas dès maintenant à vaincre une aussi mince difficulté, on peut dire à coup sûr qu’ils se trouveront dans l’impossibilité de réaliser la dictature du prolétariat, de se subordonner et de transformer sur une grande échelle les intellectuels bourgeois et les institutions bourgeoises; ou bien qu’ils seront obligés de complêter hativement leur instruction, et cette hâte portera un immense préjudice à la cause du pro­létariat, leur fera commettre des erreurs plus qu’à l’ordinaire, tes rendra plus faibles et malhabiles au-dessus de la moyenne, etc., etc.

Tant que la bourgeoisie n’est pas renversée et, ensuite, tant que n’ont pas disparu totalement la petite exploitation et la petite production marchande, l’atmosphère bourgeoise, les habitudes propriétaires, les traditions petites-bourgeoises nuiront au travail du prolétariat tant au-dehors qu’au-dedans du mouvement ouvrier, non point dans une seule branche d’activité, l’activité parlementaire, mais nécessairement dans tous les domaines possibles de la vie sociale, dans toutes les activités culturelles et politiques sans exception. Et l’erreur la plus grave, dont nous aurons nécessairement à expier les conséquences, c’est de vouloir se dérober, tourner le dos à telletâche « fâcheuse » ou difficulté dans un domaine quel­conque. Il faut apprendre à s’assimiler tous les domaines, sans exception, du travail et de l’action, vaincre toujours et partout toutes les difficultés, toutes les habitudes, traditions et routines bourgeoises. Poser la question autrement est chose simplement peu sérieuse et puérile.

 

12 mai 1920

 

 

5.    Lettre de Wijnkoop

 

Dans l’édition russe de ce livre j’ai présenté de façon un peu inexacte le comportement du Parti communiste hollan­dais dans son ensemble sur le plan de la politique révolu­tionnaire internationale. Je profite donc de cette occasion pour publier la lettre ci-après de nos camarades hollandais sur cette question et, ensuite, remplacer les mots « tribunistes hollandais » que j’ai employés dans le texte russe par les mots « certains membres du Parti communiste hollandais ».

 

****

Moscou, le 30 juin 1920

 

Cher camarade Lénine,

Grâce à votre amabilité, nous, membres de la délégation hollandaise au 11°Congrès de l’Internationale Communiste, avons eu la possibilité de voir votre livre la Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »)avant qu’il soit publié dans les langues de l’Europe occidentale. Vous y soulignez à plu­sieurs reprises que vous désapprouvez le rôle joué par certains membres du Parti Communiste hollandais dans la politique internationale.

Il nous faut cependant protester contre le fait que vous re­jetez la responsabilité de leurs actes sur le Parti Communiste. Cela est tout à fait inexact. Bien plus, c’est injuste, puisque ces membres du Parti communiste hollandais participent très peu ou pas du tout à l’activité courante de notre Parti; par ailleurs, ils cherchent, directement ou indirectement, à faire appliquer par le Parti Communiste les mots d’ordre d’opposition que ce Parti et tous ses organismes ont combattus et continuent de combattre à ce jour de la façon la plus énergique.

 

Salutations fraternelles

 

(pour la délégation hollandaise)

D.I. Wijnkoop.

 

[1] Tendance centriste de la S.F.I.O. animée par Jean Longuet. Adopte des position pacifistes durant la I° guerre mondiale. Soutient officiellement la révolution d’Octobre après 1917, mais se rallie à la paix de Versailles. En décembre 1920, Longuet rejoint l’Internationale 2 1/2 pour un temps. Il reviendra ensuite à la II° Internationale.

[2] L’Independant Labour Party avait été fondé en 1893 par J. Keir-Hardy et R. Mc Donald, etc. Prétendant à l’indépendance politique à l’égard des partis bourgeois, le parti travailliste fut en fait « indépendant à l’égard du socialisme, mais dépendant du libéralisme« . (Note de l’auteur).

[3] La société fabienne, ultra-réformiste, avait été fondée en 1884 par un groupe d’intellectuels anglais.

[4] La ligue spartakiste a été fondée en janvier 1916 par K. Liebknecht, R. Luxemburg, C. Zetkin, F. Mehring, etc. Ils mènent une politique de défaitisme révolutionnaire durant la I° guerre mondiale et s’opposent à l’Union Sacrée. En avril 1917, ils entrent dans l’U.S.P.D. et en sortent après la révolution de novembre 1918 pour fonder le K.P.D., le parti communiste d’Allemagne. Sur nombre d’aspects, les conceptions spartakistes différaient des bolcheviques et ce n’est pas indépendant du contenu du présent ouvrage.

[5] L’U.S.P.D. est un parti centriste constitué en avril 1917. Ultérieurement une fraction de ses membres rejoint les communistes dans le P.C. Unifié d’Allemagne (V.K.P.D.). Les droitiers dont Hilferding, Kautsky, Bernstein maintiennent alors le parti jusqu’en 1922, date à laquelle ils retournent au S.P.D.

[6] Ce qui vaut pour les individus peut être appliqué, toutes proportions gardées, à la politique et aux partis. L’homme intelligent n’est pas celui qui ne fait pas de fautes. Ces gens-là n’existent pas et ne peuvent pas exister. Celui-là est intelligent qui fait des fautes, pas très graves, et qui sait les corriger facilement et vite. (Note de l’auteur).

[7] Il s’agit là des membres du P.C. Hollandais. Initialement, il s’agit des partisans du journal De Tribune dans la social-démocratie de ce pays. Ils avaient exclu du parti dès 1909. Ultérieurement, ils participeront à la formation du P.C. hollandais, tout en restant profondément marqués par leur gauchisme originel.

[8] Journal ouvrier communiste (Kommunistische Arbeiterzeitung) (n° 32, Hambourg, 7 février 1920, « La Dissolution du Parti« , par Karl Erler) : « La classe ouvrière ne peut détruire l’Etat bourgeois sans anéantir la démocratie bourgeoise, et elle ne peut anéantir la démocratie bourgeoise sans détruire les partis. »

Les esprits les plus brouillons parmi les syndicalistes et anarchistes latins, peuvent être « satisfaits »: des Allemands sérieux, qui visiblement se croient marxistes (K. Erler et K. Horner affirment avec le plus grand sérieux dans leurs articles de ce journal, qu’ils se considèrent comme des marxistes sérieux et débitent d’une façon particulièrement plaisante d’invraisemblables sottises, manifestant ainsi leur incompréhension de l’abc du marxisme), en arrivent à dire des choses qui ne riment à rien. Il ne suffit pas d’accepter le marxisme pour être préservé des erreurs. Nous autres Russes le savons fort bien, le marxisme ayant souvent été chez nous une « mode ». (Note de l’auteur)

Il est à noter qu’ultérieurement, nombre de dirigeants de ce groupe rejoindront les rangs nazis. (Note de l’éditeur)

[9] Malinovski fut prisonnier en Allemagne. Quand il revint en Russie sous le gouvernement bolchevik, il fut aussitôt mis en jugement et fusillé par nos ouvriers. Les mencheviks nous avaient reproché avec une âpreté particulière notre faute: avoir laissé un provocateur pénétrer au Comité central de notre Parti. Mais quand, sous Kérensky, nous exigeâmes l’arrestation et la mise en jugement du président de la Douma, Rodzianko, qui, dès avant la guerre, avait eu connaissance du rôle d’agent provocateur de Malinovski et n’en avait rien dit aux députés troudoviks et ouvriers de la Douma – ni les mencheviks ni les socialistes-révolutionnaires qui participaient au gouvernement en même temps que Kérensky, ne soutinrent notre revendication, et Rodzianko, laissé en liberté, put s’en aller librement rejoindre Dénikine. (Note de l’auteur)

[10] Le nombre de membres du Parti évolua comme suit de février 1917 à 1919. A la 7° Conférence (avril 1917), on dénombrait 80 000 membres. Au 6° congrès (juillet-août 1917), il avait 140 000 membres. Au 7° Congrès (mars 1918), au moins 270 000 membres et au 8° Congrès de mars 1919, 313 766 membres.

[11] Les Industrial Workers of the World (I.W.W.) ont étés fondés en 1905 aux Etats-Unis. Cette organisation, qui se rapprochait par nombre d’aspects de l’anarcho-syndicalisme européen, sera la matrice du mouvement ouvrier révolutionnaire dans ce pays.

[12] Les Gompers, les Henderson, les Jouhaux, les Legien ne sont que des Zoubatov dont ils se distinguent par l’habit, le vernis européen, les procédés civilisés, raffinés, démocratiquement pommadés, dont ils usent pour pratiquer leur infâme politique.

[13] J’ai eu trop peu l’occasion d’apprendre à connaître le communisme « de gauche » d’Italie. Sans doute, Bordiga, de même que sa fraction de « communistes-abstentionnistes » (Comunista astensionista). a-t-il tort de préconiser la non-participation au parlement. Mais il est un point où il me semble avoir raison, autant que l’on puisse juger d’après deux numéros de son journal il Soviet (n° 3 et 4 du 18 janvier et du 1er février 1920), d’après quatre fascicules de l’excellente revue de Serrati, Comunismo (n°s 1-4 de novembre 1919), et d’après quelques numéros épars de journaux bourgeois italiens que j’ai pu voir. Bordiga et sa fraction ont raison quand ils attaquent Turati et ses partisans qui, restés dans un parti qui a reconnu le pouvoir des Soviets et la dictature du prolétariat, restent aussi membres du parlement et continuent leur vieille et si nuisible politique opportuniste. En tolérant cet état de choses, Serrati et tout le parti socialiste italien commettent évidemment une faute qui menace d’être aussi nuisible et dangereuse que celle qui fut commise en Hongrie lorsque les Turati hongrois sabotèrent de l’intérieur et le parti et le pouvoir des Soviets. Cette attitude erronée, cette inconséquence ou ce manque de caractère à l’égard des parlementaires opportunistes d’un côté engendrent le communisme « de gauche » et, de l’autre, justifient. jusqu’à un certain point, son existence. Le camarade Serrati a manifestement tort d’accuser  » d’inconséquence » le député Turati (Comunismo n°3), alors qu’il n’y a d’inconséquent que le parti socialiste italien, qui tolère dans ses rangs des parlementaires opportunistes comme Turati et Cie.

[14] Toute classe, même dans les conditions du pays le plus éclairé, même si elle est la plus avancée et si les circonstances du moment ont suscite en elle un essor exceptionnel de toutes les facultés mentales, compte toujours et comptera nécessairement, – tant que les classes subsistent et que ne sera pas complètement affermie, consolidée et développée sur ses propres fondements la société sans classes, – des représentants qui ne pensent pas et sont incapables de penser. Le capitalisme ne serait pas le capitalisme oppresseur des masses, s’il en était autrement.

[15] Le British Socialist Party fut fondé en 1911 à Manchester. Il fit de l’agitation dans un esprit marxiste et fut un parti « non opportuniste, réellement indépendant des libéraux » (Lenine). Il était cependant très faible et disposait de peu de relais dans les masses.

Durant la guerre, le BSP se divise en 2 tendances : l’une, dirigée par Hyndman, était nettement chauvine, l’autre, internationaliste, entre autres dirigée par A. Inkpin. En avril 1916, c’est la scission. Hyndman et ses partisans, minoritaires, quittent le parti. Les internationalistes prennent la tête du parti qui prend en 1920 l’initiative de fonder le P.C. britannique.

[16] Le Parti Ouvrier Socialiste se constitue en 1903 à partir d’un groupe de socialistes de gauche ayant rompu avec la fédération social-démocrate. L’Association socialiste du pays de Galles du Sud était un petit groupe surtout composé de mineurs. La Fédération socialiste ouvrière était une organisation dont nombre de membres provenaient des rangs féministes.

[17] D’après les renseignements portant sur plus de 36 millions d’électeurs, les élections à l’Assemblée constituante, en Russie, en novembre 1917, ont donné 25% des suffrages aux bolcheviks; 13% à divers partis des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie; 62% à la démocratie petite-bourgeoise, c’est-à-dire aux socialistes-révolutionnaires et aux mencheviks, ainsi qu’aux petits groupes apparentés à ces partis.

[18] En ce qui concerne la fusion future des communistes “de gauche”, des antiparlementaires, avec les communistes en général, je ferai encore une remarque. Dans la mesure où j’ai pu prendre connaissance des journaux des communistes “de gauche”, et en général des communistes d’Allemagne, je constate que les premiers ont l’avantage de savoir mieux que les autres faire de la propagande au sein des masses. J’ai observé à plusieurs reprises quelque chose d’analogue, – quoique en de moindres proportions, dans des organisations locales isolées et non à l’échelle na­tionale, – dans l’histoire du Parti bolchevik. Ainsi, en 1907-1908, les bolcheviks “de gauche” ont quelquefois, çà et là, fait auprès des masses leur travail d’agitation avec plus de succès que nous. Cela s’explique en partie, parce qu’en période révolutionnaire, ou lorsque le souvenir de la révolution est encore vif, il est plus aisé d’aborder les masses avec une tactique de « simple » négation. Toutefois ce n’est pas encore un argument en faveur de la justesse de cette tactique. En tout cas, il ne fait pas l’ombre d’un doute que le Parti communiste qui veut être réelle­ment l’avant-garde, le détachement avancé de la classe révolutionnaire, du prolétariat, et qui veut en outre apprendre à diriger la grande masse prolétarienne, mais aussi non prolétarienne, la masse des travailleurs et des exploités, doit savoir faire la propagande, organiser, mener l’agitation de la façon la plus accessible, la plus intelligible, la plus claire et la plus vivante à la fois pour les “faubourgs” industriels et pour les cam­pagnes.

[19] Ce fait a été exposé avec une clarté, une concision et une exactitude extrêmes, de façon vraiment marxiste, dans l’excellent journal du Parti communiste autrichien Die Rote Fahne, des 28 et 30mars 1920(Vienne, Nos 266 et 267, par L. L.: Ein neuer Abschnitt der deutschen Revolu­tion). (Une nouvelle étape de la révolution allemande. – N.R.)

 

La Plaine soviétique

 

(source: https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/04/gauchisme.htm )

 

CONTRE COURANT « LES PROLOS »

«CE FILM EST DÉDIÉ aux oubliés de la France contemporaine. » Pendant plus d’une année, Marcel Trillat, grand reporter à France 2, a écumé l’Hexagone à la recherche des ouvriers pour en faire un documentaire, « les Prolos ». De l’usine 3M, à Beauchamp, qui fabrique des Post-it et des abrasifs, aux chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), il est parti à la rencontre de ces prolétaires, disparus dans le flot des vagues de licenciements et autres plans sociaux. « Une épée de Damoclès au-dessus de la tête » « J’avais cette idée depuis longtemps, raconte Marcel Trillat. Je constatais qu’une catégorie sociale extrêmement importante, productrice de richesses, avait été escamotée. Il n’y en avait plus que pour les entrepreneurs, les patrons vedettes à la Jean-Marie Messier. » Issu d’une famille de petits paysans, Marcel Trillat a réalisé de nombreux reportages sur les ouvriers : « J’avais cette vision un peu romantique d’une classe ouvrière combative qui, dans les années 60-70, avait lutté pour obtenir de meilleurs traitements ; et, d’un autre côté, j’entendais certains dire que les ouvriers n’existaient plus en France depuis la crise des années 80-90, et qu’on s’en passait très bien. J’étais décidé à aller voir ce qu’il en était. » Tendre son micro à tous, filmer les prolos au boulot, jeunes et moins jeunes, syndiqués ou non, ouvriers et patrons, c’était le pari du grand reporter. « Ce qui m’a frappé, c’est l’extrême diversité du prolétariat, confie Marcel Trillat . Mais tous savent que, du jour au lendemain, la production peut s’arrêter. Aujourd’hui, les ouvriers vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. La classe ouvrière se recroqueville sur elle-même, en marge de la société. Et, contrairement à ce qu’on pouvait penser il y a quarante ans, on assiste à de véritables régressions. Les patrons ont trouvé la tactique en utilisant bon nombre d’intérimaires. Mais le modèle ultra-libéral n’est pas non plus viable. Une société ne peut pas vivre sans ses ouvriers. »

Gina, film de fiction intégrant le documentaire interdit et censuré de Denys Arcand « On est au coton »

 Censuré pour la force des images qu’il avait tournées dans la réalité, Arcand était bien résolu à passer certains des messages que contenait son documentaire interdit. C’est dans la fiction qu’il le fera, en intégrant mot pour mot au scénario de son long métrage Gina (1974) des témoignages recueillis dans On est au coton . Tant qu’il s’agissait de fiction!

Gina est une strip-teaseuse dans un club local populaire. Tout le monde l’aime et la désire. Une nuit, un gang craint pénètre dans sa chambre de motel et de viols collectifs sa violence. Peu de temps après, elle enrôle les services de criminels de l’aider à se venger de ceux qui l’ont attaqué.

Réalisateur: Denys Arcand
Etoiles: Céline Lomez, Claude Blanchard, Frédérique Collin
Gina is a stripper at a popular local club. Everybody loves her and wants her. One night, a feared gang enters her motel room and gang-rapes her violently. Soon afterward, she enlists the services of criminals to help her exact revenge on those who attacked her.

Director: Denys Arcand
Stars: Céline Lomez, Claude Blanchard, Frédérique Collin

Extrait tiré du Manifeste du parti communiste expliquant la formation du mouvement ouvrier

« Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre la bourgeoisie elle-même. »

 

« Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort: elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes – les ouvriers modernes, les prolétaires. »

V.I. Lénine haranguant le peuple soviétique

À mesure que grandit la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, con­traints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise au même titre que tout autre article de commerce; ils sont exposés, par conséquent, de la même façon à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché.

Le développement du machinisme et la division du travail, en faisant perdre au travail de l’ouvrier tout caractère d’autonomie, lui ont fait perdre tout attrait. L’ouvrier devient un simple accessoire de la machine, dont on n’exige que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, les frais qu’en­traî­ne un ouvrier se réduisent presque exclusive­ment au coût des moyens de subsis­tance nécessaires à son entretien et à la reproduction de son espèce. Or le prix d’une marchandise, et donc le prix du travail également, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, à mesure que se développent le machinisme et la division du travail, la masse de travail s’ac­croît, soit par l’augmentation des heures de travail, soit par l’augmen­ta­tion du travail exigé dans un temps donné, l’accélération du mouvement des machines, etc.

L’industrie moderne a fait du petit atelier du maître artisan patriarcal la grande fabrique du capitaliste industriel. Des masses d’ouvriers, concentrés dans la fabrique, sont organisés militairement. Simples soldats de l’industrie, ils sont placés sous la sur­veil­lance d’une hiérarchie complète de sous-officiers et d’officiers. Ils ne sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, de l’État bourgeois, mais encore, chaque jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du contremaître, et surtout du bour­geois fabricant lui-même. Ce despotisme est d’autant plus mesquin, odieux, exaspérant qu’il proclame plus ouvertement le profit comme étant son but suprême.

Moins le travail manuel exige d’habileté et de force, c’est-à-dire plus l’indus­trie moderne se développe, et plus le travail des hommes est supplanté par celui des fem­mes et des enfants.  Les différences d’âge et de sexe n’ont plus de valeur sociale pour la classe ouvrière. Il n’y a plus que des instruments de travail dont le coût varie suivant l’âge et le sexe.

Une fois achevée l’exploitation de l’ouvrier par le fabricant, c’est-à-dire lorsque celui-ci lui a compté son salaire, l’ouvrier devient la proie d’autres membres de la bour­geoisie: du propriétaire, du détaillant, du prêteur sur gages, etc.

Petits industriels, petits commerçants et rentiers, petits artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat; en par­tie parce que leur faible capital ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent à la concurrence avec les grands capitalistes; d’autre part, parce que leur habileté est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population.

Le prolétariat passe par différentes phases de développement. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même.

La lutte est d’abord engagée par des ouvriers isolés, ensuite par les ouvriers d’une même fabrique, enfin par les ouvriers d’une même branche d’industrie, dans une même localité, contre le bourgeois qui les exploite directement. Ils ne dirigent pas leurs attaques contre les rapports bourgeois de production seulement: ils les dirigent contre les instruments de production eux-mêmes; ils détruisent les marchandises étrangères qui leur font concurrence, brisent les machines, mettent le feu aux fabriques et s’effor­cent de reconquérir la position perdue de l’ouvrier du moyen âge.

A ce stade, les ouvriers forment une masse disséminée à travers le pays et atomi­sée par la concurrence. S’il arrive que les ouvriers se soutiennent dans une action de masse, ce n’est pas là encore le résultat de leur propre union, mais de celle de la bour­geoi­sie qui, pour atteindre ses fins politiques propres, doit mettre en branle le pro­lé­tariat tout entier, et qui possède encore provisoirement le pouvoir de le faire. Durant cette phase, les prolétaires ne combattent donc pas leurs propres ennemis, mais les ennemis de leurs ennemis, c’est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue, proprié­tai­res fonciers, bourgeois non industriels, petits-bourgeois. Tout le mouvement histori­que est de la sorte concentré entre les mains de la bourgeoisie; toute victoire rempor­tée dans ces conditions est une victoire bourgeoise.

Or, avec le développement de l’industrie, le prolétariat ne fait pas que s’accroître en nombre; il est concentré en masses plus importantes; sa force augmente et il en prend mieux conscience. Les intérêts, les conditions d’existence au sein du prolétariat, s’égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas. La concurrence croissante des bourgeois entre eux et les crises commerciales qui en résultent rendent les salaires des ouvriers de plus en plus instables; le perfectionnement constant et tou­jours plus rapide de la machine rend leur condition de plus en plus précaire: les colli­sions individuelles entre l’ouvrier et le bourgeois prennent de plus en plus le caractère de collisions entre deux classes. Les ouvriers commencent à former des coa­litions contre les bourgeois; ils s’unissent pour défendre leurs salaires. Ils vont jusqu’à former des associations permanentes, pour être prêts en vue de soulèvements éventuels. Ça et là, la lutte éclate en émeutes.

De temps à autre, les ouvriers triomphent; mais c’est un triomphe éphémère. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union de plus en plus large des travailleurs. Cette union est favorisée par l’accrois­se­ment des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui font entrer en rela­tion les ouvriers de, localités différentes. Or, il suffit de cette prise (le contact pour centraliser les nombreuses luttes locales de même caractère en une lutte nationale, pour en faire une lutte de classes. Mais toute lutte de classes est une lutte politique, et l’union que les bourgeois du moyen âge mettaient des siècles à établir, avec leurs che­mins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent en quelques années grâce aux chemins de fer.

Cette organisation des prolétaires en classe, et donc en parti politique, est sans cesse de nouveau détruite par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. Elle profite des dissensions intestines de la bourgeoisie pour l’obliger à reconnaître, sous forme de loi, certains intérêts de la classe ouvrière: par exemple le bill de dix heures en Angle­terre.

D’une manière générale, les collisions qui se produisent dans la vieille société fa­vo­risent de diverses manières le développement du prolétariat, La bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuel; d’abord contre l’aristocratie, plus tard contre ces fractions de la bourgeoisie même dont les intérêts entrent en contradiction avec le progrès de l’industrie, et toujours contre la bourgeoisie de tous les pays étrangers. Dans toutes ces luttes, elle se voit obligée de faire appel au prolétariat, d’avoir recours à son aide et de l’entraîner ainsi dans le mouvement politique. Si bien que la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de sa propre éducation, c’est-à-dire des armes contre elle-même.

De plus, ainsi que nous venons de le voir, des fractions entières de la classe domi­nan­te sont, par le progrès de l’industrie, précipitées dans le prolétariat, ou sont mena­cées, tout au moins, dans leurs conditions d’existence. Elles aussi apportent au prolétariat une foule d’éléments d’éducation.

Enfin, au moment où la lutte des classes approche de l’heure décisive, le processus de décomposition de la classe dominante, de la vieille société tout entière, prend un caractère si violent et si âpre qu’une petite fraction de la classe dominante se détache de celle-ci et se rallie à la classe révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l’avenir. De même que, jadis, une partie de la noblesse passe à la bourgeoisie, de nos jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette partie des idéolo­gues bourgeois qui se sont haussés jusqu’à l’intelligence théorique de l’ensemble du mouvement historique.

De toutes les classes qui, à l’heure actuelle, s’opposent à la bourgeoisie, seul le pro­lé­ta­riat est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et dispa­raissent avec la grande industrie; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique.

Les classes moyennes, petits industriels, petits commerçants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie pour sauver leur existence de clas­ses moyennes du dé­clin qui les menace. Elles ne sont donc pas révolution­naires, mais conservatrices; bien plus, elles sont réactionnaires: elles cher­chent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. Si elles sont révolution­naires, c’est en considération de leur passage immi­nent au prolétariat: elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer sur celui du prolé­tariat.

 

Quant au sous-prolétariat, cette pourriture passive des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révo­lution prolétarienne; cependant ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre et se livrer à des menées réactionnaires.

Les conditions d’existence de la vieille société sont déjà supprimées dans les conditions d’existence du prolétariat. Le prolétaire est sans propriété; ses relations avec sa femme et ses enfants n’ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise; le travail industriel moderne, l’asservissement moderne au capital, aussi bien en Angleterre qu’en France, en Amérique qu’en Allemagne, ont dépouillé le prolé­taire de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d’intérêts bourgeois.

Toutes les classes qui, dans le passé, se sont emparées du pouvoir essayaient de con­so­lider la situation déjà acquise en soumettant l’ensemble de la société aux condi­tions qui leur assuraient leur revenu. Les prolétaires ne peuvent s’emparer des forces productives sociales qu’en abolissant le mode d’appropriation qui leur était particulier et, par suite, tout le mode d’appro­priation en vigueur jusqu’à nos jours. Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne: ils ont à détruire toute sécurité privée, toutes garanties privées antérieures.

Tous les mouvements ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou dans l’in­té­rêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’im­men­se majorité dans l’intérêt de l’immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se mettre debout, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle.

extrait tiré du Manifeste du parti communiste, Karl Marx, pp. 13-16

(Docu’) 6 DOCUMENTAIRES POUR COMPRENDRE (UN PEU MIEUX) LE SIONISME

Nous avons décidé de diffuser l’intégralité des documents dont Résistance Médias a effectué seule toute la recherche. Toutefois, en raison de l’exhaustivité d’une part, et du format accessible, voire populaire, d’autre part, nous avons pensé que de participer à la plus large diffusion possible pouvait contribuer à un peu mieux comprendre le « mal » de notre temps, le sionisme servant de rempart au capitalisme, à son stade ultime de putréfaction, c’est-à-dire l’impérialisme de l’ère de la mondialisation.

(Docu’) 6 DOCUMENTAIRES POUR COMPRENDRE (UN PEU MIEUX) LE SIONISME..

ARTICLE DE FLORIAN

Le conflit Israélo-Palestinien en plusieurs documentaires. Plusieurs angles de vues différents qui se complètent et méritent le détours, qu’on soit ou non d’accord.

→ Le premier est un documentaire de France 2, diffusé le 3 Octobre 2011, qui  avait fortement déplu au Conseil Représentative des Institutions juives de France ( CRIF), lequel y aurait vu de la « propagande anti-israélienne »  et ira jusqu’à écrire une lettre au président de France 2 Rémy Pfillin, par l’entremise du président de l’époque Richard Prasquier,  soulignant que « La recherche de l’objectivité doit être une obligation absolue. C’est exactement ce que l’équipe qui a produit cette émission n’a pas fait. Elle a présenté, d’un conflit complexe, une image caricaturale et unilatérale […] : le florilège de la propagande politique la plus grossière y est passé ». JSS News ira jusqu’à faire une comparaison odieuse entre France 2 et la chaîne Al Manar soupçonnée d’être un relai médiatique du Hezzbollah, et invitera les mécontents d’écrire leurs indignations à France 2 ( qui parle d’insultes, de menaces de mort, à l’instar de la sénatrice Mme Sylvie Goy-Chavent- et visiblement le lectorat de JSS et moi ne devons pas avoir la même définition du mot  » indignation »!). Ce à quoi plusieurs organisations de journalistes, dont la FEJ ( Fédération Européenne de Journalistes), ou encore le site d’ACtion CRItique des Médias ( ACRIMED), lanceront plusieurs appels condamnant les menaces dont ont pu faire l’objet les auteurs du reportage.

Par la suite le CRIF, phénotype du client mécontent, essaiera de « discuter de la façon de rétablir la pluralité des opinions à France 2 » avec la direction de la chaîne, ce qui aux yeux de certains journalistes ressemblent ni plus ni moins à une forme de convocation. Quant au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel sollicité pour donner son avis sur le reportage  » Un état Palestinien est-il encore possible? » il répondra que le reportage «respectueux des règles déontologiques inscrites dans le cahier des charges de France Télévision».

→ Le second est un reportage sur la jeunesse branchée de Tel-Aviv qui vit à cent km/h, qui vit dans l’ultra-modernité à l’ occidentale ( Hip-Hop, mode, surf, Techno, Reaggae) tout en restant consciente que la mort peut les surprendre à tout moment.

→ Le troisième véhicule la théorie d’Eurabia selon laquelle l’Europe qui s’islamise verrait au travers d’Israël ( et donc des Juifs) le Mal Absolu. C’est un reportage biaisé qui dessert une certaine propagande à destination des Israéliens et des populations juives de la Diaspora vivant en Europe qu’on prie de faire leurs Alyas. Malheureusement, principe d’honnêteté oblige, on peut reconnaître que certains individus se déclarant pro-palestiniens pour prétexter leurs fixations maladives donnent le bâton pour se faire battre, ou qu’il existe vraiment une propagande islamiste qui désigne Israël comme le fer de lance d’un Occident dégénéré qu’il faut au mieux conquérir ou au pire réduire en cendres.

→ On ne présente plus l’Oligarchie et le sionisme de Béatrice Pignède. Ce film qui devait bénéficier d’une promotion inhérente à n’importe quel type de documentaire s’est vu quasiment pilonner par quelques personnalités bien-pensantes, et si il est vrai que la jaquette de Zéon renvoyait à certaines affiches des années 30, qu’on est tout à fait en droit de ne pas être d’accord avec les positions de son auteure, rien ne justifiait cette campagne de censure à son encontre qui a piétiné les règles démocratiques ( et je ferais la même chose si jamais le futur auteur de l’Oligarchie&L’islamisme se faisait cracher sur la gueule!). Ici, le sionisme nous est présenté comme un projet mondialiste hideux. Avec la participation exceptionnelle de Schlomo Sand, Gilad Atzmon, et Jacob Cohen.

→ Voyage dans une guerre invisible dont on entend peu parler. Celle qui viole chaque jour les droits des palestiniens voyant leurs terres spoliés par des colons israéliens dont les actes ne sont que violence. Sous le regard complice de l’armée israélienne, les colons brûlent les champs d’oliviers des palestiniens, maltraitent leur bétail, pillent leur maison, les intimident et les menacent. Israël est pour la paix donc colonise. Des agissements mis en lumière par un reportage du journaliste Paul Moreira sur l’Apartheid que vivent les Palestiniens. A diffuser en masse.

→ Emad, paysan, vit à Bil’in en Cisjordanie. Il y a cinq ans, au milieu du village, Israël a élevé un « mur de séparation » qui exproprie les 1700 habitants de la moitié de leurs terres, pour « protéger » la colonie juive de Modi’in Illit, prévue pour 150 000 résidents. Les villageois de Bil’in s’engagent dès lors dans une lutte non-violente pour obtenir le droit de rester propriétaires de leurs terres, et de co-exister pacifiquement avec les Israéliens. Dès le début de ce conflit, et pendant cinq ans, Emad filme les actions entreprises par les habitants de Bil’in. Avec sa caméra, achetée lors de la naissance de son quatrième enfant, il établit la chronique intime de la vie d’un village en ébullition, dressant le portrait des siens, famille et amis, tels qu’ils sont affectés par ce conflit sans fin.

http://www.dailymotion.com/video/xxwiim_cinq-cameras-brisees-une-histoire-palestinienne_news

A Palestinian youth holds a flag as he throws a stone in front of a mural at Qalandiya checkpoint

Simple rappel sur la position des communistes par rapport à la lutte des classes et au mouvement communiste international, tiré du « Manifeste communiste » de Karl Marx

Quelle est la position des communistes par rapport à l’ensemble des prolétaires?

 KARL MARX

Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.

Ils n’ont point d’intérêts qui divergent des intérêts de l’ensemble du prolétariat.

Ils n’établissent pas de principes particuliers [1] sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement prolétarien.

Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points. D’une part, dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolé­tariat. D’autre part, dans les différentes phases de développement que traverse la lutte entre prolétariat et bourgeoisie, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres; sur le plan de la théorie, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des condi­tions, de la marche et des résultats généraux du mouvement prolétarien.

Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers: constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination bourgeoise, con­quête du pouvoir politique par le prolétariat.

Les thèses des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes in­ven­tés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.

Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classe exis­tante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. L’abolition des rap­ports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du commu­nisme.

Les rapports de propriété ont tous subi de continuels changements, de conti­nuelles transformations historiques.

La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise.

Ce qui distingue le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise.

Or, la propriété privée moderne, la propriété bourgeoise, est l’ultime et la plus parfaite expression du mode de production et d’appropriation qui repose sur des antagonismes de classe, sur l’exploitation des uns par les autres.

En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule uni­que: abolition de la propriété privée.

On nous a reproché, à nous autres communistes, de vouloir abolir la propriété per­­son­nellement acquise, fruit du travail de l’individu, propriété que l’on dit être la base de toute liberté, de toute activité, de toute indépendance personnelles.

La propriété, fruit du travail et du mérite personnel ! Veut-on parler de cette forme de propriété antérieure à la propriété bourgeoise qu’est la propriété, du petit bourgeois, (lu petit paysan ? Nous n’avons que faire de l’abolir, le progrès de l’industrie l’a abolie et continue chaque jour de l’abolir.

Ou bien veut-on parler de la propriété privée moderne, de la propriété bour­geoise ?

Mais est-ce que le travail salarié, le travail du prolétaire, crée pour lui de la pro­priété ? Nullement. Il crée le capital, c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire de nouveau du travail salarié, afin de l’exploiter de nouveau. La propriété, dans sa forme présente, se meut entre ces deux termes antinomiques: le capital et le travail. Examinons les deux termes de cette antinomie.

Être capitaliste, c’est occuper non seulement une position purement personnelle, mais encore une position sociale dans la production. Le capital est un produit collec­tif; il ne peut être mis en mouvement que par l’activité commune de nombreux indivi­dus, et même, en dernière analyse, que par l’activité commune de tous les membres de la société.

Le capital n’est donc pas une puissance personnelle, mais plutôt une puissance sociale.

Dès lors, si le capital est transformé en propriété commune apparte­nant à tous les membres de la société,  ce n’est pas une propriété personnelle qui se change en pro­priété sociale. Seul le caractère social de la propriété change. Il perd son caractère de classe.

Venons-en au travail salarié.

Le prix moyen du travail salarié, c’est le minimum du salaire, c’est-à-dire la som­me des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l’ouvrier en tant qu’ouvrier. Par conséquent, ce que l’ouvrier salarié s’approprie par son activité est tout juste suffisant pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail indispensable à la reproduc­tion de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net qui pourrait conférer un pouvoir sur le travail d’autrui. Ce que nous voulons, c’est supprimer le caractère misérable de cette appropriation qui fait que l’ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu’autant que l’exigent les intérêts de la classe dominante.

Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’accroître le tra­vail accumulé [2]. Dans la société communiste, le travail accumulé n’est qu’un moyen d’élargir, d’enrichir et de faire progresser l’existence des travailleurs.

Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent; dans la société com­mu­niste c’est le présent qui domine le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l’individu qui travaille n’a ni indépendance, ni personnalité.

Et c’est l’abolition de ces rapports sociaux que la bourgeoisie qualifie d’abolition de la personnalité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s’agit certes d’abolir la person­nalité, l’indépendance, la liberté bourgeoises.

Par liberté, dans le cadre des actuels rapports de production bourgeois, on entend la liberté du commerce, la liberté d’acheter et de vendre.

Mais si le trafic disparaît, le libre trafic disparaît aussi. Au reste, tous les beaux dis­cours sur la liberté du commerce, de même que toutes les forfanteries libérales de notre bourgeoisie, n’ont de sens que par contraste avec le trafic entravé, avec le bourgeois asservi du moyen âge; mais ils n’en ont aucun lorsqu’il s’agit de l’abolition, par le communisme, du trafic, des rapports de production bourgeois et de la bourgeoi­sie elle-même.

Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société actuelle, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres; si cette propriété existe, c’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui a pour condition nécessaire que l’immense majorité de la société soit frustrée de toute propriété.

En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons.

Dès l’instant que le travail ne peut plus être converti en capital, en argent, en rente foncière, bref en pouvoir social susceptible d’être monopolisé, c’est-à-dire dès que la propriété individuelle ne peut plus se transformer en propriété bourgeoise, vous déclarez que l’individu est supprimé.

Vous avouez donc que, lorsque vous parlez de l’individu, vous n’entendez parler que du bourgeois, du propriétaire bourgeois. Et cet individu-là, certes, doit être supprimé.

Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits so­ciaux; il n’ôte que le pouvoir d’asservir le travail d’autrui à l’aide de cette appro­pria­tion.

On a objecté qu’avec l’abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu’une paresse générale s’emparerait du monde.

Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait péri de fainéantise puisque, dans cette société, ceux (lui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui ga­gnent ne travaillent pas. Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié du moment qu’il n’y a plus de capital.

Toutes les accusations portées contre le mode communiste (le production et d’appropriation des produits matériels l’ont été également contre la production et l’appropriation des oeuvres de l’esprit. De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe s’identifie, pour lui, à la disparition de toute culture.

La culture dont il déplore la perte, n’est pour l’immense majorité qu’un dressage qui en fait des machines.

Mais inutile de nous chercher querelle en appliquant à l’abolition de la propriété bourgeoise l’étalon de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc. Vos idées résultent elles-mêmes des rapports bourgeois de propriété et de production, com­me votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté, dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d’existence de votre classe.

La conception intéressée qui vous fait ériger en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de production et de propriété – rapports historiques qui disparais­sent au cours de l’évolution de la production – cette conception, vous la partagez avec toutes les classes dirigeantes aujourd’hui disparues. Ce que vous comprenez pour la propriété antique, ce que vous comprenez pour la propriété féodale, vous ne pouvez l’admettre pour la propriété bourgeoise.

L’abolition de la famille ! Même les plus radicaux s’indignent de cet infâme dessein des communistes.

Sur quelle base repose la famille bourgeoise actuelle ? Sur le capital, le profit individuel. La famille n’existe, sous sa forme achevée, que pour la bourgeoisie; mais elle a pour corollaire l’absence de toute famille et la prostitution publique auxquelles sont contraints les prolétaires.

La famille bourgeoise s’évanouit naturellement avec l’évanouissement de son corollaire, et l’une et l’autre disparaissent avec la disparition du capital.

Nous reprochez-vous de vouloir abolir l’exploitation des enfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l’avouons.

Mais nous supprimons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant à l’édu­ca­tion familiale, l’éducation par la société.

Et voire éducation, n’est-elle pas, elle aussi, déterminée par la société ? Déter­minée par les rapports sociaux dans le cadre desquels vous élevez vos enfants, par l’immix­tion plus ou moins directe de la société, par le canal de l’école. etc. Les com­mu­nistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation; ils en changent seule­ment le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante.

Les phrases de la bourgeoisie sur la famille et l’éducation, sur les doux liens qui unissent l’enfant à ses parents sont de plus en plus écœurantes à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instru­ments de travail.

Mais la bourgeoisie tout entière de s’écrier en chœur: « Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes ! »

Dans sa femme le bourgeois ne voit qu’un simple instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il ne peut naturellement qu’en conclure que les femmes connaîtront le sort commun de la socialisation.

Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément d’abolir la situation de simple instrument de production qui est celle de la femme.

Rien de plus grotesque, d’ailleurs, que l’indignation vertueuse qu’inspire à nos bour­geois la prétendue communauté officielle des femmes en système communiste. Les communistes n’ont pas besoin de l’introduire, elle a presque toujours existé.

Nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles de leurs prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, se font le plus grand plaisir de débaucher leurs épouses réciproques.

Le mariage bourgeois est, en réalité. la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on donc accuser les communistes de vouloir mettre à la place d’une com­mu­nauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu’avec l’abolition des rapports de production actuels, dispa­raîtra la communauté des femmes qui en découle, c’est-à-dire la prosti­tution officielle et non officielle.

En outre on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas. Com­me le prolétaire doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie.

Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparais­sent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production indus­trielle et les conditions d’exis­tence qu’elle entraîne.

Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître Plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est l’une des premières conditions de son éman­cipation.

A mesure qu’est abolie l’exploitation de l’homme par l’homme, est abolie égale­ment l’exploitation d’une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles.

Quant aux accusations portées d’une façon générale contre le communisme, d’un point de vue religieux, philosophique et idéologique, elles ne méritent pas un examen approfondi.

Est-il besoin d’une grande perspicacité pour comprendre qu’avec toute modifica­tion de leurs conditions de vie, de leurs relations sociales, de leur existence sociale, les représentations, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur con­science, changent aussi ?

Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellec­tuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante.

Lorsqu’on parle d’idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement le fait que, dans le sein de l’ancienne société, les éléments d’une société nou­velle se sont formés et que la disparition des vieilles idées va de pair avec la dispa­rition des anciennes conditions d’existence.

Quand le monde antique était à son déclin, les anciennes religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand au XVIlle siècle les idées chrétiennes cédèrent devant les idées des Lumières, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bour­geoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne faisaient que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine de la conscience .

Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales, philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont en effet modifiées au cours du développe­ment historique. Cepen­dant la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations.

« Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme supprime les vérités éternelles, il supprime la religion et la morale au lieu d’en renouveler la forme, et il contredit en cela tous les développements historiques antérieurs. »

A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes.

Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une par­tie de la société par l’autre, est un fait commun à tous les siècles passés. Rien d’éton­­nant, donc, si la conscience Sociale (le tous les siècles, eu dépit (le toute sa varié­té et de sa diversité, se ruent dans certaines formes communes – formes de con­science qui lie se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antago­nis­me des classes.

La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec les rapports tradi­tion­nels de propriété; rien d’étonnant si dans le cours de son développe­ment, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles.

PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !


A propos du mécanisme de la plus-value et de son appropriation dans la société soviétique, par Fatos Nano

Président du P.T.A.

http://321ignition.free.fr/pag/fr/lin/pag_003/pag.htm 

Studime Politiko-Shoqërore (Etudes politiques et sociales), n°3, 1982,
Institut des Etudes marxistes-léninistes près le Comité central du Parti du travail d’Albanie, Tirana.

Reproduit d’après Études politiques et sociales, en français, n° 1, 1984, Tirana, pp. 164‑181.

Note: Nous reproduisons cet article pour l’intérêt que présente l’analyse de la restauration du capitalisme en URSS, mise en oeuvre par les révisionnistes khrouchtchéviens. En ce qui concerne son auteur, le fait est qu’ultérieurement il s’est placé dans le cadre de la liquidation de la construction du socialisme en Albanie.

 

***************************************************

Il y a près de trois décennies que les khrouchtchéviens ont usurpé le pouvoir en Union soviétique et qu’ils ont déclenché une attaque de front contre les victoires du socialisme remportées sous la direction de Lénine et de Staline. Le renversement contre-révolutionnaire qu’ils ont effectué au niveau de la superstructure, de l’idéologie et de la politique de l’État des soviets, ne pouvait pas manquer d’entraîner, comme il la fait effectivement, la dégénérescence de la base économique de la société soviétique. Il a ouvert la voie aux processus intégraux qui sont à l’origine de la désagrégation des rapports de production socialistes et de la restauration du capitalisme dans tous les domaines.

La stratégie du révisionnisme khrouchtchévien, comme l’a souligné le VIIIème Congrès du PTA, avait « […] pour but principal de liquider la dictature du prolétariat, de saper les bases de la société socialiste, d’engager l’Union soviétique dans la voie capitaliste et d’en faire une superpuissance impérialiste. Maintenant tout le monde voit bien la grande transformation contre-révolutionnaire qui s’est produite en Union soviétique »[1].

Enver Hoxha et Joseph Staline

1. Les réformes khrouchtchéviennes et brejnéviennes et la restauration du capitalisme dans la société soviétique

La bourgeoisie nouvelle, révisionniste en Union soviétique a travaillé intensément à réorganiser l’économie du pays sur des bases capitalistes, à mettre au point et à faire fonctionner un mécanisme propre à elle-même, à réaliser et à s’approprier la plus-value, pour spolier et exploiter sous des formes capitalistes le peuple travailleur soviétique. Ce mécanisme d’exploitation de l’homme par l’homme a revêtu une forme et un contenu qui lui sont propres au cours de l’application des réformes capitalistes à la base comme dans la superstructure. Les réformes de ce genre ont commence a se succéder après la mort de Staline.

La transformation radicale des rapports de production, la mise en place d’un système d’organisation et de direction de l’économie qui tend uniquement à assurer à tout prix le maximum de profit, les prérogatives de capitaliste collectif attribuées à l’État et l’établissement de la domination du capitalisme monopoliste d’État dans tous les domaines dans des proportions sans précédent dans l’histoire de l’impérialisme, voilà les piliers sur lesquels reposent précisément toutes ces mutations capitalistes intégrales qui sont intervenues dans la société soviétique.

Vers la fin de 1970, dans l’économie soviétique les réformes capitalistes avaient été appliquées dans 90 pour cent des entreprises industrielles, qui fournissaient 92 pour cent de la production industrielle globale. En 1968 elles furent étendues aux transports, alors qu’en 1969-1970 elles avaient été largement appliquées dans le bâtiment. Le secteur agricole d’État a été réformé plus lentement. En 1970, ce processus avait affecté le tiers des « sovkhozes »[2].

En appliquant ces réformes, les khrouchtchéviens ont frappé en premier lieu les thèses fondamentales de la théorie marxiste-léniniste relative à la production marchande et à l’action de la loi de la valeur en régime socialiste. La production socialiste a été aussi identifiée à la production capitaliste sur le plan aussi bien théorique que pratique et, sur cette base, tout le mécanisme économique a été réformé. La nouvelle bourgeoisie a pris en main, par le truchement de l’État, les moyens de production et la direction de l’économie. À la législation et aux anciennes pratiques de contenu socialiste sont venues se substituer une législation et des pratiques nouvelles qui permettent à la bureaucratie d’État et du parti d’agir librement, d’exprimer et de satisfaire sans encombre ses intérêts capitalistes. Les dirigeants des diverses entreprises et institutions se sont vu attribuer des prérogatives et des compétences importantes dans la direction et la manipulation de la production et de la répartition, dans l’embauchage et le licenciement des travailleurs, dans la gestion des profits réalisés. Ces prérogatives et compétences ont été utilisées pour assurer et augmenter les revenus et les privilèges des diverses castes dirigeantes aux dépens des masses laborieuses.

L’activité économique soviétique a été assise sur le profit, en tant que régulateur de la production et de la répartition, en tant que « critère suprême et le plus synthétique qui caractérise au plus haut degré l’activité de l’entreprise »[3]. L’économie centralisée a été amenée à coexister avec l’économie de marché, et le mécanisme capitaliste de l’offre et de la demande est devenu, notablement, le régulateur des rapports de production et de consommation. L’État a perdu petit à petit son contrôle sur le volume du travail et de la consommation, ces deux clés essentielles d’une économie socialiste. L’économie soviétique s’est ainsi trouvée confrontée aux contradictions qui opposent le centralisme bureaucratique de type monopoliste au libéralisme économique de la base. Dans le cadre de « l’indépendance opérationnelle des entreprises » et de « l’élimination des rapports intermédiaires de gestion » on a établi, sur la base du mécanisme du marché, les rapports capitalistes directs entre les entreprises de production. Le libre commerce des moyens de production considérés désormais comme des marchandises, a fait d’eux un capital fondamental et le nouveau mécanisme économique capitaliste s’est fondé sur le système de gestion équilibrée et d’autofinancement complet, sur la rentabilité proprement capitaliste à tous les maillons de l’économie. Le financement d’État centralisé des investissements au titre des fonds fixes et des moyens circulants a été limité au point qu’ils ont commencé à être couverts petit à petit par des ressources décentralisées et des crédits bancaires. Dans la pratique, la direction planifiée a cédé la place au libre jeu des lois et des catégories économiques du mode de production capitaliste.

Les réformes économiques khrouchtchéviennes ont commencé par la conversion des moyens de production en marchandises. « Chez nous, écrivait la presse révisionniste soviétique alors que la campagne pour l’application de ces réformes battait son plein, l’équipement des entreprises en moyens de production est traité et réalisé sous forme de vente et d’achat »[4]. En 1971 la vente et l’achat des moyens de production représentait les deux tiers du total de la circulation des marchandises en Union soviétique et en 1974, 70 pour cent de ces moyens étaient cédés aux termes des contrats passés directement entre les entreprises de production et celles de consommation[5].

Les nouveaux statuts des entreprises capitalistes d’État sont entrés en vigueur le 4 octobre 1965. Aux termes de ces statuts, « L’entreprise jouit du droit de propriété sur les biens qu’elle a sous son contrôle opérationnel » et « le directeur de l’entreprise peut agir en son propre nom, disposer de la propriété et des fonds de l’entreprise, procéder à l’embauchage et au licenciement du personnel »[6].

Les rapports établis dans la société soviétique entre l’État et les administrateurs capitalistes des biens qui sont propriété d’État ou propriété collective en tant que personnes juridiques, sont du même type que ceux qui existent actuellement en régime capitaliste monopoliste, entre le propriétaire privé ou collectif du capital et les administrateurs qui dirigent l’entreprise capitaliste, sans en être pourtant les propriétaires. En Union soviétique, c’est l’État social-impérialiste qui jouit des droits de propriétaire monopoliste des principaux moyens de production, de la terre, des mines, des eaux, des terrains de construction, etc., et cela sous forme de rentes, d’intérêts et d’impôts prélevés sur les fonds productifs, dont il concède l’usage à divers groupes de la bourgeoisie citadine et rurale. Ces droits monopolistes ont été matérialisés sous forme de loyer du capital fixe, par un versement annuel moyen au budget d’État de 15 pour cent de la valeur des fonds de production, par chaque entreprise d’État sous forme de rentes et d’impôts sur les revenus des propriétés collectives (kolkhozes, coopératives et entreprises des services publics) ou bien des secteurs privés de l’entreprise capitaliste dans le domaine de l’agriculture (lopins personnels), du commerce (marché noir), des services et de l’artisanat (exercice dune profession à titre privé).

Afin de transposer en valeur ces nouveaux rapports, capitalistes, entre I’État, divers organismes et les citoyens, du 1.10.1966 au 1.7.1967 on a appliqué la réforme générale des prix de gros. Cette réforme a majoré ces prix de 8 pour cent en moyenne dans toute l’industrie et elle a entraîné de nouvelles hausses en 1969, 1974 et 1979[7]. Le nouveau système a été fondé sur « les prix fluctuants » déterminés par « l’équilibre de l’offre et de la demande » et destinés à servir de « moyens très importants et efficaces réglant les processus sociaux de la reproduction »[8]. Les processus de redistribution du revenu national dans l’économie soviétique ont ainsi été établis sur des fondements capitalistes. Parallèlement aux prix fixés d’en haut, les unions monopolistes d’État conservent de larges marges de fluctuation des prix qui « sont justifiées » par « des hausses relatives aux nouveaux produits de qualité hautement efficaces »[9]. Ainsi donc, sur le marché capitaliste soviétique affluent sans cesse des marchandises chères pour des produits et assortiments soi-disant « nouveaux » qui sont en fait les anciennes à peu de différence près, mais qui comportent des taux de profit plus élevés. La presse soviétique affirme que « les prix risquent de monter sans cesse, car les divers secteurs économiques s’efforcent d’accroître leurs rentrées (leur profit) en empruntant la voie la plus facile, celle de la hausse des prix de production et de vente »[10]. Dans la pratique, « les prix fluctuants » ont cédé petit à petit la place aux prix élevés de monopole, comme il ressort entre autres de ces aveux de la presse officielle: « Notre expérience atteste l’existence d’une dangereuse tendance à la hausse arbitraire des prix[11]. » « Le producteur dicte le prix […] et souvent met à profit le manque de certains produits sur le marché, pour faire pression sur le consommateur[12]. » Ainsi, en mars 1978 le prix du café a quintuplé, le prix du pétrole doublé, celui des services de réparation augmenté de 30 pour cent, alors qu’en septembre 1981 les prix des vins et des tabacs ont monté de 27 pour cent et ceux des tapis, des fourrures, des produits en cuir et du prêt-à-porter de 30 pour cent, cependant que le prix de l’essence avait augmenté de 40 kopecks[13].

La création d’organismes monopolistes du grand capital d’État social-impérialiste, en Union soviétique comme à l’étranger, constituait l’une des orientations essentielles des réformes capitalistes dans l’économie soviétique. Cela a été réalisé sous le prétexte de « l’augmentation de la capacité de l’entreprise » à travers l’union et la fusion des entreprises dans toutes les branches de l’économie, en vue de la mise sur pied d’unions de production industrielle, agraire-industrielle, industrielle-de construction, etc., au niveau de chaque république à part, de chaque république dans le cadre de la fédération et enfin, de toute la fédération. Ces unions monopolistes ont pris la forme de combinats et de complexes à concentration verticale et horizontale, du type des trusts et des cartels[14]. Le XXIVème Congrès des révisionnistes khrouchtchéviens (1971) a donné une nouvelle impulsion à ce processus, accélérant ainsi la création d’unions de production de type monopoliste. Dans la période allant de 1970 à 1979, le nombre des organismes de ce genre en Union soviétique a augmenté de 6,5 fois. Ce pays comptait donc 3 950 unions monopolistes avec plus de 17 500 succursales. Leur part dans la production industrielle est passée de 6,7 à 47,1 pour cent et le nombre des travailleurs qu’elles emploient est monté de 6,2 à 48,4 pour cent du total des travailleurs employés dans l’industrie[15]. En Ukraine, par exemple les unions industrielles au niveau de la république régissent chacune en moyenne 112 succursales et un capital fixe moyen de 49 millions de roubles[16].

C’est de cette manière que, dans la société soviétique, se sont cristallisés les rapports de propriété spécifiquement capitalistes, rapports qui se rattachent étroitement au niveau élevé de monopolisation des principaux moyens de production entre les mains de l’État impérialiste. Il est de fait que, comme l’a souligné le camarade Enver Hoxha au VIIIème Congrès du PTA, « aujourd’hui en Union soviétique les moyens de production sont en fait propriété capitaliste d’État ou collective, car ils sont utilisés dans l’intérêt de la nouvelle classe bourgeoise qui a accédé au pouvoir, la classe qui précisément s’approprie le travail des ouvriers et des paysans »[17].

La propriété monopoliste d’État ou collective qui représente la forme dominante de propriété capitaliste en Union soviétique, est une propriété sans titre nominal. Dans la société soviétique, les nouveaux capitalistes, technocrates et bureaucrates de l’hiérarchie dominante, ne jouissent pas du droit à la reproduction individuelle de la propriété et du capital, ce qui est du seul ressort de l’État impérialiste qui agit au nom de toute la bourgeoisie. En Union soviétique, malgré le petit capital privé qui ne cesse de s’élargir, il n’existe pas pour le moment de propriété privée de la terre, des usines, des fabriques, des mines, des banques, et des chemins de fer. Et cela est dans la logique des conditions historiques de l’époque de l’impérialisme dans lesquelles l’Union soviétique s’est transformée de pays socialiste en pays capitaliste. La décentralisation de la propriété, son morcellement par les entrepreneurs capitalistes individuels et le développement, sur cette base, du capitalisme et de la libre concurrence prémonopoliste, constituent des processus dépassés même dans le système capitaliste classique, qui connaît maintenant son stade ultime, impérialiste. Dans ces conditions, le développement non contrôlé de l’initiative et de la libre entreprise capitalistes, tout à fait décentralisées, compromettrait les visées stratégiques de la bourgeoisie social-impérialiste soviétique attachée à modifier le rapport des forces en sa faveur et à atteindre le niveau des autres puissances impérialistes, à rivaliser avec elles dans le partage économique et territorial du monde. À cette fin, la grande bourgeoisie khrouchtchévienne et brejnévienne devait concentrer l’initiative économique capitaliste et les sources de production et de formation des capitaux entre les mains de l’État et des monopoles d’État. Ce capitaliste collectif s’est chargé de gérer les intérêts de reproduction de la bourgeoisie révisionniste, en tant que classe au pouvoir, de militariser l’économie et de créer un potentiel économique nucléaire de superpuissance, d’assurer des ressources durables de consommation parasitaire à cette nouvelle classe bourgeoise aux dépens des masses travailleuses de l’Union soviétique et des autres pays de la « communauté socialiste ».

C’est ce qui explique pourquoi les premières réformes capitalistes khrouchtchéviennes ont mis l’accent sur la décentralisation effrénée de la vie économique et sur la limitation extrême de l’intervention de l’État dans l’économie. Avec l’avènement de Brejnev ces réformes ont eu pour effet de combiner le centralisme bureaucratique de type monopoliste avec le large libéralisme économique de la base. Le mécanisme de direction de l’économie soviétique ne cesse d’osciller entre ces extrêmes et ces contradictions, sans porter atteinte aux intérêts stratégiques fondamentaux de la bourgeoisie social-impérialiste.

Les corporations d’État (unions monopolistes) dotées d’un haut niveau de concentration de la production et du capital, ont donné à l’Union soviétique la forme la plus développée de capitalisme monopoliste d’État à notre époque. Si dans les pays occidentaux le secteur monopoliste d’État ne représente que 20 à 30 pour cent de la production globale, en Union soviétique il est dominant. La nouvelle classe bourgeoise y est organisée en tant que classe au plus haut degré du pouvoir dans un système totalitaire, hiérarchique et bureaucratisé. L’État social-impérialiste lui-même a pris actuellement l’aspect et exerce les fonctions d’une corporation monopoliste gigantesque, qui a accaparé toute l’activité du grand capital dans la société soviétique. Les divers agents capitalistes de cette corporation, en tant que dirigeants et gestionnaires d’une propriété monopoliste centralisée, ont l’initiative économique. Ces prérogatives et compétences sont conférées aux fonctionnaires de la hiérarchie d’État, du Parti, de l’armée, de l’économie et de la culture dans des sphères bien définies. Mais elles leur sont accordées toujours en fonction de leur fidélité à l’État social-impérialiste et à sa politique, celui-ci étant le seul représentant des intérêts de la classe bourgeoise au pouvoir. La promptitude à servir les intérêts des unions capitalistes dans la société soviétique constitue en fait une condition fondamentale à remplir pour pouvoir accéder aux rangs de la bourgeoisie révisionniste au pouvoir. C’est là aussi le critère qui régit la répartition des postes et la promotion sociale des individus capitalistes dans la hiérarchie du système bureaucratique, le seul critère de leur participation à l’appropriation de la plus-value, à travers la jungle des privilèges et des prérogatives spécifiques que l’État soviétique garantit à ses tenants fidèles aux dépens du peuple.

Les réformes capitalistes de la société soviétique n’ont pas manqué d’entraîner des changements radicaux dans les rapports de répartition, d’appropriation et d’utilisation de la richesse sociale. « Certes, la propriété d’État demeure et les usines n’ont pas été distribuées à des particuliers, les kolkhozes sont restées des exploitations collectives communes et les banques n’ont pas été remises à des actionnaires, mais la répartition du produit social, sa destination, ont complètement changé[18]. »

À la suite de l’application des réformes capitalistes khrouchtchéviennes et brejnéviennes, « la société soviétique s’est embourgeoisée jusque dans ses fibres les plus profondes, le capitalisme a été restauré dans tous les domaines »[19]. La lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste de développement dans la société soviétique s’est soldée par un retour en arrière, au capitalisme. Les antagonismes fondamentaux du mode de production capitaliste ont réapparu, l’évolution actuelle de ce dernier est fonction de la lutte et des contradictions irréconciliables entre des classes ennemies ‑ dune part. la bourgeoisie nouvelle, révisionniste, qui règne en exerçant une dictature de fer, et de l’autre, le prolétariat et les masses laborieuses soviétiques aux riches traditions révolutionnaires dans la lutte contre l’exploitation capitaliste.

Enver Hoxha avec un ouvrier

2. La production de la plus-value

La liquidation de la dictature du prolétariat et la mise sur pied d’une machine d’État totalitaire et fasciste au service de la nouvelle bourgeoisie, ont privé la classe ouvrière et les autres masses travailleuses non seulement du pouvoir politique, mais aussi de la propriété sociale des moyens de production. C’est ainsi qu’est réapparue l’exploitation sous la forme de l’obligation de ne plus travailler pour soi et pour la société, mais pour l’État capitaliste collectif. Par conséquent, la société soviétique a vu réapparaître la plus-value, le produit pour la société s’est transformé en surproduit, le travail pour la société en surtravail, le travail pour soi en travail salarié, la main-d’oeuvre en marchandise. Le VIIIème Congrès du PTA a souligné: « Le pouvoir des soviets n’est plus des soviets, des ouvriers et des paysans. Il s’est détaché d’eux et est devenu une force distincte, qui leur est étrangère »[20].

La conversion des conditions de réalisation du travail, des moyens de production et d’existence en capital était impossible sans la transformation de la force de travail en marchandise. « Le travailleur, affirment les révisionnistes, jouit du droit de disposer librement de sa capacité de travail. Ce droit lui est garanti par le contrat de travail qu’il a signe avec son entreprise »[21]. Dans la pratique, ce « droit » a été réalisé en tant que vente et achat de la marchandise-force de travail. Le rétablissement de cette catégorie du capitalisme constitue un trait plus qu’évident de la société soviétique. Le marché du travail a été inondé d´ »ouvriers disponibles » alors que les lois de la concurrence et de l’offre et de la demande ont provoqué de puissants mouvements d’émigration économique, de travailleurs journaliers qui se sont mis à la recherche de contrats avantageux pour la vente de leur force de travail. La presse révisionniste s’est vue obligée de reconnaître que les fluctuations les plus prononcées de la force de travail en Union soviétique s’expliquent essentiellement par les efforts et la concurrence en vue d’obtenir de meilleures conditions de travail, de rémunération et d’existence. En 1967, quelque 5,5 millions de travailleurs se sont déplacés d’une ville à l’autre pour satisfaire ces intérêts vitaux. 3,1 millions sont passés de la campagne à la ville et 1,5 millions de la ville à la campagne sans compter des millions d’autres qui circulaient à la campagne même[22].

Une fois les réformes capitalistes appliquées, les entreprises économiques, soucieuses de tirer le maximum de profit, se sont livrées à une âpre concurrence afin de se procurer, à travers des contrats directs sur le « marché libre », de la main-d’oeuvre qualifiée et productive. Ainsi, 90 pour cent des ouvriers nouvellement employés dans l’industrie ont été embauchés aux termes de contrats directs de ce genre.

Le rétablissement du rapport capitaliste de l’exploitation de l’homme par l’homme comportait en soi un nouveau mécanisme de la plus-value, avec toutes les catégories et les lois qui s’y rattachent. L’analyse de ce mécanisme, à partir de faits et de sources soviétiques officielles, nous permet de juger du degré d’exploitation du prolétariat et du taux de la plus-value dans l’industrie soviétique. Référons-nous aux faits.

Les sources soviétiques affirment qu’en 1971 la part des salaires (ou du capital variable) représentait en moyenne 15,5 pour cent du coût de la production industrielle (ou des frais de production capitaliste)[23]. Par conséquent la structure organique moyenne du capital industriel soviétique se présentait, dans cette période, comme suit:

C                     84,5

―         =         ―――   =         5,5 : 1

V                     15,5

Les réformes capitalistes khrouchtchéviennes ont entraîné l’augmentation du taux moyen de profit, de 16,7 pour cent qu’il était de 1961 à 1965 à 21,3 pour cent de 1966 à 1970, tandis qu’en 1970 il avait atteint 27,2 pour cent dans l’industrie[24].

Compte tenu de ces données, la structure typique de la valeur de la marchandise industrielle soviétique peut être la suivante:

w = c + v + m = 84,5 c + 15,5 v + 27,2 m.

D’autre part, la norme de la plus-value et, partant, le degré d’exploitation moyenne du prolétariat industriel soviétique, se présente comme suit:

                        m 27,2

            m’        ―         =         ―――   =         175,5 pour cent

v                      15,5

Ainsi, au début des années 70, l’ouvrier salarié de l’industrie capitaliste soviétique, sur ses 8 heures de travail par jour travaillait en moyenne 2 heures et 54 minutes pour sa reproduction individuelle et 5 heures et 6 minutes pour la reproduction de la classe capitaliste au pouvoir. En 1970, le profit annuel moyen tiré du travail de chaque ouvrier de l’industrie soviétique, se montait à 2800 roubles[25].

Mais les indices moyens n’expriment pas le degré réel de l’exploitation du prolétariat soviétique employé dans la grande industrie, les grandes unions monopolistes d’État, qui, dépensant moins le capital constant, mettent en action un plus grand volume de travail humain, en tant que source de création de la plus-value. D’autre part, la structure organique du capital industriel soviétique s’est accrue, au cours des années 70, à travers une concentration plus intense de la production et la centralisation toujours plus prononcée du capital. Compte tenu de la structure moyenne des prix de détail, il ressort qu’en 1979, dans l’industrie soviétique, toujours selon les statistiques officielles[26], le taux de profit au cours de cette période s’élevait à 30,1 pour cent (pour le capital industriel et le capital commercial pris ensemble). Et même si l’on considère la structure organique du capital comme étant la même dans la période 1971-1979 (les données nécessaires faisant défaut), le taux de la plus-value se présente comme suit:

m                     30,1

M’        ―         =         ―――   =         194 pour cent

v                      15,5

Ainsi donc, vers la fin des années 70, l’ouvrier salarié de l’industrie soviétique consacrait les deux tiers de son temps de travail aux patrons, à la grande bourgeoisie révisionniste et à son État social-impérialiste. En 1979, plus de 29 millions de salariés de l’industrie soviétique étaient soumis à cette exploitation féroce[27]. Les statistiques officielles montrent que le montant annuel des recettes assurées par le secteur monopoliste d’État de l’économie soviétique représentait environ 215 milliards de roubles, dont 114 milliards sous forme de profit (soit 53 pour cent), et 88 milliards sous forme d’impôts sur le chiffre d’affaires (soit 41 pour cent)[28]. Cette somme ne constitue pas encore le total de la plus-value assurée par l’exploitation des masses travailleuses sous les trois formes de la propriété capitaliste qui coexistent dans la société soviétique. Elle ne comprend pas la plus-value assurée dans le secteur capitaliste collectif et dans le secteur privé de l’économie soviétique.

L’analyse des rapports capitalistes de répartition et d’appropriation de la plus-value nous aidera à mieux éclairer l’ensemble des processus capitalistes qui dominent dans la société soviétique et qui en constituent la physionomie de classe.

Enver Hoxha en famille ouvrière

3. La répartition et l’appropriation de la plus-value

Les rapports capitalistes rétablis en Union soviétique se manifestent surtout dans des sphères importantes de la vie sociale, comme la répartition et l’utilisation du produit social, qui montrent au grand jour que les moyens de production, les forces de travail et les ressources matérielles sont utilisées dans l’intérêt d’une minorité exploiteuse et dominante, de la grande bourgeoisie social-impérialiste et en fonction de ses objectifs stratégiques nationaux et internationaux. C’est précisément cette classe qui s’approprie les fruits du labeur des ouvriers et des paysans soviétiques.

Marx a souligné: « Le capital n’est donc pas seulement […] le pouvoir de disposer du travail d’autrui; mais il est essentiellement le pouvoir de disposer d’un travail non payé[29]. » Cette loi du mécanisme capitaliste de l’appropriation agit avec force même dans la société soviétique. Mais il y a ici une particularité, à savoir que la bourgeoisie révisionniste commande et s’approprie le travail non rétribué des ouvriers et des paysans soviétiques essentiellement à travers l’État monopoliste et ses organismes d’exploitation.

L’utilisation du produit social et la répartition de la plus-value qu’il contient mettent encore plus en relief la priorité absolue des intérêts de la grande bourgeoisie, en tant que classe au pouvoir, et la position dominante de la propriété monopoliste d’État dans la société soviétique par rapport aux autres formes, collectives ou privées de la propriété capitaliste. L’État soviétique est en dernière analyse le propriétaire de la plus-value ou bien, comme le disait Marx à propos du capitaliste industriel, « le représentant de tous les partageants entre lesquels le butin se distribue »[30]. Dans l’ensemble de la vie économique de l’Union soviétique, il n’existe pas de division classique des fonctions entre divers capitalistes, industriels, commerçants, banquiers, propriétaires fonciers, etc. Les fonctions de production, de répartition, d’utilisation et d’appropriation de la plus-value constituent pour la plupart des attributs du capital d’État, qui exerce le monopole absolu de la classe bourgeoise dans tous les domaines. Par conséquent, la plus-value dans la société soviétique est absorbée en premier lieu, par l’État social-impérialiste, qui, au nom et dans l’intérêt de la grande bourgeoisie au pouvoir, la répartit et l’utilise soit pour assurer la reproduction élargie de son potentiel économique et militaire de superpuissance, soit pour couvrir les besoins de con sommation parasitaire et non productive des diverses catégories de capitalistes fonctionnaires. Ces derniers, les divers groupes de la nouvelle bourgeoisie, participent à la répartition et à l’appropriation de la plus-value en fonction du poste que chacun d’eux occupe dans la hiérarchie de l’État, du parti, de l’armée, de l’économie, de la science et de la culture. Regardons ce que nous disent les faits.

Le système fiscal d’exploitation, qui régit la répartition et l’utilisation de la plus-value dans la société soviétique, est axé sur le budget d’État, en tant que principal levier de la redistribution du revenu national au profit du grand capital monopoliste d’État. L’État social-impérialiste réalise cette redistribution à travers les canaux bien connus de la centralisation de la plus-value dans le budget. Les principaux canaux, d’après l’importance de leur poids dans les revenus du budget d’État, sont: les impôts sur la rotation, dont le niveau annuel de 1979 à 1932 se situait entre 88 et 110 milliards de roubles (31-37,6 pour cent des revenus du budget) le versement des profits des entreprises d’État, entre 84 et 95 milliards de roubles (29-33 pour cent), les impôts à la charge de la population, entre 23 et 28 milliards de roubles (8-10 pour cent)[31]. Les entreprises d’État versent leur profit, par ordre de priorité, sous forme de loyer du capital fixe (33 pour cent des versements), de paiement des rentes (de la terre, des mines, des eaux, selon les tarifs différenciés pour les diverses régions économiques territoriales), sous forme aussi d’intérêts bancaires des crédits (plus de 18 pour cent des versements) et des excédents de bénéfices (49 pour cent des versements annuels)[32]. En outre, le budget d’État accumule chaque année 14 milliards de roubles sous forme d’assurances des entreprises (5 pour cent du revenu du budget). 1‑2 milliards de roubles sous forme d’impôts sur le revenu des kolkhozes et environ 70 milliards de roubles (25 pour cent) des ressources extérieures (le commerce extérieur, le profit du capital exporté, la vente d’armes, les crédits étrangers, etc.)[33]. Il est évident que la partie de la plus-value versée nominalement au budget à travers les impôts prélevés sur le secteur capitaliste collectif de l’agriculture, est minime, alors que la majeure partie en est redistribuée ou accaparée à travers le système des prix de gros dans la circulation des marchandises entre les villes et les campagnes.

Ces données montrent que l’État social-impérialiste et l’économie soviétiques sont confrontés de plus en plus aux difficultés et aux conséquences de la militarisation forcée de la vie du pays. Il est de fait que l’Union soviétique engage à cette fin, dans le cadre ou en dehors du budget de l’État, plus d’un tiers du revenu national annuel, soit 150 milliards de roubles, un tiers de la production des branches clés de l’industrie lourde, un septième des ressources énergétiques, un dixième des forces de travail actives. Il n’y a point de doute que la réalisation de ces intérêts stratégiques du social-impérialisme soviétique est étroitement liée à ses plans de superpuissance pour le repartage économique et territorial du monde, que la reproduction élargie du grand capital d’État, la militarisation de l’économie, l’exportation des capitaux etc., occupent une place prééminente dans le processus d’utilisation de la plus-value de la part de l’État de la grande bourgeoisie soviétique. C’est à cette fin que l’État soviétique accumule et utilise la plus-value sans nullement affecter la consommation parasitaire, toujours croissante, de la classe bourgeoise au pouvoir, et cela aux dépens du niveau de vie des masses travailleuses. Les conséquences de ce cours apparaissent dans la vie quotidienne du peuple soviétique. Les articles de première nécessité manquent sur le marché, l’inflation, le chômage, la fluctuation de la force de travail se sont aggravés, on constate une hausse déclarée et non déclarée des prix de diverses marchandises. Le secteur privé de l’économie s’est étendu, les portes ont été ouvertes au capital monopoliste étranger et l’on voit fleurir le marché noir, les abus, les pots-de-vin et les fraudes[34]. »

En 1979, environ 40 pour cent de la part du profit laissée aux entreprises d’État sont passés au « fonds de développement de la production » destiné à financer de façon décentralisée les nouveaux investissements au titre des fonds fixes et l’augmentation du capital circulant; 43 pour cent au fonds de stimulation matérielle du personnel et 17 pour cent au fonds des mesures d’ordre socio-culturel et d’assistance[35]. L’État militariste soviétique, à travers le centralisme bureaucratique, contrôle des secteurs et des activités clés de l’ensemble des structures industrielles et militaires du pays, à l’entretien desquelles travaille et contribue toute l’économie soviétique. C’est dans ces conditions que se réalisent dans la société soviétique l’accumulation et l’utilisation de la plus-value, en vue de la reproduction élargie du grand capital d’État. Dans le même temps, il est fait appel continuellement au capital privé pour qu’il assume dans la production et le commerce des produits alimentaires, de consommation courante et dans les services, une partie de la charge que l’État soviétique n’est pas en mesure d’assurer[36]. L’économie soviétique, désormais dédoublée, est maintenant sujette à un processus de putréfaction dans deux directions parallèles. L’activité du capital privé s’est intensifiée et transformée en une « seconde économie, parallèle », que la presse officielle qualifie d´ »économie de l’ombre »[37]. Celle-ci totalise plus d’un dixième du temps de travail annuel de toute l’économie (un tiers dans l’agriculture), 8,5 millions d’hectares de terres arables, 23 millions de bovins et 29 millions d’ovins, un quart de la production agricole globale, 30 pour cent du bâtiment, 25 pour cent des revenus moyens des familles citadines et 27 pour cent de ceux des familles rurales[38].

      *   *   *

Examinons maintenant les formes concrètes de la répartition de la plus-value entre les membres de la nouvelle bourgeoisie à des fins de consommation parasitaire, qui entraîne et qui approfondit sans cesse la polarisation de classes dans la société soviétique, le fosse entre les bureaucrates et les gestionnaires d’une part, et les larges masses travailleuses, de l’autre.

La réalisation absolument prioritaire des intérêts et des privilèges matériels de la nouvelle bourgeoisie aux dépens des masses travailleuses, constitue dans la société soviétique le trait fondamental de la sphère de la répartition des marchandises destinées à la consommation individuelle. Le système de rémunération et des stimulants matériels appliqué dans ce pays capitaliste est de fond en comble un système hiérarchique et d’exploitation. La hiérarchie des privilèges et des prérogatives d’une poignée de gens établie au détriment des larges masses travailleuses, s’étend depuis les niveaux les plus élevés de l’appareil d’État, du parti, de l’économie et de toute la superstructure jusqu’au niveau de l’équipe d’ouvriers dans les entreprises. Si l’on agit de la sorte, c’est pour désorienter le prolétariat soviétique en corrompant les couches de l’aristocratie ouvrière. L’action illimitée du droit bourgeois du propriétaire et de l’employeur sur les journaliers ou les salariés a été institutionnalisée et érigée en système tant sur le plan des stimulants, à travers le salaire nominal, que sur le plan du mode de participation à la répartition des profits, des multiples gratifications et privilèges qui conditionnent, par conséquent, les énormes différences de revenus réels et de mode de vie des divers groupes sociaux en Union soviétique.

« Bien que l’on prétende appliquer le principe de la rémunération selon le travail, en réalité, les divers groupes de la nouvelle bourgeoisie s’approprient la plus-value créée par les ouvriers et les paysans. Cette spoliation à grande échelle est présentée comme un type de stimulant matériel visant soi-disant à encourager l’activité productive, le travail scientifique, la création artistique, etc. En vérité il s’agit là d’une exploitation typiquement capitaliste[39]. »

Des sources soviétiques elles-mêmes il ressort que la hiérarchie du système des salaires nominaux, au niveau des entreprises industrielles, est conçue comme suit[40]:

Simple ouvrier                        1 unité

Ouvrier moyen                       1,5 unité

Chef d’équipe                         2,4 unités

Chef d’atelier                          plus de 3.2 unités

Ingénieur en chef                    jusqu’à 7.2 unités

Directeur                                jusqu’à 10.8 unités

Mais la hiérarchie des salaires, dans la société soviétique ne représente qu’une petite partie du fossé creusé entre le niveau et le mode de vie des ouvriers et ceux de la bourgeoisie révisionniste. Par suite de la hiérarchie des gratifications et des privilèges dont profitent prioritairement les éléments de la nouvelle bourgeoisie soviétique, l’inégalité sociale ne cesse de s’accentuer. Le VIIIème Congrès du PTA a souligné à ce propos: « La consommation parasitaire a pris des proportions d’une ampleur sans précédent. Le rapport entre les rémunérations des ouvriers et celles des administrateurs bureaucrates et technocrates de la production, calculé sur la base du salaire nominal, est de plus de 1 à 10, mais si I’on y ajoute les revenus provenant de la distribution des bénéfices et des gratifications de toutes sortes, et autres privilèges sans nombre, cet écart s’accentue encore. Ces différences dans les salaires et dans le niveau de vie sont à peu de chose près analogues à celles qui existent entre les administrateurs bourgeois et les ouvriers dans les pays occidentaux[41]. »

Les faits montrent que les réformes capitalistes khrouchtchéviennes entreprises dans le domaine de la répartition ont mis on action un « système de stimulants matériels » très polarisant et fondé exclusivement sur les normes du profit capitaliste, à chaque maillon de l’économie. « L’essentiel, c’est que les gratifications de toute sorte sont tirées des profits[42]. » Dans la période 1966-1969, les fonds des stimulants matériels ont augmenté en moyenne de quatre fois dans les entreprises soviétiques[43].

Du point de vue de la structure sociale, le personnel de l’industrie soviétique comprend 4 pour cent d’administrateurs et 96 pour cent d’ouvriers. Quant à la répartition des fonds des stimulants matériels dans cette branche fondamentale de l’économie, les statistiques officielles indiquent que les administrateurs capitalistes de la production s’approprient 49,3 pour cent des gratifications, le reste, soit 50,7 pour cent, « étant distribué aux ouvriers »[44]. Ces faits prouvent que « la part du lion » revient aux représentants de la bourgeoisie révisionniste soviétique qui, investis du pouvoir d’État, sont en réalité les dirigeants effectifs de la production. Selon les statistiques susmentionnées 1 pour cent du personnel des entreprises soviétiques, investi de fonctions d’État (c’est-à-dire les gestionnaires capitalistes) reçoit 12,3 pour cent des gratifications, alors que le personnel privé de ce pouvoir, comme c’est le cas du prolétariat soviétique, n’en reçoit que 0,5 pour cent, soit 25 fois moins. Il n’y a aucun doute que la grande bourgeoisie au pouvoir, tout comme la bourgeoisie occidentale, nourrit de ses « miettes » l’opportunisme au sein du mouvement ouvrier.

Les sources soviétiques affirment que la majeure partie des « gratifications des ouvriers » (en moyenne 59,1 pour cent) sont distribuées à la fin de chaque année, alors que les chefs touchent leur part une fois par mois[45]. Autrement dit, ce que les révisionnistes appellent la « 13ème mensualité » des ouvriers est en fait pour les administrateurs capitalistes de la production une « 24ème mensualité ». En ce qui concerne l’autre partie des bénéfices qui sont répartis au cours de l’année, le fossé s’approfondit encore plus. Si les chefs d’entreprise s’approprient 82,2 pour cent des « gratifications mensuelles », les ouvriers n’en touchent que 17,8 pour cent, soit 102 fois moins, compte tenu de la structure sociale du personnel de l’industrie soviétique[46].

Mais, malgré tout, « les fonds des stimulants matériels » ne sont pas la seule ni même la principale forme d’appropriation de la plus-value dans le système de l’entreprise soviétique. La presse soviétique affirme que « dans la plupart des entreprises les fonds des stimulants matériels ne sont pas encore devenus la source essentielle de gratification du personnel, plus de 30 autres modes de récompense fonctionnant simultanément. Les soi-disant gratifications spéciales sont souvent plus élevées que les gratifications générales, prélevées sur les fonds des stimulants matériels[47]. » Cette multitude de prérogatives et de privilèges réservées à la bourgeoisie nouvelle révisionniste comprend une série infinie de bénéfices, notamment les gratifications spéciales destinées aux hauts fonctionnaires du parti et de l’État révisionnistes (les fameuses enveloppes bleues), les comptes courants dans les banques d’État qui garantissent la consommation parasitaire à une poignée de gens de l’élite dominante et « les pensions personnelles » illimitées. Bien entendu, tout cela pèse sur le dos des masses travailleuses.

Le VIIIème Congrès du PTA a souligné que la crise actuelle représente la crise, l’échec du capitalisme monopoliste d’État. Elle atteste la putréfaction non seulement du système capitaliste de type classique, mais aussi de la forme de capitalisme qui domine en Union soviétique et ailleurs. Cette forme capitaliste de domination et d’exploitation des travailleurs n’a pas pu éliminer non plus les perturbations économiques, le désarroi des forces productives, la récession, la baisse du niveau de vie des masses travailleuses, l’aggravation des plaies que crée inévitablement la société bourgeoise. « Les processus de différenciation de classe couvent dans tous les pays révisionnistes. Les conflits de classe se durcissent rapidement. Et à cet égard l’Union soviétique elle-même, bien qu’elle semble le plus stable d’entre eux, ne fait pas exception. Les plaies qu’y a ouvertes la restauration du capitalisme ne peuvent être guéries que par le renversement du révisionnisme et la restauration du socialisme[48]. »

 

Enver Hoxha, le révolutionnaire

 


[1]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, Editions « 8 Nëntori », Tirana, 1981, éd. fr., p. 253.

[2]Pravda des 27.6.1969, 25.1.1970 et 4.2.1971.

[3]Pravda du 21.11.1963.

[4]Ekonomitcheskaïa Gazeta, n° 43, 1965.

[5]Ekonornitcheskie Naouki, n° 11, 1971, et Voprossi Ekonomiki, n° 4, 1974.

[6]Ekonomitcheskaïa Gazeta, n° 43, 1965.

[7]Planovoïe Hoziaistvo, n° 7, 1967, Voprossi Ekonomiki, n° 6, 1970, Ekonomitcheskaïa Gazeta, n° 1, 1969, n° 32, 1979.

[8]Ekonornitcheskie Naouki, n° 1, 1969.

[9]Ekonomitcheskaïa Gazeta, n° 32, 1979.

[10]Ekonornitcheskie Naouki, n° 4, 1969.

[11]Voprossi Ekonomiki, n° 6, 1970.

[12]Ekonornitcheskie Naouki, n° 11, 1971.

[13]. TASS, Moscou, 15 septembre 1981.

[14]. Organizacija upravlienija promichlenih obiedinienii, Kiev, 1980, p. 16.

[15]. Narodnoïe Hoziaistvo SSSR v 1979 Godu, Moscou, 1980, p. 133.

[16]Idem, pp. 19, 21, 22.

[17]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 254.

[18]Idem, pp. 254‑255.

[19]. Enver Hoxha, Rapport au VIIème Congrès du PTA, Editions « 8 Nëntori », Tirana, 1976, éd. fr., pp. 227.

[20]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 258.

[21]Ekonornitcheskie Naouki, n° 4, 1972.

[22]Voprossi Ekonomiki, n° 9, 1970.

[23]. Sovietskoie Planirovanoie Hoziaistvo, Moscou, 1974, p. 33.

[24]. Sovietskaïa Ekonomitcheskaïa Reforma: Prodvijienie i Problemi, Moscou, 1972, p. 208.

[25]Idem, p. 204.

[26]. Narodnoïe Hoziaistvo SSSR v 1979 Godu, Moscou 1980, p. 167.

[27]Idem, p. 147.

[28]Idem, p. 535.

[29]. K. Marx, Le Capital, éd. alb., t. I, 2, p. 301.

[30]. K. Marx, Le Capital, éd. alb., t. I, 3, p. 8.

[31]. Narodnoïe Hoziaistvo SSSR v 1979 Godu, op. cit., p. 535 et Pravda du 18.1.1981, p. 4.

[32]Idem.

[33]Pravda du 29.7.1979 et Ekonomitcheskaïa Gazeta, n° 32, 1979.

[34]. Enver Hoxha, Rapport an VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 257.

[35]. Narodnoïe Hoziaistvo SSSR v 1979 Godu, op. cit., p. 536.

[36]. Voir les documents du XXVIème Congrès du parti révisionniste soviétique dans Pravda du 24.2.1981 et la revue Socializm v teori i praktiki, de novembre 1981.

[37]. Revue Echo, mars 1980.

[38]. Annuaire des statistiques du Comecon, Moscou, 1979, pp. 215‑216 et 261‑263.

[39]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 255.

[40]. Sovietskoïe Planirovanoïe Hoziaistvo, op. cit., pp. 242‑252.

[41]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 256.

[42]. Liberman, Voprossi Ekonomiki, n° 8, 1962.

[43]. Sovietskaïa Ekonomitcheskaïa Reforma: Prodvijienie i Problemi, op. cit., p. 207.

[44]Idem, p. 197.

[45]. S. Kamenicer, Opit promichlienovo upravlenia V SSR, Moscou, 1973, p. 127.

[46]. Sovietskaïa Ekonomitcheskaïa Reforma: Prodvijienie i Problemi, op. cit., p. 194.

[47]Voprossi Ekonomiki, n° 12, 1973.

[48]. Enver Hoxha, Rapport au VIIIème Congrès du PTA, op. cit., p. 263.